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« Les hongrois de Subcarpatie ont besoin de paix et de calme »

Le Magyar Nemzet est le principal quotidien imprimé de Hongrie. Fondé en 1938, le Magyar Nemzet (Nation hongroise) est un journal de référence pour les conservateurs et est sur une ligne proche du gouvernement de Viktor Orbán.

Temps de lecture : 7 minutes

István Petruska veut contribuer à la normalisation des relations entre Ukraine et Hongrie

« Les relations entre l’Ukraine et la Hongrie doivent se normaliser, et je m’efforce d’y contribuer avec les moyens dont je dispose » – a déclaré István Petruska, actuellement à la tête de l’administration publique de l’arrondissement de Berehove, et appelé à devenir l’adjoint du gouverneur en exercice de l’oblast de Zakarpattia (c’est-à-dire du département de Subcarpatie, qui abrite une forte minorité magyarophone), Anatoliy Poloskov, dans un entretien accordé à Magyar Nemzet.Commentant la détérioration des relations entre ces deux voisins, il a souligné qu’il convenait d’identifier les solutions qui conviennent le mieux aux deux parties.Pour ce faire, il considère comme nécessaire l’adoption d’une attitude constructive de la part des dirigeants des deux États.

MN : On a récemment appris que c’est vous qui avez été nommé adjoint d’Anatoliy Poloskov, gouverneur de l’oblast de Zakarpattia. En votre personne, il disposera donc désormais également d’un adjoint ethniquement hongrois : comment cette idée a-t-elle fait son chemin ?

IP : Je connais Anatoliy Poloskov depuis longtemps. A la tête de l’arrondissement de Berehove (d’abord en qualité d’adjoint, puis de titulaire), je collabore avec lui depuis dix ans. Il est parfaitement conscient du fait que son département est, entre autres, une mosaïque de minorités ethniques, dont la population inclut aussi de nombreux magyarophones. C’est pour cette raison qu’il m’a demandé de devenir l’un de ses adjoints – proposition que j’ai accueillie avec enthousiasme, et acceptée.

MN : A quel niveau hiérarchique une telle nomination doit-elle être approuvée ?

IP : C’est Poloskov qui m’a choisi,mais la question a naturellement dû être préalablement examinée par son ministère de tutelle, et sa proposition a dû recevoir l’approbation du président ukrainien Volodymyr Zelensky, avec qui Poloskov a eu une rencontre avant sa propre nomination, au cours de laquelle ils se sont consultés sur de nombreuses questions, et notamment sur l’équipe dont Poloskov comptait s’entourer. Le président Zelensky n’a pas émis de réserve à mon encontre : après tout, moi aussi, il me connaît – mon travail à la tête d’un arrondissement nous ayant donné plusieurs occasions de nous croiser.

MN : Certains considèrent que votre nomination représente une formidable opportunité pour les hongrois de Subcarpatie, et pourrait mener à un réchauffement des relations magyaro-ukrainiennes, quelque peu gelées ces derniers temps. Selon d’autres, elle n’a pas d’autre finalité que de permettre au parti au pouvoir à Kiev de déclarer en guise d’alibi que « l’adjoint au gouverneur est un hongrois ». Qu’auriez-vous à répondre à ces derniers pour les tranquilliser ?

IP : L’année dernière, des élections locales ont eu lieu en Ukraine. Elles ont permis aux partis de la minorité hongroise de s’assurer des mandats dans diverses administrations locales. Après les élections, néanmoins, ces partis n’ayant pas réussi à se mettre d’accord avec la majorité présidentielle en vue de la formation d’une coalition, aucun homme politique hongrois n’a été nommé à la direction administrative du département. Dans un tel contexte, je considère ce poste d’adjoint au gouverneur comme une opportunité magnifique, qui me permet de plaider la cause de ma minorité ethnique. J’aimerais avoir un rôle constructif, et je pense qu’il faut normaliser la situation : les deux pays ont besoin de rapports de bon voisinage.

MN : Pendant que vous négociiez l’acceptation de cette position avec Poloskov, vous a-t-il dit qu’il compte sur vous pour améliorer et intensifier ses relations avec la minorité hongroise ?

