Roumanie – Imaginez un stade couvert, aménagé en camp de réfugiés. Avec, pour principale originalité frappante par rapport aux installations habituelles du HCR (l’agence de l’ONU pour les réfugiés), des parois de carton séparant les lits les uns des autres, mais pas des couloirs d’accès, et sans plafond, si bien que chaque « chambre » reste parfaitement visible, aussi bien depuis lesdits couloir que depuis les tribunes. Jeremy Bentham et Michel Foucauld en ont rêvé, Klaus Iohannis l’a fait : le Panopticon, cette prison où un seul homme peut en surveiller mille sans se lever de sa chaise, est aujourd’hui réalité. C’est devant ce genre d’installations que, depuis plusieurs jours, se fait quotidiennement photographier, à Bucarest comme à Cluj, le chef de la dictature militaire roumaine.
Ces installations, créées dans le cadre d’un partenariat entre sociétés multinationales (véritables propriétaires du bantoustan « RO ») et « État roumain », seraient destinées, lors du fameux « pic d’infection » que toute l’Europe post-communiste attend comme la venue du Messie, à héberger des « asymptomatiques », a priori internés de force, étant donné qu’on imagine mal un homme en bonne santé s’installer de bon gré dans un camp de réfugiés. Bien entendu, le fameux pic n’arrivera jamais, pas plus en Roumanie que dans le reste du monde post-communiste, pour des raisons (essentiellement de moindre longévité) que j’ai déjà expliquées ailleurs. Mais comme ces camps sont de toute façon destinés à des asymptomatiques, la seule base légale de leur éventuelle détention sera le résultat d’un test… effectué par des services de ce même État qui les bouclera. Et eux-mêmes ne disposeront a priori d’aucun moyen de soumettre ce jugement expéditif à l’expertise d’un tiers. En d’autres termes : pic ou pas pic, l’habeas corpus, en Roumanie, c’est fini pour de bon.
Parmi les nombreux seuils qualitatifs que cette innovation roumaine relègue dans le passé, mentionnons :
- un seuil juridique : ayant déjà, dans toute l’Europe, notre sacro-sainte liberté de mouvement sur la conscience, la dictature covidienne envisage donc de remplacer l’arrêt domiciliaire par l’incarcération pure et simple. Cela permettra aux divers « gouvernements » dictatoriaux institués sous prétexte de Covid-19 d’enfin reconnaître l’inutilité du confinement, mais sans renoncer à leur narration hystérisante de base : si nous n’obéissons pas, nous allons tous mourir. Pour les grands retardataires, rappelons que le Covid-19 ne semble pas destiné en tant que tel à devenir visible dans les chiffres démographiques mondiaux de 2020. En Roumanie (longévité masculine moyenne : 71 ans – contre 80 en Italie…), le body count total du Covid-19 sur deux mois n’excède toujours pas le bilan de trois jours de mortalité générale en temps normal…
- un seuil cognitif : en envisageant d’enfermer des « infectés asymptomatiques » dans ces camps gigantesques dénués de tout équipement médical, la junte de Bucarest reconnaît implicitement que l’énorme majorité des infectés jeunes et/ou sans maladies chroniques ne remarque même pas sa rencontre avec le virus. Et reconnaît donc implicitement aussi que, en-dehors des individus vulnérables (de plus de 65 ans et/ou malades), qui de toute façon ne sortent guère de chez eux (soit par conscience du danger, soit… par manque de mobilité autonome), les individus restés à l’extérieur ne courraient aucun risque extraordinaire à être infectés par les incarcérés. L’incarcération devient donc en elle-même la preuve de sa propre inutilité. Après suppression de la pensée logique, cela n’empêchera bien entendu pas des foules féminisées et hystérisées d’applaudir cette grandiose innovation au service de leur « sécurité ».
Évidemment, l’intense médiatisation de cette initiative due à un joint-venture militaro-corporatiste digne des riches heures de l’Amérique latine n’est elle-même probablement pas destinée à sauver l’insauvable popularité du fusible Klaus Iohannis, mais avant tout à tâter le terrain.
