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Lier les fonds européens à l’État de droit et aux « valeurs européennes », une mesure contre la Pologne et la Hongrie ?

Temps de lecture : 14 minutes

Par Olivier Bault.

Article originellement publié en anglais sur Kurier.plus.

Union européenne – « Plus j’écoute Timmermans parler de l’État de droit et répondre aux questions, plus il me semble évident que les Spitzenkandidaten devraient quitter temporairement leur fonction européenne rémunérée pendant la campagne. Cela jette une ombre de soupçon politique sur tout ce qu’il fond, à tort ou à raison ». Cette remarque a été faite sur Twitter le 3 avril dernier par le correspondant à Bruxelles du Wall Street Journal, Laurence Norman, après une conférence de presse du premier vice-président de la Commission européenne en charge de « l’Amélioration de la législation, des Relations inter-institutionnelles, de l’État de droit et de la Charte des droits fondamentaux ». Homme politique du parti travailliste néerlandais, Frans Timmermans est en même temps Spitzenkandidat du Parti socialiste européen (PSE), pour remplacer Jean-Claude Juncker à la présidence de la prochaine Commission européenne qui sera formée après les élections européennes de mai 2019. Le jour où Laurence Norman publiait son commentaire critique sur Twitter, Frans Timmermans et la Commission européenne lançaient une réflexion sur la question de savoir si les États membres accepteraient de nouveaux instruments pour un meilleur contrôle au niveau de l’UE de leurs possibles violations de l’État de droit. « Le fonctionnement de l’UE dans son ensemble dépend de l’État de droit dans tous les États membres », a déclaré le commissaire néerlandais, ajoutant qu’« il y a toujours des réticences parmi les États membres, je dois le reconnaître, pour aborder entre eux ces questions douloureuses. […] C’est une chose à laquelle les États membres devront se confronter au sein du Conseil. S’ils veulent être plus efficaces, s’ils veulent que la pression des pairs fonctionne, ils doivent parfois aussi serrer les dents. Et ce sera à eux de décider comment ils s’y prendront. La Commission est là pour les aider ».

Les deux Spitzenkandidatenen faveur d’un nouveau mécanisme de contrôle de l’État de droit dans les États membres

Cette initiative est intervenue peu après une proposition commune de l’Allemagne et la Belgique pour un nouveau mécanisme de contrôle mutuel afin de surveiller l’État de droit entre États membres. Un tel mécanisme viendrait s’ajouter à l’actuelle procédure de l’article 7 prévue par les traités européens. Le mécanisme proposé porterait sur « l’État de droit, y compris l’indépendance judiciaire, une protection judiciaire effective et la sécurité juridique », et il ne « ne concernerait pas seulement deux ou trois États membres, mais tous ». La Commission européenne veut maintenant qu’une réflexion sur cette question se tienne au Conseil européen (entre les chefs d’État et de gouvernement) et au Parlement européen.

À la mi-mars, Mandfred Weber, de la CSU allemande, qui est le Spitzenkandidat) du Parti populaire européen (PPE) à la présidence de la prochaine Commission européenne, et donc le concurrent le plus sérieux de Timmermans, a également déclaré dans un article qu’il a co-signé dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung, que s’il prend la succession de Juncker il créera un nouveau mécanisme de contrôle de l’État de droit dans les États membres. Selon Weber, la procédure de l’article 7 lancée contre la Pologne et la Hongrie sont des signaux forts envoyés à ces pays, mais il s’agit d’un instrument surdimensionné et difficile à gérer. C’est pourquoi il voudrait avoir un nouvel instrument pour surveiller et punir un État membre sans avoir à réunir l’unanimité des autres États membres comme c’est le cas pour l’étape finale de la procédure de sanction prévue à l’article 7 du Traité sur l’Union européenne. À cette fin, Weber voudrait un comité d’experts indépendants qui contrôlerait régulièrement des aspects comme l’indépendance de la justice dans les États membres et qui rendrait un avis « objectif » sur la question de savoir si des sanctions doivent être imposées à un pays donné.

