Pologne/Allemagne – Faisant référence, dans un entretien publié ce lundi 21 novembre par le quotidien allemand Rheinische Post, à l’incident du 15 novembre par lequel un missile antiaérien ukrainien est tombé sur une exploitation agricole en Pologne, tuant deux personnes, le ministre allemand de la Défense, Christine Lambrecht, a notamment déclaré que l’Allemagne avait proposé à la Pologne de l’aider à sécuriser son espace aérien avec des Eurofighters et des systèmes de défense aérienne Patriots provenant de la Bundeswehr.
Interrogé le même jour par le quotidien polonais Rzeczpospolita, l’ambassadeur d’Allemagne en Pologne, Thomas Bagger, a développé ce propos :
« Nous discutons depuis longtemps avec les autorités polonaises de la participation allemande au renforcement de la sécurité de la Pologne,
mais l’incident de Przewodów a rendu la question encore plus importante. Ces derniers jours, nous avons donc fait une offre pour la participation d’avions de combat Eurofighter [allemands] aux patrouilles dans le ciel polonais et maintenant [pour] le déploiement de batteries Patriot sur le territoire polonais. Cela montre l’importance accordée à Berlin au fait que la Pologne n’est pas seulement notre voisin, mais aussi notre allié. […]
Nous comprenons que la sécurité de la Pologne est aussi notre sécurité.
[…] Je suis donc très heureux que nous puissions apporter une contribution […] au renforcement de la sécurité polonaise. Cela pourrait être le premier pas vers une plus grande implication de l’Allemagne dans la défense de la Pologne. »
En réaction, le président polonais Andrzej Duda a immédiatement réagi et déclaré :
« La proposition de l’Allemagne de transférer des systèmes Patriot à la Pologne est un geste important de l’alliance ;
nous aimerions que ces ensembles de défense antimissile soient proches de la frontière avec l’Ukraine et protègent cette zone. […] Nous soutenons l’Ukraine, nous avons envoyé un soutien militaire puissant, aujourd’hui nous recevons le soutien de l’Allemagne. »
Deux jours plus tard, le mercredi 23 novembre, le ministre polonais de la Défense, Mariusz Błaszczak, a exprimé une contre-proposition à l’adresse de l’Allemagne et suggéré que ces batteries de missiles antiaériens Patriot ne soient pas remises à la Pologne, mais à l’Ukraine :
« J’ai demandé à la partie allemande que les batteries Patriot proposées à la Pologne soient transférées à l’Ukraine et disposés près de sa frontière occidentale.
Cela évitera à l’Ukraine de nouvelles victimes et des coupures de courant et renforcera la sécurité de notre frontière orientale. »
Błaszczak a ainsi repris une proposition qui avait été faite un peu plus tôt, « en son nom propre », Jarosław Kaczyński, le chef du parti Droit et Justice (PiS), principal parti de la coalition gouvernementale Droite unie (Zjednoczona Prawica). Pour Kaczyński, mettre les batteries de Patriot à la disposition des Ukrainiens
« permettrait probablement d’abattre les missiles ennemis plus efficacement qu’avec les S-300. »
« D’autre part, cela nous protégerait d’incidents comme celui qui s’est produit à Przewodów », a encore dit le chef du PiS. « En même temps, si les Russes décidaient de nous attaquer, ce serait également une protection pour nous. »
Réponse jeudi du ministre allemand de la Défense, Christine Lambrecht : « Les systèmes Patriot sont prévus pour la défense antiaérienne intégrée de l’OTAN et c’est la raison pour laquelle nous avons pu faire cette proposition à la Pologne. Toutes les autres propositions différentes doivent être discutées avec l’OTAN et nos alliés. »
Les systèmes Patriot allemands doivent en effet être desservis par des unités allemandes, et leur transfert à l’Ukraine constituerait un engagement direct dans la guerre de défense ukrainienne contre la Russie, ce qui vaut au gouvernement polonais les critiques acerbes de l’opposition polonaise. Elle voit en effet dans cet appel à l’Allemagne d’envoyer les batteries proposées à l’Ukraine une volte-face dénuée de sens : après avoir initialement accepté la proposition allemande en remerciant Berlin, le gouvernement Morawiecki aurait, à l’initiative de Jarosław Kaczyński, choisi de refuser des batteries antimissiles dont la Pologne a pourtant grandement besoin.
Pour les principaux partis d’opposition polonais, cela s’inscrit dans la rhétorique anti-allemande développée ces derniers temps par le chef du PiS dans le cadre de rencontres avec les électeurs dans tout le pays.
Ainsi, pour Rafał Trzaskowski, le maire libéral de Varsovie (PO), le rejet de la proposition allemande au nom des « phobies » du président du PiS « est à la limite de la folie ».
L’ambassadeur d’Allemagne en Pologne a lui aussi réagi au changement de ton au sein du gouvernement polonais à propos des batteries de Patriots, en assurant que la proposition allemande avait été fait de bonne foi et que
« la Pologne pourrait avoir une influence significative sur le débat en Allemagne à propos de la politique vis-à-vis de la Russie », mais que pour cela « une approche constructive de Varsovie est nécessaire ».
Selon une déclaration du vice-ministre polonais de la Défense, les discussions entre son chef, Mariusz Błaszczak, et le ministre allemand de la Défense durent encore et l’affaire n’est pas close, d’autant que le président polonais Andrzej Duda aurait exprimé le souhait de se joindre aux discussions alors qu’il semble avoir été lui-même surpris par la proposition d’envoyer les Patriots allemands en Ukraine.
Il se trouve toutefois des voix en Allemagne aussi pour soutenir la proposition polonaise, y compris au sein des partis de la coalition. Ainsi, Anton Hofreiter (Verts), qui préside la commission des affaires européennes du Bundestag, estime que la proposition de Varsovie est « absolument juste ». Selon lui,
aucun accord de l’OTAN n’est nécessaire puisque l’Allemagne et l’Europe « ont déjà fourni des systèmes de défense antiaérienne nettement plus modernes ».
Dans le tabloïde à grand tirage Bild, le correspondant du journal à Kiev a lui aussi appelé jeudi, face aux bombardements systématiques des infrastructures énergétiques civiles ukrainiennes par la Russie à l’approche de l’hiver, à envoyer en Ukraine les batteries Patriot proposées à la Pologne.