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Max Ferrari : « La Ligue veut coopérer avec le Fidesz et le PiS »

Temps de lecture : 7 minutes

Entretien réalisé par Olivier Bault pour le magazine hebdomadaire Do Rzeczy : « L’Italie plus proche du V4 ? »

Entretien avec Max Ferrari, journaliste, expert de la Ligue italienne pour les questions internationales, conseiller du président de Lombardie Attilio Fontana. Entretien publié dans l’hebdomadaire polonais Do Rzeczy du 1er octobre 2018 et traduit avec l’aimable autorisation de la rédaction de Do Rzeczy.


Olivier Bault : Lors de leur rencontre fin août à Milan, Matteo Salvini et Viktor Orbán ont donné l’impression de parler à l’UE d’une seule voix, en particulier en ce qui concerne l’immigration et leur rapport à Bruxelles et au président français Emmanuel Macron. Mais la position du ministre de l’Intérieur est-elle bien celle du gouvernement italien ? Il s’est trouvé des voix au sein du Mouvement 5 étoiles (M5S) pour dire que non. Par exemple celle du président du groupe M5S au Sénat, qui a parlé d’une simple « rencontre politique ».

Max Ferrari : C’est vrai qu’il ne s’agissait pas d’un sommet intergouvernemental et que Matteo Salvini exprimait le point de vue de la Ligue et pas forcément celui du gouvernement italien. On ne peut toutefois pas faire l’impasse sur le fait que Salvini est à la fois chef de la Ligue et vice-premier ministre. Il n’est pas possible de séparer complètement ces fonctions. C’est aussi en tant que ministre de l’Intérieur et vice-premier ministre qu’il a rencontré le premier ministre hongrois.

Par ailleurs, les sondages trahissent un soutien grandissant pour la Ligue. Celle-ci dépasse désormais son partenaire au sein du gouvernement et est en tête des intentions de vote. L’impression est la même quand on discute avec les gens dans la rue. Au sein du gouvernement et à l’extérieur, ce que fait Salvini dans le domaine de l’immigration bénéficie d’un important soutien, y compris dans les rangs du M5S. L’aile droite de ce parti, dont les vues sont plus proches de la Ligue, domine de plus en plus.

Pour ce qui est de la politique d’immigration, la principale différence entre la Ligue et le M5S, c’est l’attitude par rapport à la relocalisation des migrants. Le M5S est pour, tandis que la Ligue veut, comme le gouvernement hongrois et ses partenaires du V4, stopper complètement l’immigration illégale. Nous nous rendons compte qu’accepter la relocalisation enverrait un mauvais signal. C’est pourquoi nous comprenons les pays du V4 quand ils refusent ce mécanisme. Nous savons bien que ce n’est pas par égoïsme ni par racisme. Dans ce domaine, la Ligue est beaucoup plus proche d’Orbán que le M5S.

La Ligue porte aussi traditionnellement une plus grande attention à ce qui se passe en Europe centrale. Nous sommes fortement engagés en Méditerranée où, dans un certain sens, nous sommes en opposition frontale contre les intérêts français car nous voulons que l’Italie redevienne un acteur important dans cette région. Nous voulons êtres présents en Libye et nous voulons parler directement avec l’Égypte, l’Arabie saoudite et les pays d’Afrique du Nord de manière à pouvoir gérer la situation en Méditerranée sans dépendre de Macron.

Mais d’un autre côté, la « tête » de la péninsule italienne est profondément ancrée dans le système centre-européen. Nos voisins septentrionaux, ce sont l’Autriche et la Hongrie et aussi, plus loin au nord, des pays comme la Pologne. Nous devons trouver le moyen de coopérer avec l’Europe centrale et créer ensemble une nouvelle Union européenne fondée sur nos principes et non pas sur les principes de la gauche.