Les deux Spitzenkandidaten souhaitent que les nouveaux instruments soient élaborés et mis en œuvre sans réviser les traités existants. Manfred Weber a fait connaître sa proposition une semaine après avoir rencontré le chef de l’opposition polonaise Grzegorz Schetyna et après lui avoir exprimé son soutien tout en critiquant le gouvernement polonais auquel il a reproché d’œuvrer à l’encontre des intérêts de la Pologne dans l’UE.

Un Commissaire européen en charge de l’État de droit avec un programme progressiste

En ce qui concerne son concurrent socialiste, Frans Timmermans était justement à Varsovie pour participer à un événement de campagne d’un petit parti de gauche pro-LGBT, Wiosna (printemps), deux jours avant un Conseil de l’UE à Luxembourg les 9 et 10 avril : dans les deux cas (d’abord en tant que politicien en campagne et ensuite en tant que commissaire européen), il a accusé la majorité parlementaire et le gouvernement du parti Droit et Justice (PiS) d’avoir affaibli l’indépendance de la justice avec leurs réformes. Au Conseil de l’UE des 9 et 10 avril, il était question de la procédure de l’article 7 contre la Pologne et la Hongrie. Le jour où le premier vice-président de la Commission accusait, devant les ministres des Affaires européennes des 28, le gouvernement polonais de droite de ne pas respecter l’État de droit, un entretien avec lui était publié sur le site web Euractiv, qui est sponsorisé par la Commission européenne. Dans cet entretien, Frans Timmermans appelait à la formation après les élections européennes d’une coalition du PSE socialiste, du groupe PPE de centre-droit et de l’ALDE libéral afin d’avoir une alliance progressiste contre ce qu’il appelle « l’extrême droite ».

Il est à noter qu’en janvier le secrétaire d’État hongrois pour la communication et les relations internationales, Zoltán Kovács, se référant à la candidature de Timmermans comme Spitzenkandidat, avait justement appelé à sa suspension en tant que commissaire européen, en expliquant que : « Il n’est pas possible pour une personne qui se présente pour un siège au Parlement européen d’être un membre actif de la Commission, de jouer un rôle actif au sein de la Commission ».

L’idée que la proposition visant à renforcer la surveillance de l’État de droit dans les États membres pourrait être spécifiquement dirigée contre la Pologne et la Hongrie et avoir des motivations politiques n’est pas nouvelle. Věra Jourová, la commissaire européenne à la Justice, aux Consommateurs et à l’Égalité des genres (sic!) a été la première à proposer un lien entre le versement de fonds européens et un strict respect de l’État de droit et des « valeurs européennes ». En février 2018, elle a rencontré le ministre polonais des Affaires étrangères qui lui a exprimé l’hostilité de son pays à ce projet et sa crainte qu’un tel mécanisme ne viserait que certains pays. Jourová aurait alors répondu à Jacek Czaputowicz, selon ce qu’a rapporté le ministre polonais lui-même, que les subventions versées aux agriculteurs français pourraient également être suspendues si la leader du Front national Marine Le Pen venait à gagner les élections et les « valeurs européennes » cessaient alors d’être respectées par la France.

Un nouveau règlement pour suspendre les fonds européens pour les pays violant l’État de droit voté en avril par le Parlement européen

Le 4 avril 2019, le Parlement européen a adopté en première lecture un nouveau projet de règlement par lequel les gouvernements interférant avec les tribunaux ou ne luttant pas de manière adéquate contre la fraude et la corruption encourront une suspension des fonds européens. Si ce règlement du Parlement européen et du Conseil « relatif à la protection du budget de l’Union en cas de défaillance généralisée de l’État de droit dans un État membre » proposé par la Commission et modifié par le Parlement est finalement adopté par le Conseil, ce sera à la Commission européenne de proposer de couper les fonds lorsqu’elle estimera qu’un gouvernement national et sa majorité parlementaire se rendent coupables de « mise en péril de l’indépendance du pouvoir judiciaire », « [du] fait de ne pas prévenir, corriger et sanctionner les décisions arbitraires ou illégales des autorités publiques », de « limitation de la disponibilité et de l’efficacité des voies de recours » ou bien de « mise en péril de la capacité administrative d’un État membre à respecter les obligations découlant de l’adhésion à l’Union ». À cette fin, la Commission devra établir un « groupe consultatif d’experts indépendants » avec « pour objectif d’aider la Commission à recenser les défaillances généralisées de l’État de droit dans un État membre qui portent atteinte ou risquent de porter atteinte aux principes de bonne gestion financière ou à la protection des intérêts financiers de l’Union ».

