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Nikola Mirkovic : l’ingérence de l’OTAN et de l’occident a complètement déséquilibré les Balkans qui risquent d’exploser bientôt

Temps de lecture : 8 minutes

Kosovo – Entretien avec Nikola Mirkovic, auteur et activiste critique envers l’OTAN : « L’ingérence de l’OTAN et de l’occident a complètement déséquilibré les Balkans, qui ne s’en sont toujours pas remis. Aujourd’hui on croit à tort que la paix est revenue, mais croyez-moi, les Balkans demeurent une cocotte-minute qui ne demande qu’à exploser ».

Près de deux décennies après l’intervention de l’OTAN dans la région, la situation au Kosovo n’a fait que s’empirer. C’est ce que M. Nikola Mirkovic, auteur du livre « Le Martyre du Kosovo » et fondateur de l’association Ouest-Est, a expliqué à Marco Rumignani pour le Visegrád Post.


Marco Rumignani : 18 ans après, que peut-on dire aujourd’hui du Kosovo? Comment se porte la société au Kosovo aujourd’hui ?

Nikola Mirkovic : Le Kosovo est un trou noir en plein milieu de l’Europe . C’est une région qu’on essaye de séparer par la force de la Serbie contre la résolution 1244 de l’ONU. C’est une région aux mains d’ex-terroristes de l’UCK, dont le chef est l’ancien responsable de l’UCK dont un rapport du Conseil de l’Europe dit qu’il est le « plus dangereux des parrains de la pègre. » C’est une zone de non droit pour les Serbes chrétiens qui vivent dans les enclaves et qui sont encore régulièrement attaqués à cause de leur foi.

Même les Albanais de la région n’y croient plus. Ils fuient massivement vers l’Union européenne car ils savent que l’indépendance pour eux est une farce et que les seules qui ont tiré leur épingle du jeu macabre de la guerre dans les années 1990 sont les mafieux et leurs alliés de l’OTAN. Pour Giuseppe Arlaachi, spécialiste de la lutte anti-mafia et eurodéputé socialiste : « Nous avons créé un Etat mafieux et ne nous soucions que de dissimuler cette vérité. »

MR : Les forces de maintien de paix ont-elles vraiment pu s’interférer entre les parties, ou peut-on parler d’occupation, au regard du droit international ?

Nikola Mirkovic : L’ONU ne reconnaît pas l’indépendance du Kosovo. Elle l’a très clairement exprimé dans sa résolution 1244. Les forces de maintien de la paix ont très largement œuvré pour les Albanais et ont fermé les yeux sur beaucoup de crimes de guerre qu’ils ont commis. D’ailleurs la plupart de ces forces sont issues de l’OTAN c’est-à-dire l’organisation militaire qui a bombardé les Serbes et les a chassé de leur province méridionale au détriment du droit international. Comment voulez-vous que ceux qui ont chassé les Serbes leur viennent en aide aujourd’hui ?

Depuis l’arrivée de l’OTAN dans les Balkans 150 églises ont été détruites, 200.000 Serbes ont dû fuir, 1 000 Serbes sont portés disparus alors qu’en même temps 600 mosquées ont été construites essentiellement avec de l’argent des wahhabites d’Arabie Saoudite. Ces forces n’ont de « maintien de la paix » que le nom et elles usurpent le droit international car, en réalité et à quelques exceptions comme au Monastère de Visoki Dečani, c’est une armée d’occupation.

Les États-Unis ont créé leur plus grande base militaire en Europe au Kosovo. Pour la paix ? Pas vraiment. Pourquoi ces soldats de la paix ont-ils fermés les yeux lors du pogrom antiserbe de mars 2004 où plus de 20 personnes furent tuées, 30 églises profanées et des milliers de Serbes, qui avaient survécu aux attaques des années 1990, ont finalement du fuir. Ces forces servent insidieusement le nettoyage ethnique contre les Serbes.

Jacques Hogard, colonel français qui a opéré sur place, le raconte très bien dans son livre « L’Europe est morte à Pristina ». Un jour il a dû tirer sur des terroristes albanais de l’UCK qui tiraient sur une colonne de réfugiés serbes. Il s’est fait réprimandé sur le champ par son supérieur britannique qui l’a intimé d’arrêter. Quand le colonel français demanda pourquoi, le général britannique lui avoua benoîtement que parmi les terroristes de l’UCK se trouvaient… des SAS britanniques. L’objectif final de toute cette guerre aura été d’essayer de virer les Serbes de chez eux pour que le Kosovo, qui n’a jamais été un pays auparavant, devienne purement ethniquement albanais. C’est tout le contraire de la rhétorique que nous avons entendue dans les médias dans les années 1990… Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose…

MR : Quelle a été votre expérience durant l’intervention de l’OTAN en 1999? Avez-vous assisté à des combats ? 