Olivier Bault : La Ligue italienne, qui siège aujourd’hui au Parlement européen aux côtés de la Française Marine Le Pen, veut réformer l’UE après les prochaines élections en s’aidant du Fidesz hongrois et du PiS polonais ?

Max Ferrari : Personnellement, je pense que le Fidesz hongrois et le parti de Kaczyński en Pologne ressemblent beaucoup à la Ligue. À la Ligue, nous avons l’espoir de réussir à trouver une formule de coopération officielle avec le Fidesz et le PiS après les élections au Parlement européen. Chez nous, personne ne trouverait bizarre une telle coalition des partis dits « populistes ». L’adjectif « populiste » n’est pas insultant à nos yeux. Au contraire, il a une connotation positive puisqu’il signifie que nous agissons pour le bien de notre peuple.

Il serait donc bon que nous puissions siéger dans le même groupe au Parlement européen et travailler ensemble pour renouveler l’UE. Nous ne souhaitons pas la fin de l’Union européenne. Nous voulons transformer l’UE en profondeur, afin de préserver la coopération en respectant la souveraineté de nos pays.

Olivier Bault : La Ligue ne parlait-elle pas dans le passé de sortir l’Italie de l’UE ?

Max Ferrari : C’étaient plutôt des spéculations des médias. Je n’affirme pas que de telles paroles n’aient jamais été prononcées au cours d’une de nos conférences de presse. Notre rapport à l’UE actuelle, qui ne nous plaît pas, a pu parfois être exprimé de manière quelque peu simplifiée. Cependant, nous n’avons jamais voulu détruire notre maison commune européenne. Nous sommes conscients que certains problèmes ne peuvent être résolus qu’ensemble. Mais nous voulons aussi faire beaucoup de choses de manière autonome, souveraine. Je pense donc que, avec les gens qui pensent comme nous, nous pouvons trouver un bon équilibre entre coopération et souveraineté. C’est tout à fait possible, mais pour cela il faut passer outre ces fanatiques de gauche qui dirigent en ce moment l’Union européenne contre les peuples européens.

Olivier Bault : Du point de vue des Polonais, il est important de savoir comment se comportera le gouvernement italien face à la procédure de sanctions lancée contre la Pologne par la Commission européenne sur la question de sa réforme de la justice. Comment, selon vous, le gouvernement italien votera-t-il si vote il y a au Conseil ? Rome sera-t-elle du côté de Bruxelles ou de Varsovie ?

Je ne peux pas vous répondre. Je peux seulement vous assurer que la Ligue sera du côté de la Pologne, parce qu’en Italie aussi nous sommes confrontés à cette gauche qui cherche à utiliser les juges pour renverser les résultats électoraux. Tout le monde a vu comment Salvini est devenu la cible de juges soutenus par la gauche à cause de sa défense de nos frontières. Nous respectons la loi, mais nous estimons que les juges, de leur côté, doivent respecter la voix du peuple. Mais pour ce qui est du gouvernement italien dans son ensemble, je ne peux pas prévoir comment se comportera le M5S.

Olivier Bault : Le ministre des Affaires étrangères – un indépendant – est-il plus proche de la Ligue ou du M5S ?

Max Ferrari : C’est un ministre technique. Ne me demandez pas pourquoi c’est lui qui a été choisi à ce poste. Quoi qu’il en soit, on voit que Salvini agit aussi comme un ministre des Affaires étrangères. Il a rencontre Orbán, il voyage en Israël, en Égypte, en Russie, il a rencontré l’Américain John Bolton [le conseiller pour la sécurité nationale de Donald Trump, NDLR]. Nos ennemis prétendaient que la Ligue ne serait jamais reconnue à l’étranger, mais grâce à Salvini cette reconnaissance est en train de devenir réalité.

Olivier Bault : Que pense la Ligue de la politique du PiS en Pologne ?