Le domaine couvert par le nouveau règlement serait très large, puisqu’il stipule que « État de droit »« s’entend au regard des valeurs de l’Union consacrées à l’article 2 du traité sur l’Union européenne et des critères d’adhésion à l’Union visés à l’article 49 du traité sur l’Union européenne, ce qui recouvre le principe de légalité, lequel suppose l’existence d’une procédure d’adoption du droit transparente, responsable, démocratique et pluraliste, et les principes de sécurité juridique, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, d’accès à la justice et de protection juridictionnelle effective devant des juridictions indépendantes et impartiales, y compris celle des droits fondamentaux tels qu’ils sont énoncés dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et dans les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, de la séparation des pouvoirs, de non-discrimination et d’égalité devant la loi ».

La Commission européenne pourra contrôler chaque loi votée par les parlements nationaux grâce à un nouvel instrument destiné à faire pression sur la Pologne, la Hongrie et la Roumanie

De fait, la Commission européenne aurait son mot à dire pour virtuellement toutes les lois adoptées dans les États membres. La Commission européenne et le Parlement européen pourraient ainsi, sans avoir à se conformer aux conditions très strictes de l’article 7 du traité sur l’Union européenne, exercer une forte pression sur les États membres lorsqu’ils percevront « un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs visées à l’article 2 ». Non seulement le projet de règlement va bien au-delà de ce qui est inscrit dans les traités existants, mais il permettrait également à la Commission européenne de sanctionner la Pologne si elle estime que celle-ci ne respecte pas la Charte des droits fondamentaux, et de saisir si nécessaire la Cour de Justice de l’UE pour confirmer son droit de suspendre le versement des fonds européens. Ceci en dépit du Protocole n° 30 sur l’application de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne à la Pologne et au Royaume-Uni. Ledit protocole stipule en effet clairement que « la Charte n’étend pas la faculté de la Cour de justice de l’Union européenne, ou de toute juridiction de la Pologne ou du Royaume-Uni, d’estimer que les lois, règlements ou dispositions, pratiques ou action administratives de la Pologne ou du Royaume-Uni sont incompatibles avec les droits, les libertés et les principes fondamentaux qu’elle réaffirme ». Mais il faut dire que ce protocole semble déjà largement ignoré par la Commission européenne et la Cour de justice de l’UE dans leur action contre la Pologne à propos de ses récentes réformes du système judiciaire.

Tout ceci se produit à un moment où l’article 7 a été activé contre la Pologne et la Hongrie avec peu de chances pour cette procédure d’être poursuivie par le Conseil en l’absence d’une majorité qualifiée suffisante pour « constater qu’il existe un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs visées à l’article 2 ». Et même si la majorité nécessaire des quatre cinquièmes du Conseil devait être réunie, tout le monde sait bien qu’il sera impossible de réunir l’unanimité des autres États membres requise pour « constater l’existence d’une violation grave et persistante par un État membre des valeurs visées à l’article 2 ». Or sans ce vote à l’unanimité des autres États, il n’est pas possible, en vertu de l’article 7, de « suspendre certains des droits découlant de l’application des traités à l’État membre en question, y compris les droits de vote du représentant du gouvernement de cet État membre au sein du Conseil ».