IP : Bien entendu. Ce sera l’une de mes tâches principales. Il est essentiel que les diverses composantes de la population de Subcarpatie – et donc aussi la minorité hongroise – puissent collaborer dans de bonnes conditions en vue de développer leur département. Et, permettez-moi de le souligner une fois de plus : l’Ukraine et la Hongrie doivent normaliser leurs relations – ce à quoi j’essaie de contribuer avec les moyens dont je dispose. Il est important de savoir que l’administration publique ukrainienne a été renouvelée au premier janvier ; les possibilités qu’ouvre ce renouvellement doivent être exploitées au mieux par les hongrois de Subcarpatie, et je m’efforcerai, depuis l’administration départementale, d’y contribuer de mon côté, de concert avec mes collègues issus d’autres ethnies. C’est une tâche à laquelle d’autres aussi feraient bien de s’atteler, au lieu de critiquer.

MN : La complication des relation magyaro-ukrainiennes a commencé en 2017, lors de l’adoption de la loi ukrainienne sur l’Éducation ; par la suite, la situation s’est encore détériorée, lorsque, il y a un an et demi, la loi ukrainienne sur la Langue – âprement critiquée par les minorités ethniques – est entrée en vigueur. Contre cette dernière, les organisations hongroises de Subcarpatie ont, elles aussi, protesté depuis la toute première heure, estimant qu’elle mettait fin à tous les droits linguistiques dont jouissaient jusque-là les minorités ethniques. Que peut-on faire en vue de reconquérir ces droits ?

IP : Ce qui est certain, c’est qu’on ne peut pas négocier depuis une position consistant à exiger un retour en arrière intégral. Il faut aussi comprendre que, cette année, cela va faire trente ans que l’Ukraine est devenue un pays indépendant, et bien des choses ont changé pendant ces trois décennies. L’Ukraine, comme on le sait, se bat toujours pour le rétablissement de son intégrité territoriale et contre une agression russe : le patriotisme s’est renforcé, l’importance de l’État ukrainien a été révisée à la hausse. Il faut aussi voir quels partis entrent au Parlement, et quel genre de majorité s’y forme. Nous devons identifier celles des solutions potentielles qui conviennent aux deux parties. Quand aux négociations, elles doivent être confiées à des hommes politiques spécialisés dans ce domaine.

MN :Les derniers mois ont été riches en incidents choquants, comme lorsque l’accès au territoire ukrainien a été refusé au commissaire ministériel István Grezsa, ou encore au secrétaire d’État hongrois à la politique nationale, Árpád János Potápi. L’année dernière, à Oujhorod, fin novembre, des hommes en armes ont procédé à une razzia au siège de la Ligue Culturelle Hongroise de Subcarpatie (en hongrois : KMKSz) : le Service Ukrainien de Sécurité (en ukrainien : SBU) a fait des descentes dans les établissements du KMKSz, ainsi qu’une perquisition au domicile de son président,László Brenzovics. Maintenant que les élections locales ukrainienne de 2020 sont passées, peut-on espérer ne plus voir d’incidents de ce genre empoisonner les relations entre nos deux pays ?
IP : Ces relations ne sont, effectivement, pas sans poser quelques problèmes, et la cause s’en trouve dans une politique hongroise des minorités qui n’est pas adaptée à son objet. La Confédération Démocratique Hongroise d’Ukraine (en hongrois : UMDSz) est hélas en cours de dissolution, et les affaires du KMKSz ne sont pas non plus toutes parfaitement claires. De ce point de vue, nous avons touché le fond. Et malgré tout, je veux croire qu’il se produira au plus tôt une rencontre des deux ministres des Affaires étrangères et que – nouvelle année, nouveau début –un travail constructif va pouvoir commencer entre les deux parties.

MN : Le SBU a lancé une enquête pour haute trahison, violation de l’intégrité territoriale de l’État et faux en écritures publiques contre les élus locaux de la commune subcarpatique de Szürte, à qui on reproche d’avoir en novembre chanté l’hymne hongrois lors de la cérémonie au cours de laquelle les élus locaux ont prêté serment.
IP : C’est une affaire dans laquelle une enquête est en cours, donc, jusqu’à sa conclusion, je préfère m’abstenir de tout commentaire, pour ne pas interférer dans le travail des institutions compétentes. J’espère que les choses s’arrangeront d’une façon susceptible de calmer les esprits.

