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Izabella Caussanel : « Il faut se rappeler quelle magnifique culture on a »

Temps de lecture : 9 minutes

Entretien avec Izabella Caussanel, chanteuse du groupe hongrois Ötödik Évszak (Cinquième Saison) : «Il faut se rappeler quelle magnifique culture on a. Redécouvrir des textes magnifiques, qui racontent vraiment quelque chose. »

Fin 2020, le groupe a sorti son premier album, « Ne rejtsd el » (Ne le cache pas), avec treize titres mélangeant aussi bien les langues hongroise et française que les styles. Si la folk hongroise est dominante, d’autres influences plus jazzy et le mélange des cultures évoquent plutôt la catégorie fourre-tout de « musique du monde », bien que parler de « musique franco-hongroise » serait plus adéquat.

Ferenc Almássy, franco-hongrois également, n’a pas pu manquer l’occasion d’interroger la chanteuse du groupe, Izabella Caussanel, qui écrit, traduit et interprète pour donner au final une identité unique à ce nouveau groupe déjà très bien accueilli sur la scène musicale hongroise ainsi que dans la presse.

Poèmes hongrois et français – les auditeurs reconnaitront ou découvriront des textes de Victor Hugo ou encore de Attila József – et sonorités transylvaines et jazzy, découvrez Ötödik Évszak (prononcé « euteudique év-sac »), qui a tout pour séduire à Paris comme à Budapest.

Photo du groupe Ötödik Évszak

Ferenc Almássy : Je suis très heureux que vous nous accordiez cet entretien. D’autant plus que c’est votre premier entretien en français m’avez-vous dit. Avant de parler de votre groupe et de la musique, pouvez-vous vous présenter aux lecteurs qui ne vous connaissent pas encore ?

Izabella Caussanel : Je suis franco-hongroise et je vis en Hongrie depuis quatre ans. Ma mère, connue sous le nom de Gyenis Kati a été une figure du táncház, le mouvement de revival du folk hongrois ; elle a tout quitté pour vivre avec mon père en France, mais elle a continué en région parisienne à faire vivre et faire connaître cet aspect de la culture hongroise, et d’autres. Elle a aggloméré une communauté hongroise autour d’elle et a été une ambassadrice de la danse, du chant, des habits traditionnels et de la gastronomie de Hongrie. Avec l’Institut hongrois à Paris, une fois par mois, elle organisait un táncház. Donc j’ai baigné dans cette identité culturelle depuis toute petite, et j’ai toujours été heureuse que ma mère vienne par exemple à l’école faire des démonstrations de chant et de danse.

Après avoir vécu en banlieue parisienne et passé mon bac, je suis venue m’installer en Hongrie. J’ai commencé par une année de remise à niveau en hongrois, dans une école de langue à Budapest, puis j’ai étudié deux ans au conservatoire Béla Bartók à Budapest, dans la section jazz. Et depuis un an, je suis investie dans notre groupe !

Ferenc Almássy : Étant amateur de musique folklorique, et en particulier du folk hongrois, j’ai tout de suite accroché à votre style. Néanmoins, il est assez difficile à qualifier. Si l’influence de la musique du bassin des Carpates – et en particulier de la musique de Hongrie et de Transylvanie – est prépondérante, il y a aussi d’autres aspects qui donnent un cachet et un style particulier. Comment vous définiriez le style de Ötödik Évszak ?

Izabella Caussanel : C’est difficile ! Moi-même je me pose souvent la question. Pour faire simple je dirais que c’est de la musique du monde, ne serait-ce que parce que c’est une fusion. Une fusion du français et du hongrois, déjà. Mais aussi une fusion du jazz et de la musique traditionnelle hongroise, tout en restant acoustique, avec des instruments hongrois acoustiques.

Mais pour être franche, on ne s’est jamais trop posé la question, on n’a pas commencé en se disant, on va faire tel style. Dès le début, on savait juste qu’on voulait jouer ensemble, on savait nos spécificités : que je suis française et hongroise, et qu’eux sont dans la musique traditionnelle hongroise. Mais à côté de ça nos influences sont aussi nombreuses et éclectiques. Et là je parle aussi bien de Freddy Mercury et de Santana, que de Louis Armstrong ou de la pop contemporaine ! Mes collègues moins, mais moi je suis clairement influencée par la pop et même le rap.

Mais pour revenir à la question, on ne cherche pas à avoir un style en particulier. Je crois que ça se reflète aussi dans ce nom si complexe de Cinquième Saison, c’est quelque chose d’indéfinissable, même pour nous, et c’est un nom qui laisse beaucoup de possibilités ! Qui sait ce qu’on pourra faire dans cinq ans, pourquoi pas un album techno avec des instruments folkloriques, en tout cas on ne veut pas rester bloqués dans un style. On a envie de toucher à tout et tout essayer.