Quand l’État de droit n’est pas respecté par ces mêmes institutions de l’UE qui prétendent surveiller les États membres

Les efforts insistants de la part de la Commission européenne et du Parlement européen, et aussi de certains États membres, dont la France et l’Allemagne, en vue de trouver des solutions alternatives permettant à l’UE de s’ingérer – pour certains pays uniquement – dans des domaines que le traité de Lisbonne réserve aux États soulève de gros doutes sur la capacité de l’UE à respecter elle-même l’État de droit, et en l’occurrence la lettre et l’esprit des traités. Ainsi qu’on peut le lire dans l’article d’Euractiv sur la proposition de règlement relatif à la protection du budget de l’Union en cas de défaillance généralisée de l’État de droit dans un État membre, « ce texte  est considéré comme un nouvel outil pour lutter contre les menaces à l’égard de l’indépendance des tribunaux et contre la corruption dans des pays comme la Pologne, la Hongrie et la Roumanie.» De fait, ces pays reçoivent beaucoup plus de fonds qu’ils ne contribuent au budget de l’UE, ce qui les rend bien plus exposés au mécanisme de surveillance proposé que, par exemple, l’Allemagne ou la France qui sont des contributeurs nets.

Il faut aussi rappeler que, pour lancer la procédure de l’article 7 contre la Hongrie en septembre 2018, le président du Parlement européen a dû modifier les règles et exclure les abstentions du décompte final des voix. Sans cela, les deux tiers des voix requis dans le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne n’étaient pas atteints. C’est pourquoi le gouvernement hongrois a décidé de contester la validité du vote devant la Cour de Justice de l’UE. Quant à la Commission européenne, elle a montré son mépris pour l’État de droit en février 2018 quand elle a nommé le chef de cabinet de Jean-Claude Juncker au poste de Secrétaire général de la Commission. Le Parlement européen lui-même « estime que la Commission n’a pas respecté les principes de transparence, d’éthique et d’État de droit dans la procédure qu’elle a utilisée pour nommer Martin Selmayr en tant que nouveau secrétaire général » et elle a appelé en décembre dernier à la démission de M. Selmayr en invitant « la Commission à adopter une nouvelle procédure pour désigner son secrétaire général en garantissant l’application des normes les plus élevées en matière de transparence, d’éthique et d’État de droit », ce que la Commission a refusé de faire.

Quand l’État de droit est un prétexte pour couvrir des luttes idéologiques

Le nouveau règlement conditionnant le versement des fonds européens au respect perçu de l’État de droit et des principes visés à l’article 2 du traité sur l’Union européenne fait aussi courir le risque de voir la Commission européenne exercer des pressions sur les États membres d’Europe centrale pour qu’ils légalisent le « mariage gay ». En effet, de la même manière que le principe général de l’État de droit visé à l’article 2 est utilisé par M. Timmermans pour faire valoir que la Commission européenne peut et doit intervenir dans la réforme par la Pologne de son système judiciaire, le principe général de non-discrimination figurant dans le même article 2 pourrait être utilisé pour dire que la Commission européenne devrait faire pression sur les États membres pour qu’ils légalisent ce que le lobby LGBT appelle « mariage égalitaire » (au sens d’une égalité de droit au mariage). Parmi d’autres déclarations du même genre, le premier vice-président de la Commission et Spitzenkandidat socialiste  Frans Timmermans aurait déclaré lors d’un gala organisé à Bruxelles en 2015 par l’organisation LGBT ILGA-Europe  que « la Commission devrait aller de l’avant et essayer d’obtenir que tous les États membres de l’UE acceptent sans réserve le mariage entre personnes du même sexe de la même manière que les autres mariages ».

