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Andrej Babiš remis en cause par un vote de motion de censure

Temps de lecture : 3 minutes

Par Petr Dvořák, rédacteur à l’institut politique tchèque Pravý břeh.

Tchéquie – Le Premier ministre tchèque Andrej Babiš est sur le point de faire face au vote d’une motion de censure aujourd’hui. Il s’en sortira probablement très bien, mais l’histoire qui a mené à cette situation est fascinante. C’est l’histoire de la manière dont la fraude présumée de Babiš dans le cadre de subventions de l’UE s’est révélée être la crise constitutionnelle la plus grave de l’histoire tchèque moderne.

Babiš, le chef d’un grand empire commercial, est soupçonné d’avoir commis une fraude il y a plusieurs années, impliquant une subvention de deux millions d’euros pour la construction d’un hôtel rural. L’enquête sur l’affaire « Čapí hnízdo » (Nid de cigogne) suscite un débat public tchèque (du moins dans les médias n’appartenant pas à Babiš) depuis un certain temps. Babiš a toujours nié l’accusation, affirmant que la subvention n’avait rien à voir avec lui, car l’hôtel appartenait à ses deux enfants nés de son premier mariage. La police a été étonnamment incapable de les contacter et de les interroger.

Quand la politique se transforme en un mauvais roman policier

Il y a quelques jours, deux reporters de Seznam TV ont réussi à retrouver le fils de Babiš, Andrej Babiš Junior, dans son appartement en Suisse et à obtenir avec une caméra cachée un enregistrement de ses propos. Dans cette vidéo, Junior affirme qu’il a été attiré et enlevé en Crimée l’année dernière en raison de son rôle dans l’affaire Nid de cigogne. Lors de ce voyage, il était accompagné de M. Protopopov, citoyen russe et employé de Babiš. « Ce n’était pas l’idée de mon père de m’emmener en Crimée, » explique Junior dans la vidéo. « C’était son idée [de Protopopov]. Mon père avait besoin de ma disparition à cause du Nid de cigogne. Il en a profité. »

De son côté, M. Protopopov affirme n’avoir servi que comme assistant et ami de Junior. Cependant, Babiš Junior a effectivement contacté la police tchèque depuis l’Ukraine l’année dernière et a indiqué qu’il avait été retenu là-bas contre sa volonté. La police a toutefois choisi de ne pas enquêter sur l’affaire, apparemment satisfaite d’avoir reçu une photo de Babiš Junior avec sa mère et un journal du jour. Divers médias tchèques d’opposition relèvent que l’intervention de M. Protopopov, le choix de la Crimée annexée et la complaisance de la police suscitent des interrogations sur le rôle des intérêts russes dans cette affaire.

Andrej Babiš Senior affirme que l’on ne peut faire confiance à Junior car ses deux enfants de son précédent mariage (les enfants qu’il a lui même pointé du doigt lorsqu’il était accusé de fraude) étaient atteints de maladie mentale. C’est pourquoi il qualifie les attaques des médias et du public en tant que « campagne politique » et « attaques de  charognards ». Il est vrai que la prétendue schizophrénie de Junior aurait été confirmée par un rapport médical. Le rapport a été signé par l’épouse de M. Protopopov, qui est à la fois une psychiatre et une femme politique impliquée dans le parti ANO de Babiš – soit dit en passant, la clinique où elle travaillait jusqu’à cette semaine a été touchée par un incendie lundi ; le public est assuré qu’aucun document n’a été affecté.

La majorité parlementaire n’est pas assurée

Depuis la publication du rapport, des manifestations exceptionnellement importantes ont été organisées par des organisations non gouvernementales étudiantes, parfois soutenues par des partis de l’opposition qui poussent M. Babiš à expliquer la situation et à se retirer avant que les accusations ne soient examinées de manière appropriée. Babiš a également été officiellement appelé à démissionner par la chambre haute du parlement tchèque. Il s’agissait toutefois d’un acte purement symbolique, le Sénat n’ayant aucun pouvoir constitutionnel pour démettre Babiš de ses fonctions.

Il n’est jamais arrivé dans l’histoire de la République tchèque d’avoir un chef de gouvernement poursuivi. Normalement, le Premier ministre serait obligé de se retirer et d’attendre que l’affaire soit clarifiée. M. Babiš refuse toutefois de tirer de telles conséquences de la situation. Et son parti, ANO, ainsi que le parti communiste KSČM, approuvent cette décision à l’unanimité.

La plupart des partis restants (ODS, KDU-CSL, TOP 09, STAN et SPD) appellent à un vote de motion de censure. Ils ont collectivement 92 députés, il n’en manque que neuf pour atteindre la majorité requise. En conséquence, le résultat du vote dépend du dernier parti au Parlement, le parti de gauche ČSSD. Pourtant, ce partenaire minoritaire au sein du gouvernement de coalition de Babiš est en pleine crise interne et devrait donc préférer la stabilité discutable avec Babiš plutôt que toute incertitude engendrée par des scénarios alternatifs.

Le Président ne suit pas

Le Président Miloš Zeman est l’un des acteurs les plus puissants de cette crise. Le Président a la prérogative de choisir le Premier ministre, un levier extrêmement important au sein du système politique tchèque. Et c’est la raison même pour laquelle M. Babiš peut rester relativement calme. Un partenariat stratégique est en cours entre le Président et le Premier ministre. Et Zeman a déjà dit que même si Babiš était contraint d’abdiquer, il le désignerait de nouveau. Et c’est là que l’histoire se termine (pour l’instant).

Traduit de l’anglais par le Visegrád Post.