Max Ferrari : Nous observons le modèle polonais avec beaucoup d’attention. La Pologne est aujourd’hui le vaisseau amiral des changements. Elle a fait beaucoup de réformes sociales qui sont vraiment populistes au meilleur sens du terme : des politiques pour aider les familles, pour accroître le salaire minimum payé aux gens, etc. C’est pourquoi nous regardons avec beaucoup d’attention la manière dont le PiS gère l’État aujourd’hui et je peux vous dire que, quand nous parlons de la Pologne avec des députés et sénateurs de la Ligue, ils sont au courant de ce que la Pologne fait, de ses réformes, de sa politique nataliste. Les bonnes pratiques polonaises sont connues chez nous et la Pologne est perçue par nous comme un modèle.

Olivier Bault : Le problème du PiS avec la Ligue italienne est le même qu’avec le Front national français : son rapport à la Russie, jugé trop favorable à Vladimir Poutine. Quelles sont au juste les positions de la Ligue sur l’OTAN et sur les relations avec les États-Unis et la Russie ?

Max Ferrari : C’est très simple : comme nous avons un profond respect pour la souveraineté des pays, nous ne voulons pas être impliqués dans les problèmes entre la Pologne et la Russie. Ces problèmes concernent ces deux pays et ce sont eux qui doivent les résoudre. De notre point de vue, le problème, ce n’est pas la Russie nationaliste et populiste mais les islamistes radicaux et les nouveaux terroristes communistes. Je parle ici des nombreux appels à la révolte armée contre Salvini formulés par la gauche radicale italienne. Nous ne traitons pas ces appels à la légère car nous n’avons pas oublié le terrorisme des Brigades rouges dans les années 1970. Dans ce contexte, nous ne voyons pas la Russie comme un agresseur potentiel. Nous attachons néanmoins de l’importance à notre appartenance à l’OTAN, dont nous nous considérons comme membre à part entière. Notre objectif, ce serait d’agir en tant que médiateur entre l’OTAN et la Russie, comme c’était le cas avec Silvio Berlusconi, quand il a organisé un sommet OTAN-Russie en 2002, où j’étais présent, à l’époque du président George Bush. Nous voulons coopérer ensemble et nous pensons qu’y arriver serait bon pour l’Europe et, plus généralement, pour l’Eurasie. Nous comprenons les positions de la Pologne, mais en ce qui concerne ses problèmes avec la Russie nous considérons que ce n’est pas notre affaire.

Olivier Bault : La Ligue n’est donc pas favorable à une sortie de l’OTAN ?

Max Ferrari : Non, cela n’a jamais fait partie de notre programme.

Olivier Bault : Cela veut-il dire que l’alliance avec les États-Unis reste importante pour la Ligue ?

Max Ferrari : Absolument ! Dans le passé, la Ligue avait une relation problématique non pas avec les USA mais avec les administrations Clinton et Obama, qui étaient étroitement liées à la gauche et aux anciens communistes en Italie. Mais maintenant, notre relation avec le président américain et avec les USA est excellente. Salvini est, à mon avis, un des meilleurs alliés des USA en Europe et c’est comme cela qu’il est perçu par l’administration Trump.

Olivier Bault : S’il y avait de nouvelles élections bientôt, la Ligue se présenterait-elle à nouveau avec le parti de centre-droit Forza Italia et les nationalistes de Fratelli d’Italia ? Partagez-vous avec ces partis la même vision en matière de politique étrangère ?

Max Ferrari : Je peux simplement vous dire – ce n’est pas un secret – que nombre de membres du parlement et conseillers locaux des autres partis de droite demandent aujourd’hui à rejoindre la Ligue. Nous n’incitons cependant personne à rejoindre la Ligue parce que nous n’avons pas besoin de cela pour attirer les gens à nous. Il y a même des gens du centre-gauche qui demandent à nous rejoindre. Nous verrons ce que l’avenir nous réservera, mais il est évident que nous allons assister à une certaine consolidation à droite, à l’apparition d’un parti regroupant les différentes tendances, et ce parti pourrait être la Ligue.