Il y a encore une autre raison de craindre qu’un nouveau mécanisme liant les fonds européens à l’État de droit ne conduise à des abus. Le rapport sur la base duquel le Parlement européen a voté en faveur de la procédure de l’article 7 contre la Hongrie était en effet très politique et allait bien au-delà des principes inscrits dans les traités européens. Ce rapport Sargentini, du nom de son auteur, l’eurodéputée verte néerlandaise Judith Sargentini, présenté à la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) 5 jours seulement après l’écrasante victoire du Fidesz aux élections législatives hongroises d’avril 2018, demande en fait à la majorité parlementaire hongroise fraîchement reconduite par un vote démocratique de revenir sur l’ensemble de ses grandes réformées réalisées depuis 2010. Ce rapport semble en outre très clairement fondé presque exclusivement sur des informations provenant de l’opposition hongroise et d’organisations de gauche. La commission LIBE a fait la démonstration de la façon dont elle prépare ses rapports en septembre 2018 à Varsovie, quand une délégation menée par l’eurodéputé travailliste britannique Claude Moraes travaillait sur un « rapport Moraes » sur la base duquel le Parlement européen est censé donner son aval à la procédure de l’article 7 lancée contre la Pologne par la Commission européenne en décembre 2017. Hormis les juristes d’Ordo Iuris, une organisation conservatrice et pro-vie, toutes les autres organisations invitées à venir apporter une contribution au rapport de Claude Moraes étaient des organisations de gauche, d’extrême gauche ou liées à l’opposition libérale, y compris des organisations pro-avortement comme CzarnyProtest (Manifestation noire) et Federacja na rzecz Kobiet i Planowania Rodzinnego (Fédération pour les femmes et la planification familiale). En outre, selon l’eurodéputé Nicolas Bay du Rassemblement national (RN) français, qui faisait partie de la délégation, et selon l’intéressé lui-même, le juriste d’Ordo Iuris Tymoteusz Zych a été constamment interrompu par l’eurodéputée verte néerlandaise Judith Sargentini, l’eurodéputée communiste italienne Barbara Spinelli et l’eurodéputé travailliste britannique Claude Moraes. Ces trois députés européens ont sans arrêt cherché à faire dérailler la discussion censée porter sur l’État de droit vers la question de l’avortement, bien que la régulation de l’avortement n’entre pas dans les compétences de l’Union européenne et ne devrait pas avoir sa place dans un rapport dont l’objectif est de voter sur la question de savoir si le Parlement européen voit « un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs visées à l’article 2 ». Il convient également de noter que l’eurodéputé conservateur pro-vie polonais Marek Jurek avait été exclu de la délégation à la demande de Claude Moraes par un vote majoritaire de la commission LIBE. Dans ce cas particulier, la commission LIBE a ainsi édicté une règle ad-hoc stipulant que, pour assurer l’impartialité de la procédure, il ne doit pas y avoir dans la délégation visitant le pays concerné de député de ce pays.

Les règles budgétaires déjà utilisées par la Commission pour favoriser les bons Européens et punir les mauvais

Un autre exemple de la façon dont de nouvelles règles peuvent donner à l’UE un puissant levier pour agir sur des décisions qui devraient normalement être prises au niveau national et de la façon dont ces nouveaux pouvoirs peuvent être utilisés par la Commission européenne avec des motivations idéologiques nous a été donné par la manière dont le Pacte budgétaire européen  de 2013 a été utilisé l’an dernier pour rejeter le budget de l’Italie. Selon le Pacte budgétaire européen, les États membres de la zone euro doivent désormais présenter chaque année à la Commission européenne leur projet de budget pour l’année à venir. Pour 2019, la Commission européenne a rejeté le budget de l’Italie, avec un déficit à 2,4 % du PIB, alors qu’elle a accepté le projet de budget de la France avec un déficit à 2,8 % du PIB et a même ensuite accepté un relèvement de ce déficit au-dessus du fameux plafond de 3 % des critères de Maastricht en réponse au mouvement de protestation des Gilets jaunes. Dans le cas de l’Italie, c’était la première fois que la Commission refusait un budget national, menaçant de se tourner vers le Conseil européen pour qu’il prenne des sanctions financières à l’encontre d’un État membre. Cette perspective a suffi pour faire grimper les taux d’intérêt de la dette italienne sur les marchés financiers, contraignant ainsi le gouvernement de Giuseppe Conte à revoir son projet. On est en droit de se demander si cela était lié au fait que l’Italie avait pour la première fois un gouvernement « populiste », étant donné que le socialiste français occupant le poste de Commissaire européen aux affaires économiques, monétaires et fiscales, Pierre Moscovici, ne fait pas mystère de son aversion envers l’un des deux partenaires de la coalition qui gouverne l’Italie, à savoir la Ligue. Entre autres choses, cet ancien trotskyste sympathisant actif de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) a publiquement comparé, alors qu’il occupait déjà son poste de commissaire européen, les gens de la Ligue aux chemises noires de Mussolini, il les a traité de « fascistes » et de « petits Mussolini », et a encore dit d’eux : « c’est des gens que je combattrai jusqu’à mon dernier souffle ». Fait intéressant, dans une entrevue diffusée en octobre dernier sur la chaîne de télévision publique française Public Sénat, le Commissaire européen Pierre Moscovici a expliqué qu’il voit deux grands clivages dans l’UE : « Le premier clivage, c’est entre les pro-européens et les anti-européens. C’est le clivage entre ceux qui sont attachés à la démocratie libérale et ceux qui sont opposés à la démocratie libérale. Et de ce point de vue-là, M. Orbán, M. Kaczyński, Mme Le Pen, M. Salvini, ce sont ceux qu’il faut combattre politiquement, parce que s’ils gagnent, à ce moment-là c’est l’Europe-même qui change. Mais il y a un deuxième clivage : je ne crois pas qu’il suffise d’être pro-européen ou démocrate pour être progressiste. Être progressiste, c’est autre chose, c’est proposer des politiques de progrès, c’est vouloir réduire les inégalités, c’est aussi vouloir lutter avec force contre le changement climatique ».

