Article paru dans le Magyar Nemzet le 4 mars 2021.
– « Je vois dans la décision qu’a prise le Fidesz de quitter le PPE un geste de défense de la démocratie. Cela peut sembler paradoxal, dans la mesure où la presse occidentale se plaît à dépeindre le chef du gouvernement hongrois comme un dictateur – mais c’est bien lui qui assume de façon conséquente le mandat de représentation que lui ont conféré les électeurs. Dans le cadre d’un pays donné, la démocratie ne peut se réaliser que comme volonté des citoyens. » – a déclaré, dans l’entretien qu’il a donnée à Magyar Nemzet, Marco Gervasoni, historien des temps contemporains, enseignant à l’Université de Molise, éditorialiste du quotidien de centre-droit Il Giornale et membre de nombreuses organisations conservatrices.
– Quels commentaires vous inspire la décision qu’a prise aujourd’hui le Fidesz de quitter le groupe parlementaire du Parti Populaire Européen (PPE) et de partir à la recherche d’une voie nouvelle pour la construction d’une droite européenne ?
– Je pense que la décision du Premier ministre Viktor Orbán est digne d’attention, voire exemplaire. C’est surtout du point de vue de la droite conservatrice qu’elle est d’une grande importance. Pour être franc, cela faisait déjà un bon bout de temps qu’il était pour moi devenu incompréhensible que le Fidesz soit toujours membre du PPE. Et je ne fais pas seulement allusion aux conflits de plus en plus envenimés en son sein, mais aussi au glissement gauchisant que subit cette famille de partis européens. Beaucoup de ses partis-membres n’ont plus le moindre atome crochu avec la vision conservatrice du monde. Sans aller plus loin : c’est le cas du parti d’Angela Merkel, qui a approuvé le mariage des personnes de même sexe, ou encore de ces nombreux partis-membres qui défendent des positions pro-migrants. Tout cela est aux antipodes du système de valeurs du mouvement politique dirigé par Viktor Orbán, qui a placé au centre de son programme la défense de l’identité nationale et européenne, la famille traditionnelle, les racines chrétiennes, ainsi que l’arrêt de l’immigration illégale. C’est à lui qu’on doit la mise en garde selon laquelle l’immigration ne soulève pas seulement des questions de sécurité intérieure, mais peut aussi être une source de conflits de civilisation.
Marco Gervasoni, historien des temps contemporains, enseignant à l’Université de Molise et éditorialiste du quotidien de centre-droit Il Giornale – Source : Facebook
– Quel peut être l’effet de la décision hongroise sur les autres partis du PPE ?
– Je vois dans la décision qu’a prise le Fidesz de quitter le PPE un geste de défense de la démocratie. Cela peut sembler paradoxal, dans la mesure où la presse occidentale se plaît à dépeindre le chef du gouvernement hongrois comme un dictateur – mais c’est bien lui qui assume de façon conséquente le mandat de représentation que lui ont conféré les électeurs. Dans le cadre d’un pays donné, la démocratie ne peut se réaliser que comme volonté des citoyens. La soi-disant « démocratie internationale » est irréalisable. Je pense que les forces conservatrices européennes devront, à l’exemple d’Orbán, se battre pour faire respecter l’importance de la démocratie, étant donné que la perspective mondialiste conduit justement à chercher à priver les citoyens de leurs possibilités de décision. Je vois aussi une défense de la démocratie dans le rejet des moyens d’ingérence dans la vie des gouvernements. Un parlement national ne peut pas accepter sans réserve le système juridique européen, or c’est bien là l’objectif des manœuvres en cours : contourner les pouvoirs législatifs nationaux. Le départ du Fidesz pourrait déclencher au sein d’autres partis un processus de réveil de la conscience de soi, et d’autres départs pourraient suivre – je pense notamment aux délégations tchèque et slovaque.
– Quelles ont été les réactions à cette nouvelle chez les hommes politiques du centre-droit italien ?
– Les conservateurs italiens y voient une décision correcte, d’autant plus qu’elle laisse aussi entrevoir la possibilité que le Fidesz rejoigne prochainement la famille de partis dirigée par Giorgia Meloni, les Conservateurs et Réformistes Européens (CRE). L’estime réciproque et l’amitié liant Meloni et Orbán est bien connue : ils ont eu plusieurs rencontres, et se soutiennent dans les moments difficiles. Aujourd’hui comme par le passé, Giorgia Meloni a fait savoir au chef du gouvernement hongrois qu’il pouvait compter sur sa solidarité. Le parti Forza Italia de Silvio Berlusconi n’a pas réagi – chose que, pour ma part, j’ai regrettée, étant donné que les deux partis sont très proches l’un de l’autre depuis de longues années. On a, en revanche, eu la surprise d’entendre un message de Matteo Salvini, président de la Lega, assurant le chef du gouvernement hongrois de sa sympathie et de son affection amicale pour le peuple hongrois. Ce qui a rendu ces déclarations un peu inattendues, c’est que le cabinet Draghi, dont il a récemment accepté de faire partie, suit très nettement la ligne de l’européisme technocratique.
– Quel effet aurait sur la famille de partis CRE l’adhésion du Fidesz ?
– Elle amènerait en tout état de cause un renouvellement, s’agissant d’un parti fort et d’un parti de gouvernement, dirigé par un chef à personnalité marquante. Quand la gauche diabolise quelqu’un, cela signifie invariablement que ce quelqu’un fait bien son travail. Une telle alliance serait aussi d’une grande importance géopolitique, dans la mesure où la création d’un équilibre magyaro-polonais pourrait exercer un pouvoir d’attraction sur les gouvernements de la région : non seulement sur les Tchèques et les Slovaques, mais aussi sur les Slovènes et les Croates, et même sur les Autrichiens, car on sait bien que les vues de Kurz, à l’instar de celles d’Orbán, divergent dans de nombreux domaines de celles du PPE. Je pense qu’en dernière instance, le départ du Fidesz en amènera beaucoup à prendre conscience du fait qu’il y a bien longtemps que le PPE, atteint de schizophrénie, ne représente plus les valeurs et la vision du monde qui ont présidé à sa fondation.
Dalma Jánosi (Rome)
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Traduit du hongrois par le Visegrád Post