Mais ce qui est fixe, c’est notre identité basée sur le chant en français et en hongrois, et des instruments hongrois. Je ne pourrais pas chanter en anglais ou en espagnol comme je le fais en français et hongrois par exemple, qui sont mes deux langues, et dans lesquelles je peux mettre tout mon cœur.

Ferenc Almássy : On a l’impression d’assister à un travail collectif expérimental, en particulier avec l’assemblage de la musique hongroise et du chant français. Comment est venue l’idée de cet amalgame inédit ?

Izabella Caussanel : J’ai connu Sándor Csoóri quand j’avais quinze ans, il était alors au Buda Folk Band, et il était mentor à un camp d’été où j’ai été prise après avoir envoyé une vidéo de chant. Je le connaissais déjà de par ma mère, comme ils sont du même milieu du folk hongrois. Et on s’est bien entendu tout de suite et on a eu l’idée de faire un groupe plus tard – j’étais encore trop jeune alors, et j’habitais en France. Ça m’a donné l’envie d’aller vivre en Hongrie, car j’avais à partir de là un projet de vie qui m’attendait. J’ai vécu avec l’espoir de faire un groupe de musique avec toute la bande de musiciens folk hongrois, et nous y voilà.

C’est lui qui a eu l’idée pour le nom, Cinquième Saison. Je n’avais pas compris au début, et je pensais devoir chanter seulement en hongrois et que ça deviendrait un groupe comme un autre. Mais à notre première rencontre pour commencer le groupe, il m’a proposé de traduire et chanter un texte en français.

Je trouvais ça surprenant et osé, chanter un poème hongrois en français sur un air hongrois, ce n’était pas anodin. Et c’est parti de là, tous les musiciens avaient confiance en moi et m’ont soutenue alors que je débutais tout juste.

Ferenc Almássy : Vous travaillez donc avec des textes hongrois traduits et des textes français. Les musiciens, eux, ne parlent pas français, alors comment se passe la mise en musique ?

Izabella Caussanel : Quand j’ai commencé mon école de jazz, je voyais les gens composer, et je me disais, moi aussi je veux composer, je ne peux pas être la chanteuse qui ne compose pas.

J’ai écrit quelques accords, j’ai montré à Sándor, et il m’a dit, ça, c’est du mahala (une sous-catégorie des musiques moldave et tsigane). Il a alors commencé à le jouer dans ce style là, et a pensé au poème de Attila József Tedd a kezed. Je me suis dit, et si on essayait ça en français ? Et on a écrit Mets ta main.

Pour À une femme, je ne sais plus si j’ai trouvé le poème avant, mais on a utilisé une mélodie traditionnelle hongroise, et on a adapté. Pour la chanson Invertita, j’ai traduit les paroles d’un chant traditionnel hongrois, et j’ai remplacé les lieux hongrois par les Champs Élysées ou par le pont des amoureux.

C’est tout plein de petites idées, comme ça nous vient, parfois la musique nous inspire, parfois un poème, parfois on adapte, parfois on compose. On fait ça sans prise de tête au gré de nos inspirations !

Donc pour résumer, soit je chante en français sur une mélodie traditionnelle qu’ils connaissent, donc ça ne change rien pour eux, soit j’écris et je leur soumets une partition. Et c’est là aussi que l’aspect expérimental se fait sentir, car ce sont des musiciens avec des caractères forts et c’est dans ces moments qu’on exprime vraiment l’identité du groupe avec nos influences diverses.

Ferenc Almássy : Dans un entretien au Magyar Nemzet, vous disiez que vous vous étiez penchée sur les musiques folkloriques de France. Vous avez fait ça dans le cadre de vos études ou à titre personnel ?

Izabella Caussanel : Il y a trois ans j’ai découvert grâce à Sándor the Global Jukebox, une carte du monde avec des recueils de chant, et ça a changé ma vie. J’ai découvert la proximité des chants traditionnels à travers le monde. Et puis des pays proches ont des influences très importantes les uns sur les autres, comme en Europe par exemple.

Et en écoutant plein de vieilles chansons françaises, je me disais que si je les chantais en hongrois, ça sonnerait tout pareil ! Ça pourrait sonner comme une chanson hongroise folklorique.

Bien sûr, il y a quand même des mélodies typiques, on peut reconnaître à certains airs s’ils sont français ou hongrois.

Ferenc Almássy : Justement, le style hongrois est bien identifiable, unique même, et aujourd’hui, en plus de cela, il y a une survivance de la musique folklorique en Hongrie, même si c’est une niche qui s’inscrit dans le mouvement de revival et que ce n’est plus la musique populaire par défaut – puisqu’en Hongrie comme ailleurs la radio, la télé et internet ont véhiculé de nouvelles musiques et de nouveaux styles qui se sont imposés à tous, notamment pour la fête.

