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Andrzej Krzystyniak : « Le révisionnisme historique allemand à l’œuvre dans la Silésie polonaise »

Temps de lecture : 5 minutes

Entretien avec Andrzej Krzystyniak, historien et essayiste polonais : « Le révisionnisme historique allemand à l’œuvre dans la Silésie polonaise ».

Pologne – En soutenant des fondations et associations autonomistes ou séparatistes et les fomenteurs d’une politique historique révisionniste, et aussi par le biais des journaux régionaux dont le capital allemand est propriétaire, Berlin fragilise l’unité de la Pologne.

En gouvernant la région avec le Mouvement pour l’autonomie de la Silésie (RAŚ) et en lui confiant les affaires culturelles pendant des années, les libéraux de la Plateforme civique de Donald Tusk se sont rendus complices de ce nouveau Kulturkampf « doux » et décentralisé conduit par l’Allemagne en Silésie alors qu’Allemagne et Pologne sont deux pays membres de l’Union européenne et de l’OTAN.

Olivier Bault a réalisé pour le Visegrád Post un entretien à ce sujet avec l’historien et essayiste polonais Andrzej Krzystyniak de la fondation Ślązacy.pl (Silésiens.pl).


Olivier Bault : Vous êtes à l’origine d’une exposition organisée par la fondation Ślązacy.pl sur l’extermination des élites polonaises en Silésie en septembre 1939. Les événements de la Deuxième guerre mondiale et de l’occupation allemande de la Silésie ne sont-ils pas aujourd’hui refoulés par la narration, présente en Silésie, qui présente l’État polonais comme un agresseur ou même un « occupant » qui aurait, après 1945, détruit le caractère « pluriculturel » de la Silésie ?

Andrzej Krzystyniak : Cette narration est perceptible depuis déjà longtemps. Je pense que cela ne concerne pas que la Silésie mais l’ensemble des Terres récupérées [territoires allemands attribués par les Alliés à la Pologne en 1945, appelés « Terres récupérées » car ayant majoritairement appartenu au Royaume de Pologne il y a plusieurs siècles, NDLR]. La Pologne, depuis le début des années 90, a cessé de se soucier de la préservation culturelle de la polonité de ces régions attribuées à la Pologne en conséquence des décisions prises par les trois grandes puissances victorieuses. Ce qui s’est passé en Silésie à partir de septembre 1939 – les répressions et les massacres commis contre les représentants de l’élite polonaise – est aujourd’hui couvert par les événements de la « tragédie de Haute-Silésie ». Je pense ici aux répressions survenues après l’entrée de l’Armée rouge en Pologne et l’installation du pouvoir communiste.

On oublie cependant souvent qu’il n’y aurait pas eu de « tragédie de Haute-Silésie » sans l’attaque allemande contre la Pologne qui a fait éclater la Deuxième guerre mondiale en septembre 1939. Les milieux allemands appellent les événements survenus après 1945 la « tragédie de l’est allemand ».

Depuis quelques années, on note toutefois un renversement de cette tendance défavorable à la Pologne. Il y a quelques semaines, le ministre de l’Intérieur Joachim Brudziński, lors d’une cérémonie de commémoration des soldats polonais qui forcèrent le passage de l’Oder, a souligné très clairement l’héroïsme des soldats polonais dans leur lutte contre l’occupant ainsi que la polonité des Terres récupérées : « Nous ne devons jamais oublier le sang versé et le sacrifice du soldat polonais, nous ne devons jamais oublier qu’ici, c’est la Pologne, que ce bout de terre le plus à l’ouest de la Sérénissime République [Najjaśniejsza Rzeczpospolita, nom qui était donné à l’ancienne République des deux Nations polono-lituanienne, et qui est encore parfois utilisé pour désigner l’actuelle IIIe République polonaise, NDLR] a été rendu sacré par le tribut du sang des soldats polonais, des héros polonais » : ce sont des mots très importants prononcés par un ministre du gouvernement polonais.

Olivier Bault : Vous avez dit au début que la Pologne avait cessé de prêter attention à la préservation culturelle de la polonité des Terres récupérées. Pourquoi ce diagnostic ?

Andrzej Krzystyniak : Nul besoin d’être particulièrement perspicace ou fin observateur pour tirer cette conclusion. Depuis le début des années 90, la Silésie et les Terres récupérées sont coupées culturellement de la Pologne. Un processus d’effacement de la polonité y est en cours. Les établissements scientifiques polonais qui étudiaient l’histoire de ces terres ont disparu. Il ne paraît presqu’aucune publication et l’histoire des insurrections silésiennes est aujourd’hui présentée sous forme de « guerre civile » ou même d’agression polonaise en vue de séparer une partie du territoire allemand. L’État polonais a-t-il agi pour s’opposer à ces phénomènes ? Non, et même au contraire, il a donné l’impression de les soutenir. Les défenseurs de la raison d’État polonaise ont eu à agir seuls, sans soutien, en s’exposant souvent aux attaques d’une presse qui n’est polonaise que de nom.

