Par Olivier Bault.
Pologne – La Pologne a certes réussi, avec les autres pays du Groupe de Visegrád, à bloquer la candidature du travailliste néerlandais Frans Timmermans à la présidence de la prochaine Commission européenne. Il se dit aussi que Timmermans, qui devrait conserver la vice-présidence de la Commission en vertu de la promesse faite par Ursula von der Leyen aux socialistes du Parlement européen, ne s’occupera plus d’État de droit conformément aux souhaits du V4 qui n’apprécie pas ses ingérences excessives et très sélectives, ainsi que son soutien ouvert à l’opposition la plus radicale en Pologne et en Hongrie pendant la campagne des Européennes.
Il n’empêche que les conflits entre Bruxelles et Varsovie (et aussi Budapest, entre autres sur les lois « Stop Soros ») ne vont pas s’éteindre pour autant. La procédure intentée en décembre 2017 par la Commission sous le régime de l’article 7 n’a certes pas avancé au Conseil européen, faute de majorité requise de 22 pays sur 28 pour estimer qu’il existe effectivement en Pologne un risque d’atteinte à l’État de droit. C’est pourquoi la Commission Juncker se tourne désormais vers la Cour de Justice de l’UE, sachant que celle-ci a traditionnellement tendance à étendre ses champs de compétence au détriment des États membres par une interprétation très libre des traités. Or si la Pologne peut s’opposer aux décisions de la Commission européenne, il est plus difficile de refuser frontalement d’appliquer les décisions de la CJUE sans prendre le risque d’une crise institutionnelle majeure dans l’UE. C’est la raison pour laquelle Varsovie a cédé en décembre dernier sur la question de l’abaissement en cours de mandat de l’âge de la retraite des juges de la Cour suprême polonaise, qui est une cour de cassation.
Ce que la Commission européenne conteste aujourd’hui, ce sont les procédures mises en place par le PiS pour rétablir un certain contrôle démocratique sur le pouvoir judiciaire, avec notamment la création d’une chambre disciplinaire à la Cour suprême. Les juges de cette chambre disciplinaire sont nommés par le Conseil national de la magistrature (KRS). Or les réformes du PiS ont aussi modifié le mode de nomination des 15 juges siégeant au KRS, qui compte 25 membres en tout. Ils ne sont plus nommés par leurs confrères mais par le parlement. En mars, le Tribunal constitutionnel polonais confirmait que cette réforme est conforme à la constitution polonaise. Mais la Commission européenne et le vice-président Timmermans ne l’entendent pas de cette oreille, et ils menacent aujourd’hui de se tourner vers la Cour de Justice de l’UE dans ce dossier aussi. La procédure est en route, la Commission ayant demandé officiellement des éclaircissements à la Pologne et s’étant déclarée à la mi-juillet insatisfaite des réponses obtenues.
Parallèlement à la procédure conduite par la Commission, la CJUE s’est déjà saisie de cet aspect des réformes polonaises sur la base de questions préjudicielles (demandes d’interprétation du droit européen) envoyées par des juges polonais qui se servent de ce mécanisme européen pour résister aux lois votées par la majorité parlementaire, invitant ainsi la CJUE à étendre ses compétences au-delà des domaines prévus par les traités européens. Exemple : pour bloquer la procédure disciplinaire contre une juge systématiquement en retard pour la rédaction des motifs de ses jugements (170 retards répertoriés), des juges de la Cour suprême ont envoyé à la CJUE une question préjudicielle portant sur l’indépendance des juges de la Chambre disciplinaire créée par les réformes du PiS.
L’avocat général de la CJUE a rendu le 27 juin un avis défavorable à la Pologne sur cette question, ce qui laisse supposer que la CJUE pourrait déclarer le changement du mode de nomination des juges du KRS contraire au principe général d’indépendance des juges inscrit dans les traités européens.
Or il est difficile d’imaginer comment la Pologne pourrait reculer sur ce sujet, d’une part parce que cette même réforme a été validé par son Tribunal constitutionnel, qui est en réalité seul compétent, et d’autre part parce que cela remettrait en cause toutes les nominations de juges (pas uniquement ceux de la Chambre disciplinaire de la Cour suprême) faites depuis l’entrée en vigueur de cette réforme du KRS l’année dernière. Par ailleurs, cette réforme est centrale pour la réalisation de la promesse électorale du PiS de mettre fin à l’impunité et à l’esprit corporatiste des juges.
Même avec une nouvelle Commission, et sauf une défaite improbable du PiS aux élections législatives de l’automne, les pressions exercées par les institutions bruxelloises sur la Pologne ne sont donc pas prêtes de s’arrêter. Et ce sera encore bien pire – pas uniquement pour la Pologne – si l’idée de lier les fonds européens au respect de l’État de droit et des « valeurs européennes » devient réalité.
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