Nikola Mirkovic : Pendant la guerre j’habitais Paris et je prenais des nouvelles tous les soirs de ma famille en Serbie. La situation en France était insoutenable à cause de la propagande qui dégoulinait des médias. En Serbie ma famille avait accès aux médias occidentaux et aux médias yougoslaves et serbes, elle pouvait se faire une opinion objective. En France nous n’avions que la voix des médias dominants qui étaient, à quelques rares exceptions près, les porte-paroles de l’OTAN. Il n’y avait quasiment aucune voix discordante, aucun débat de fond, uniquement de la propagande. Du coup je suis parti à Belgrade avec ma jeune femme française et nous avons été boucliers humains quelques jours sur les ponts pour éviter que l’OTAN ne les bombarde. C’était ma façon à moi de mettre ma vie derrière mes idées mais je n’ai pas participé aux conflits.

MR : Comment auraient dû être réglés les conflits au Kosovo entre les communautés ?

Nikola Mirkovic : Il fallait respecter la souveraineté de la Yougoslavie et laisser les Yougoslaves régler ce problème. Au lieu de cela les occidentaux ont financé et soutenu des groupes factieux dans l’ensemble de la Yougoslavie pour que celle-ci se disloque. Nous savons tout cela aujourd’hui, ça n’est même pas caché.

Pierre Péan le décrit très bien dans son livre « Kosovo, une guerre « juste » pour un État mafieux ». Les terroristes du Kosovo ont reçu des formations et de l’aide militaire par des membres de l’OTAN, dont la France de Jacques Chirac, pour aller attaquer les institutions serbes et les Serbes eux-mêmes. On se retrouvait dans cette situation diabolique où les chancelleries occidentales condamnaient la police serbe qui répondait aux terroristes (et non pas des libérateurs) qui étaient eux-mêmes soutenus par ces mêmes chancelleries ! C’est la tactique du pompier pyromane. Il fallait laisser les peuples de la région négocier dans le cadre de leurs institutions.

Éventuellement l’ONU aurait pu envoyer des émissaires pour faciliter les négociations mais en aucun cas fallait-il laisser les États-Unis de Bill Clinton les mains libres pour faire à sa guise dans la région. Ce qui est sûr, c’est que l’ingérence de l’OTAN et de l’occident a complètement déséquilibré les Balkans, qui ne s’en sont toujours pas remis. Aujourd’hui on croit à tort que la paix est revenue, mais croyez-moi, les Balkans demeurent une cocotte-minute qui ne demande qu’à exploser. Voilà la conséquence directe de l’intervention de l’OTAN.

MR : Ramush Haradinaj a été relâché après avoir été arrêté en France. Il semble que de nombreux criminels échappent à la justice. Cette dernière primera-t-elle un jour selon-vous, et si c’est le cas, comment ?

Nikola Mirkovic : Comment peut-on parler de justice ? Avant même que la guerre ne commence les Serbes étaient déjà accusés ! Les médias les montraient du doigt, les politiciens avaient lancé l’anathème avant même de nous bombarder pour justifier leurs guerres. En même temps, très peu d’Albanais terroristes ont été condamnés et, quand par miracle, l’un d’entre eux se retrouvait dans les mailles du filet, il était relâché rapidement.

Haradinaj a été arrêté en France en effet. Il avait déjà été arrêté dans le passé et jugé au Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie mais il a été acquitté. Pendant son procès 14 témoins prêts à témoigner contre lui ont été tués ou retrouvés morts dans des conditions inexpliquées. Avez-vous vu un seul média occidental s’interroger sur cette libération pour le moins douteuse de Haradinaj ? Haradinaj dit qu’il est innocent, et pourtant dans son propre livre il avoue qu’il a tué des Serbes et des Albanais ennemis de sa cause.

MR : Les djihadistes qui opèrent depuis les années 90 dans les Balkans ont-ils les mêmes ramifications que ceux qui opèrent en Syrie, et qui ont frappé la France ?

Nikola Mirkovic : Les premiers djihadistes venaient plutôt d’Iran, c’était pendant la guerre de Bosnie puis ces derniers ont été supplantés par ceux d’inspiration wahhabite financés par l’Arabie Saoudite. Il y a eu des islamistes au Kossovo mais ils étaient minoritaires. Les terroristes albanais de l’UCK venaient plutôt des milieux du crime organisé. Aujourd’hui en revanche, depuis les bombardements de l’OTAN les Wahhabites sont arrivés en force dans l’ensemble des Balkans et notamment au Kosovo. Ils créent des entreprises, investissent et font pousser des mosquées comme des champignons après la pluie. Certains prédicateurs payent mêmes les enfants albanais pour apprendre les sourates du coran. En Europe, les pays qui fournissent le plus de djihadistes au Moyen-Orient par tête d’habitant proviennent de Bosnie-Herzégovine et du Kosovo c’est à dire les régions où l’OTAN est intervenue dans les années 1990. Il ne faut pas croire qu’il n’y a que les Serbes qui s’en émeuvent. De nombreux Albanais comme Genc Morina s’inquiètent aussi de cette islamisation rapide qui gangrène la société. Malheureusement ils sont une majorité silencieuse.

