Biélorussie – Les arrestations de membres de la minorité polonaise qui ont eu lieu le 25 mars ne sont pas chose inédite en Biélorussie. En revanche, les chefs d’accusation avancés – « incitation à la haine » et « réhabilitation du nazisme » – qui peuvent leur valoir 12 ans de prison correspondent à une nette montée en puissance de la répression exercée par le régime d’Alexandre Loukachenko contre l’Union des Polonais de Biélorussie (ZPB, pour Związek Polaków na Białorusi) qui avait déjà fait l’objet d’une vague de répressions en 2005. Le ZPB a informé le 25 mars de l’arrestation du journaliste Andrzej Poczobut, de Maria Tiszkowska, présidente de la branche du ZPB à Vawkavysk, et d’Irena Biernacka, également activiste du ZPB. Les médias polonais à Hrodna (Grodno en polonais) ont été fouillés et le matériel informatique réquisitionné. L’école polonaise de Lida a également été fouillée par les autorités et on a ensuite appris l’arrestation de l’enseignante Anna Paniszewa alors qu’elle rentrait chez elle de Pologne. Deux jours avant, la présidente du ZPB Andżelika Borys avait elle-même été arrêtée.
Le jeudi 25 mars, l’opposition biélorusse commémorait le Jour de la Liberté. Cette date correspond à l’anniversaire de la proclamation en 1918 de l’éphémère République Populaire de Biélorussie, quand la Biélorussie était devenue un État indépendant pour la première fois de son histoire avant d’être envahie par la Russie soviétique puis partagée entre celle-ci et la Pologne renaissante. Cette fête du 25 mars n’est pas reconnue par les autorités et toutes les demandes d’autorisation pour des commémorations ou manifestations avaient été rejetées. Les avertissements de Loukachenko sur la volonté des autorités de s’opposer à « l’ennemi intérieur » et les répressions qui durent depuis plusieurs mois semblent avoir porté leurs fruits : il n’y a pas eu de manifestations massives le jeudi 25 mars ni le week-end qui a suivi, ce qui n’a pas empêché les autorités d’arrêter plusieurs centaines de personnes, dont la plupart ont été rapidement relâchées ou condamnées à quinze jours de prison. On est désormais loin des manifestations plus importantes de l’été, quand l’opposition avait accusé ce président de style soviétique, en place depuis sa victoire au deuxième tour des élections présidentielles de 1994 (la dernière fois où il a fallu un deuxième tour), de fraude électorale après l’annonce de sa victoire du premier tour par 80 % des voix contre sa principale contre-candidate, Svetlana Tikhanovskaïa, taxée de 10 % des voix. Alors que son mari avait été arrêté en mai, Tikhanovskaïa s’est, après l’élection présidentielle du 9 août, réfugiée en Lituanie avec leurs enfants et elle réclame de nouvelles élections.
Depuis le début du mouvement de protestation, la Pologne voisine est, avec la Lituanie, en pointe dans le soutien à l’opposition biélorusse et dans les demandes d’adoption de sanctions par l’Union européenne. C’est aussi depuis la Pologne qu’émet la télévision d’opposition biélorusse Belsat TV, qui est juridiquement une filiale de la télévision publique polonaise et qui a été cofondée par le ministère polonais des Affaires étrangères et des donateurs internationaux. En Pologne, Alexandre Loukachenko est perçu comme un dictateur hérité de l’époque soviétique et l’objectif de démocratisation de la Biélorussie correspond à la fois à une exigence de solidarité pour un peuple qui a partagé le même joug pendant plus de cinquante ans et à un objectif poursuivi la politique étrangère polonaise depuis la libération du pays en 1990 : éloigner la Russie de ses frontières. Car si les dirigeants polonais ont conscience que l’opposition biélorusse, au contraire de ce qui se passait en Ukraine en 2014, n’est pas anti-russe, ils estiment qu’une Biélorussie démocratique renforcerait son caractère d’État indépendant et le développement d’une identité biélorusse propre.
Ce soutien de la Pologne à l’opposition biélorusse a depuis le début du mouvement de protestation été exploité par Alexandre Loukachenko pour brandir la menace d’un ennemi extérieur coupable des protestations et il avait même accusé la Pologne de vouloir reprendre la ville de Hrodna où vit une forte minorité polonaise et où le mouvement de protestation était particulièrement vivace. Ces accusations avaient suscité des protestations officielles de la Pologne qui est, du fait de son histoire récente (perte des territoires de l’est compensée par le rattachement de territoires allemands), très attachée à la doctrine de non-changement des frontières en vigueur en Europe après la Seconde Guerre mondiale.
Héritage de l’expansion vers l’ouest de la Russie soviétique à la fin de la Seconde Guerre mondiale malgré les expulsions massives vers l’ouest des Polonais après 1945, quelque 400 000 citoyens biélorusses appartiennent encore à la minorité polonaise sur une population de 9,5 millions d’habitants principalement russophones, la langue biélorusse ayant en grande partie disparu du fait de la russification forcée de ce territoire par la Russie après les partages de la République des Deux Nations Polono-Lituanienne à la fin du XVIIIe siècle et à nouveau, en ce qui concerne la partie occidentale du pays qui appartenait à la Deuxième République polonaise à l’issue de la guerre polono-soviétique de 1919-21, après son annexion par l’URSS en 1939 en vertu du pacte germano-soviétique.
La minorité polonaise de Biélorussie s’est organisée à partir de la fin des années 80 à la faveur de la perestroïka et le ZPB a été créé à la chute de l’Union soviétique, quand la Biélorussie est devenue un État indépendant pour la deuxième fois de son histoire. En 1994, le ZPB soutenait le Front national biélorusse – un mouvement identitaire démocratique et conservateur apparu en 1988 – contre l’apparatchik post-soviétique Loukachenko.
Depuis, à chaque fois que celui-ci a besoin d’un ennemi intérieur pour justifier sa politique et noircir les mouvements dissidents, la minorité polonaise est un bouc émissaire tout indiqué, même si les buts poursuivis par le ZPB et ses dirigeants ont toujours été principalement culturels – ouverture d’écoles polonaises, préservation de la langue et de la culture polonaise et défense des intérêts de la minorité polonaise – à l’exclusion de toute revendication d’autonomie ou d’indépendance qui n’aurait pas eu le soutien de Varsovie. À partir de la fin des années 90, Varsovie avait même exercé des pressions sur le ZPB pour qu’il s’engage moins politiquement afin de favoriser une meilleure collaboration avec les autorités biélorusses. Pour Tadeusz Gawin, premier président du ZPB au début des années 90 qui a été interrogé en octobre dernier par la télévision Belstat TV, cette politique de collaboration-soumission qui a duré jusqu’en 2005, quand le ZPB était une des ONG avec le plus grand nombre de membres (environ 30 000) en Biélorussie, n’a rien permis d’obtenir. En 2005, les autorités de Minsk ont refusé de reconnaître l’élection d’Andżelika Borys à la tête de l’organisation de la minorité polonaise et ont fait élire un autre militant plus proche du pouvoir, ce qui a conduit à la scission du ZPB en deux, et c’est la fraction d’Andżelika Borys, seule reconnue par Varsovie, qui fait aujourd’hui l’objet de répressions.