Ce curieux paradoxe n’a pas beaucoup évolué à ce jour. La presse régionale reste entre des mains étrangères [sur 24 quotidiens régionaux en Pologne, 19 sont entre les mains d’un seul groupe de presse allemand, Verlagsgruppe Passau, NDLR]. En outre, nombre de milieux, fondations et associations cherchant à effacer la polonité de la carte culturelle fonctionnent en Silésie : une partie agit sous couvert de multiculturalisme, une partie est ouvertement antipolonaise et pro-allemande, comme le Mouvement pour l’autonomie de la Silésie (Ruch Autonomii Śląska, RAŚ). Jusqu’à récemment, le RAŚ participait avec la Plateforme civique (PO) au gouvernement de la voïvodie de Silésie où il était chargé de la supervision des établissements culturels. Par bonheur, les séparatistes ont subi une défaite aux dernières élections [régionales et municipales de l’automne dernier, NDLR]. Je suis convaincu que le parti Droit et Justice (PiS) qui gouverne aujourd’hui [au niveau national et en Silésie, NDLR] va stopper ce processus défavorable à la Pologne.

Olivier Bault : Vous présentez la Silésie (et plus largement les Terres récupérées) comme étant des régions menacées par des influences étrangères qui sont hostiles à l’État polonais et qui cherchent à affaiblir le caractère culturellement polonais de la Silésie.

Andrzej Krzystyniak : La Silésie a toujours été une région névralgique pour la Pologne. Ce territoire, qui possède un énorme potentiel industriel et démographique, était avant et après la guerre essentiel au développement de notre pays. C’était le cœur industriel de la Pologne. Même aujourd’hui, avec la faillite de son industrie, cette région conserve un très fort potentiel économique et démographique. Si quelqu’un veut affaiblir la Pologne, il commence par la Silésie. La Pologne ne peut pas autoriser que soit effacée la polonité culturelle en Silésie comme le souhaiteraient différents milieux. Pendant plusieurs siècles, la Silésie était restée hors des frontières de l’État polonais, ce qui est censé prouver que la Pologne ne serait que le dépositaire provisoire de ce territoire. On peut difficilement ne pas remarquer les influences allemandes et le fait que l’État allemand soutient en Silésie les propagateurs d’une vision allemande de l’histoire. Il ne s’agit pas que de la presse régionale, mais aussi de fondations, associations, historiens sympathisants, etc.

C’est dans ce but que sont avancées les thèses sur des camps de concentration polonais après 1945. On parle même d’actions d’« épuration ethnique » que l’État polonais aurait conduites à l’encontre des minorités ethniques, y compris contre les Silésiens, après avoir pris le contrôle de l’administration sur les Terres récupérées. Le camp de travail communiste situé dans le quartier de Zgoda à Świętochłowice en Silésie est aujourd’hui appelé par certain « camp de concentration polonais ». Les insurrections de Silésie sont appelées « guerre civile » et la récupération par la Pologne d’une partie de la Haute-Silésie en 1922 est qualifiée d’« absurde partage ». Toutes ces actions portent clairement préjudice à l’État polonais.

Olivier Bault : Qu’en est-il aujourd’hui de la commémoration des héros de la lutte pour la Pologne et du souvenir de ces gens à qui la Silésie doit son retour à la Pologne en 1922 ? La commémoration suffit-elle à contrer toute cette narration hostile ?

Andrzej Krzystyniak : Les insurgés silésiens sont à mon avis trop rarement rappelés. Toute l’histoire de la Silésie se trouve condensée dans le destin de ces insurgés, leur parcours et celui de leurs familles. Il ne s’agit pas que des insurrections [de 1919-21, NDLR] mais aussi de l’entre-deux-guerres et de septembre 1939 quand les insurgés ont repris les armes pour accueillir l’agresseur allemand en lui tirant dessus pour lui signifier que cette terre silésienne, cette terre polonaise, ne lui appartenait pas. C’est un fait dérangeant pour beaucoup de gens qui préféreraient l’oublier. Il faut aussi rappeler que les Allemands, longtemps avant leur agression, avaient préparé des listes de personnes à liquider. En première position sur ces listes, il y avait les anciens insurgés silésiens.

Avec la fondation Ślązacy.pl nous cherchons à commémorer les victimes de l’action d’extermination allemande avec une exposition que nous avons présentée en janvier 2018, notamment à la Diète polonaise. Cette exposition montre clairement la proportion importante constituée par les anciens insurgés de Silésie parmi les personnes que les Allemands prévoyaient d’éliminer. Or aujourd’hui ces insurgés sont condamnés à l’oubli. Le pire, c’est qu’ils le sont par des compatriotes tirant leur inspiration de l’étranger.


 

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