MN : Pendant la pandémie, en dépit des tensions qui pèsent sur les relations bilatérales, le gouvernement hongrois a envoyé à l’Ukraine et à la Subcarpatie des cargaisons d’aide humanitaire : des respirateurs et du matériel médical. Qu’a représenté cette aide pour la Subcarpatie ? Quel regard portent les Ukrainiens sur cette assistance ?
IP : J’aimerais, en tout premier lieu, remercier le gouvernement hongrois pour l’aide qu’il a pu nous apporter en dépit de la situation difficile dans laquelle lui-même se trouvait, et exprimer ma gratitude à l’Aide Œcuménique Hongroise pour la mise en œuvre de ce programme d’aide. Ces respirateurs et ce matériel médical sont arrivés à un moment crucial. Comme la presse ukrainienne a elle aussi rendu compte de cette opération d’assistance, les gens ont pu en être informés en suivant les nouvelles.

MN :Dans cette opération, un rôle de premier plan est revenu à l’Aide Œcuménique Hongroise, qui a permis au matériel humanitaire d’arriver à bon port. Cette collaboration n’a d’ailleurs pas été la seule action localede cette organisation, présente en Subcarpatie depuis des décennies. Quelle importance revêt à vos yeux l’accord signé, en mai de l’année dernière, entre l’ancien gouverneur Oleksiy Petrov et le directeur de l’Aide Œcuménique Hongroise, László Lehel – un accord qu’ils n’ont d’ailleurs pas cessé de renforcer depuis lors ?
IP : Ce mémorandum d’une grande importance permet d’accélérer l’assistance fournie, de la rendre plus transparente et plus professionnelle.

MN :De quel type d’aide les hongrois de Subcarpatie ont-ils le plus besoin ?
IP : Avant tout, de paix et de calme. En vue d’y parvenir, l’investissement dont ont parlé les deux ministres des Affaires étrangères pourrait revêtir une grande importance symbolique : il s’agit de la rénovation de l’hôpital d’arrondissement de Berehove. Mon rêve serait qu’à la fin de cette année, le numéro un hongrois et son homologue ukrainien l’inaugurent ensemble.


Au service du bien

L’Aide Œcuménique Hongroise dispose depuis 18 ans d’une représentation permanente en Ukraine. L’association est officiellement déclarée à Kiev comme en Subcarpatie, et accomplit sa mission sur le territoire de l’Ukraine tout entière. Le coût des opérations menées jusqu’à aujourd’hui représente un total de trois milliards de forints (plus de huit millions d’euros), grâce auxquels elle a pu apporter une aide directe à plus de trois cent mille personnes. En Hongrie, ses opérations bénéficient, outre le gouvernement, du soutien du ministère des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, du ministère des Ressources humaines, de l’agence Hungary Helps, de la Confédération des villes de droit comital, d’associations, de communes, d’entreprises et de donateurs individuels, ainsi que, à l’international, de ACT Alliance et de l’Union européenne. En décembre 2020, le directeur de l’Aide Œcuménique Hongroise,László Lehel, a rencontré à Oujhorod le nouveau gouverneur de Subcarpatie, Anatoliy Poloskov. Au cours de cette réunion, ils ont passé en revue le travail humanitaire déployé par l’association en Ukraine – et notamment en Subcarpatie – tout au long de plusieurs décennies, et déterminé les principes qui devront à l’avenir régir sa collaboration avec l’administration du département. Suite à l’accord de coopération passé entre les parties en mai de l’an dernier, les activités humanitaires de l’Aide Œcuménique Hongroiseen Subcarpatie vont pouvoir s’effectuer dans le cadre d’une collaboration plus étroite et plus fluide qu’elle ne l’a jamais été par le passé : au cours des derniers mois, cette organisation humanitaire a à plusieurs reprises acheminé en Ukraine des cargaisons d’une grande valeur, contenant du matériel de protection pour les institutions sanitaires et sociales, les hôpitaux et les familles démunies d’Ukraine.

Attila Borsodi