Cela ne prouve pas en soi que les différences d’approche pour les budgets de la France et de l’Italie aient été motivées par l’idéologie, mais il est malgré tout bon de rappeler que l’Allemand Günther Oettinger de la CDU, qui est commissaire européen au Budget et aux Ressources humaines, s’est prononcé en novembre dernier en faveur d’accepter un plus gros déficit de la France pour 2019, de 3,2% au lieu des 2,8% qui avaient été convenus, parce que le président Emmanuel Macron « demeure un fervent partisan de l’Union européenne ». Avec la commissaire tchèque Věra Jourová, Günther Oettinger, est comme Emmanuel Macron un fervent partisan de l’idée du mécanisme liant les fonds européens à l’État de droit auquel la Pologne et la Hongrie s’opposent.

Attention : « les droits accordés à l’Union sont pour elle des causes de guerre et non de puissance »

Il est donc à craindre qu’un tel mécanisme sera utilisé contre les pays avec un gouvernement conservateur, de droite, s’opposant à une Europe fédérale – comme c’est le cas aujourd’hui pour la Pologne et la Hongrie – et aussi, compte tenu des vues de Bruxelles sur l’immigration, contre les pays qui refusent de prendre leur part d’immigrants venus illégalement sur le continent européen. Au final, il est probable qu’un tel mécanisme affaiblira encore plus l’Union européenne et il pourrait même précipiter sa chute. Les partisans d’un tel mécanisme seraient en effet bien avisés de lire Alexis de Tocqueville et en particulier l’ouvrage De la démocratie en Amérique dans lequel le diplomate français de la première moitié du XIXe siècle, philosophe politique et historien, compare la Fédération américaine aux confédérations traditionnelles ressemblant plus à notre actuelle Union européenne : sans leurs propres tribunaux, ni une police et une armée pour faire appliquer leurs lois, ce qui les obligent à s’appuyer sur les États membres pour faire respecter le droit et les décisions de la confédération. Dans cet ouvrage publié en 1835, Tocqueville remarquait ainsi que  traditionnellement dans les confédérations « les droits accordés à l’Union étaient pour elle des causes de guerre et non de puissance, puisque ces droits multipliaient ses exigences sans augmenter les moyens de se faire obéir. Aussi a-t-on presque toujours vu la faiblesse réelle des gouvernements fédéraux croître en raison directe de leur pouvoir nominal ».[1]


[1] Dans Ce qui distingue la constitution fédérale des États-Unis d’Amérique de toutes les autres constitutions fédérales, chapitre VIII du Tome I

 

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