Mais la scène hongroise de musique folklorique est beaucoup plus importante qu’en France par exemple, ou même s’il existe des groupes de musique, des associations ou des festivals qui font vivre les musiques autochtones, la place de la musique folklorique dans les deux pays n’est pas comparable.

Izabella Caussanel : À mon sens, il n’y a pas de différence fondamentale, la langue fait l’essentiel selon moi. Il y a en tout cas des bijoux musicaux aussi bien ici que là-bas. À vrai dire, j’aimerais bien reprendre une chanson française, et j’entends là, reprendre une chanson folklorique de France, une vieille chanson populaire. Il y a des chansons oubliées, formidables, des vidéos sur YouTube avec 32 vues, dont tout le monde se fout. C’est malheureux qu’on ait perdu ça. C’est dommage, ce serait bien que les gens en prennent conscience et peut-être que les faire redécouvrir en les modernisant ou en les réutilisant dans de nouveaux morceaux peut être une piste.

J’aime pas mal de choses qui se font aujourd’hui, mais je pense qu’il ne faut pas oublier d’où on vient. Mes amis en France de différentes cultures entretiennent leur identité propre en écoutant des musiques de leurs pays par exemple, ils n’oublient pas d’où ils viennent, et nous devrions faire pareil, nous non plus ne devrions pas oublier nos racines en France. Il faut se rappeler quelle magnifique culture on a. Redécouvrir des textes magnifiques, qui racontent vraiment quelque chose.

Je pense que c’est ce qui permet au mieux de comprendre ce que les gens ressentaient jadis. Toutes les humeurs avaient une chanson, tous les sentiments étaient mis en chanson. La valeur de ces chants de travail, d’amour, de joie ou de tristesse, je pense qu’on l’a perdue. On ne pense plus pareil aujourd’hui. Ce n’est pas grave, mais je pense que c’est quelque chose de très beau qui peut nous apporter énormément.

Ferenc Almássy : Est-ce que quelque part Ötödik Évszak a pour mission de remettre au goût du jour un certain nombre de chansons anciennes européennes et de les faire découvrir ou redécouvrir au public ?

Izabella Caussanel : Pour nous ça n’a jamais été une mission. Après, si ça permet aux gens de découvrir d’autres horizons, tant mieux ! Prenez le táncház, on est entraînés par la musique et notre corps nous commande de danser jusqu’au petit matin. Ca prend par les tripes, le but premier c’est ça, transmettre cette passion. Après nos influences sont nombreuses donc on ne cherche pas à rester sur quelque chose de purement traditionnel. On est touche-à-tout et influencés par plein de styles.

Ferenc Almássy : La situation actuelle est compliquée pour les musiciens, mais j’imagine que vous n’êtes pas inactifs. Quels sont vos projets, sur quoi travaillez-vous actuellement ?

Izabella Caussanel : Quand notre album est sorti, on était donc déjà en plein dans la crise actuelle. Mais beaucoup de choses se font. On a tourné un clip il y a peu, par exemple.

Nous faisons des concerts en ligne et nous préparons de nouveaux morceaux. On prépare un deuxième album, on a eu le temps d’écrire plein de nouvelles choses. Il y aura aussi des clips à venir encore.

Ferenc Almássy : Vous avez des projets particuliers concernant la France ?

Izabella Caussanel : J’aimerais beaucoup faire connaître notre groupe et notre œuvre en France. On était censés aller à Bondy faire un concert, mais avec la situation actuelle, ça ne s’est pas fait. Pour autant ça reste quelque chose que je prévois et que j’aimerais beaucoup. C’est mon rêve de monter sur scène à la Maroquinerie (rires). Je pense qu’il y a de plus en plus de gens ouverts à des styles différents, je pense qu’il y a une lassitude grandissante par rapport à tout ce qui nous est donné à écouter à la radio ou à la télé.

Je ne veux forcer personne à aimer la musique folklorique, je pense que de toute façon c’est quelque chose que soit tu as en toi, tu l’as dans tes gènes, dans tes tripes, tu es né avec, soit tu passes à côté. Il ne faut jamais dire jamais, mais je pense qu’on ne sera jamais le genre de groupe qui cartonnera partout, moi ça me suffit d’être comme on est, faire nos petites tournées, avec un public plus modeste mais passionné. La sincérité d’un public plus petit a une grande valeur pour moi. Quand je vois les déferlements de commentaires insultants ou haineux sur les réseaux pour les groupes connus, je crois que jamais je n’aimerais être connue ! (rires)

On n’a pas un grand public mais ça me va tout à fait. On ne peut pas rêver mieux qu’avoir un public qui cherche quelque chose de spécial et qui nous aime à notre juste valeur. Un public de 3000 personnes comme mes musiciens ont eu lors de concerts de tournée avec le Buda Folk Band, j’arrive pas à l’imaginer, mais tant mieux si ça se fait un jour.


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