J’aurais donc tendance à la placer dans la même série qu’un autre événement plus récent, lui aussi trop intensément médiatisé en Roumanie pour ne pas avoir bénéficié de l’artillerie communicationnelle de l’État profond : les propos de l’ancien président Traian Băsescu, annonçant benoitement qu’à son avis, le confinement va probablement devenir annuel, voir – sous une forme quelque peu aménagée – permanent. Là encore, c’est un fusible – et même un fusible usagé – qui s’exprime : ayant, au cours de ses deux mandats à la tête du pays (2004-14) expédié un job comparable à celui de Boris Eltsine en Russie ou de Ferenc Gyurcsány en Hongrie (politiques « de rigueur » criminelles, diminution des salaires et des retraites, saccage de la fonction publique, etc.), Traian Băsescu ne risque pas de jamais échapper vers le haut à la zone des 3%-5% où stagne, grâce à un reliquat d’électorat clientélaire, son parti de poche (le PMP – probablement avec un peu d’aide discrète du STS au décompte des voix). Et de tels propos risquent encore moins de regonfler sa popularité que les « selfies devant Panopticon » de Iohannis de relancer la sienne. Ils constituent donc de toute évidence un ballon d’essai, lancé – principalement sur les réseaux sociaux – pour tester la docilité d’une population qui subit déjà le confinement le plus féroce d’Europe, et paye déjà les amendes les plus lourdes (alors même qu’elle est en queue du classement européen des salaires).
Comparée à ces grands pas en avant de la « sécurité sanitaire », la fermeture par les autorités roumaines de divers sites de presse d’opinion (notamment proche du nationalisme orthodoxe) qui s’étaient rendu coupable de trop d’esprit critique concernant la narration covidienne prend vite une allure de fait divers.
On retrouve ici un trait saillant de la Roumanie post-1989, tel que je l’ai souvent relevé dans ces chroniques : paradis du retraitement de déchets toxiques, la Roumanie sert aussi de laboratoire à l’air libre, pour les tests grandeurs nature menant à la validation de diverses technologies (hard ou soft) jugées potentiellement dangereuses. Cela va des « G » successives de la téléphonie mobile (qui apparaissent toujours en exclusivité européenne dans ce pays… le plus pauvre de l’UE) aux techniques d’ingénierie sociale covidienne actuellement en cours d’élaboration.
Et ce, parce que ce laboratoire présente, sur le plan politique, un risque d’explosion minimal : les Roumains n’ont aujourd’hui pour la plupart pas d’identité nationale (tout au plus ethnique – fondée notamment sur la haine savamment entretenue de leurs voisins), ni – en dehors des dix milles patriciens aux commandes de la Securitate – d’identité de classe ; confrontés à la détérioration de leurs conditions de vie, le premier réflexe des Roumains jeunes et ambitieux est d’émigrer – en aucun cas de chercher à assumer des responsabilités collectives. Même leur identité religieuse – historiquement la seule à avoir montré une certaine efficacité mobilisatrice – est aujourd’hui compromise, à mesure, d’une part, que ce vieux pays orthodoxe devient (comme le Brésil et tant de pays du Sud) néo-protestant ; d’autre part, du fait de la décrédibilisation accélérée d’une Église Orthodoxe Roumaine annexée par la Securitate, et qui, subséquemment, ne parvient même plus à produire un simulacre convainquant de résistance – que ce soit face à l’agenda LGBT ou, plus récemment, face à la dictature covidienne.
Enfin, pour ceux qui me soupçonneraient de grossir le trait, je ne résiste pas au plaisir de traduire un passage des propos susmentionnés du grand leader nationaliste roumain Traian Băsescu :
« Les Roumains sont une nation docile ; ils ne se sont pas révoltés quand, à l’époque de la crise de 2008-12, j’ai appliqué les mesures les plus dures du monde ; ils ne se révolteront donc pas non plus à présent, même soumis au confinement le plus dur de l’UE. »
Chiche ?
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