MR : Quelles sont vos attentes quant à la nouvelle administration américaine, et quant à sa politique étrangère ? 

Nikola Mirkovic : En Serbie tout le monde a poussé un « ouf » de soulagement quand Hillary Clinton a perdu. Elle, et son mari Bill, ont fait beaucoup de mal au peuple serbe. Trump a eu un discours non-interventionniste, ce qui plaît aux Serbes mais au bout de 3 mois de présidence, il a déjà attaqué illégalement la Syrie, comme Washington avait attaqué illégalement la Serbie en 1999. Ca n’est pas un bon signe mais nous n’avons pas encore vu quel est son plan pour les Balkans; alors, « Wait and see », comme ils disent.

MR : Quelle est l’influence de l’Union européenne sur les pays de l’ancienne Yougoslavie: sur leurs économies, sur leurs politiques internes ? Peut-on parler de dépendance de la Slovénie et de la Croatie à l’égard de Bruxelles ? 

Nikola Mirkovic : Il faut comprendre que l’éclatement de la Yougoslavie a servi d’abord les États-Unis qui ne voulaient pas d’une région non-atlantiste aussi importante en Europe. L’Allemagne aussi a été très contente de prendre sa revanche sur les guerres passées perdues et d’étendre son influence économique au sud de ses frontières et aux bords de la Méditerranée. L’Union européenne, qui est un projet que les Américains ont fortement influencé après la deuxième guerre mondiale, ne fait qu’exécuter des ordres de Washington. Aujourd’hui l’UE ne cesse de menacer la Serbie de refuser son intégration si elle refuse de reconnaître l’indépendance du Kosovo. C’est une honte. L’ONU reconnaît le Kosovo comme un territoire serbe mais l’UE ne respecte rien car l’UE exécute les ordre de Washington.

La Croatie et la Slovénie sont de bons exemples de cette inféodation. L’actuelle présidente croate Kolinda Grabar-Kitarović était auparavant l’ambassadrice de la Croatie aux États-Unis puis la secrétaire générale de l’OTAN chargée des informations publiques. L’un des diplomates slovènes les plus actifs de la région est le slovène Samuel Zbogar, ancien ambassadeur de Slovénie aux États-Unis et cheville ouvrière de l’intégration de la Slovénie dans… l’OTAN. Ces deux pays sont malheureusement devenus des protectorats de Washington.

MR : La Serbie fait face à de nombreux choix liés à l’Union européenne.  Pensez-vous qu’une Serbie membre de l’UE serait envisageable ?

Nikola Mirkovic : Je pense que oui mais l’union européenne existera-t-elle encore quand la Serbie sera prête ? Les politiciens serbes veulent l’UE pour recevoir des subventions. Aussi la Serbie réalise la plus grande partie de son commerce avec des pays membres de l’Union européenne. Se rapprocher de l’Union n’est pas dénué de sens. En revanche est-ce dans l’intérêt des Serbes ? Les Serbes si attachés à leur indépendance que cela soit face aux Ottomans, aux Nazis, à l’OTAN, pourront-ils souffrir d’abdiquer leur souveraineté en faveur de Bruxelles qui prendra 80% des décisions politiques pour elle ? La Serbie acceptera-t-elle les sanctions économique imposées à Moscou alors qu’aujourd’hui elle refuse de les appliquer malgré de très fortes pressions de Bruxelles ? La Serbie pourra-t-elle abandonner le Kosovo ce qui semble être une condition cachée de son accession à l’UE ? La Serbie a-t-elle envie de suivre le même chemin que la Croatie ou la Slovénie qui sont déjà rentrées dans l’Union européenne et pour qui aucun miracle économique ne s’est produit ? Le portefeuille serbe dit oui à l’entrée dans l’Union européenne, mais la tête et le cœur serbes semblent dire que les prix à payer n’en valent pas la chandelle.

MR : Quelles sont les perspectives d’avenir de la région des Balkans ? 

Nikola Mirkovic : Les perspectives ne sont pas bonnes. Les pays des Balkans sont en train de devenir des protectorats qui ont perdu leur autosuffisance économique et leur souveraineté. Les Balkans ont été dépossédés de leurs industries locales au profit de multinationales étrangères venus s’y installer après les guerres des années 1990. Le chômage dépasse les 20% dans tous les pays, la corruption et le crime organisé gangrènent la société et les institutions et les problèmes de frontières ne sont pas du tout réglés comme nous pouvons le voir au Kosovo et en Bosnie-Herzégovine mais également en Macédoine ou au Monténégro. Une véritable diagonale verte islamiste traverse la région de la Bosnie-Herzégovine à la Macédoine en passant par le Kosovo sous le regard impassible des soldats de l’OTAN. Une étincelle peut malheureusement tout faire repartir comme en ’90.

Entretien réalisé le 12 avril