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László Pesty : « Cette avancée nécessitera des conflits. Nous sommes prêts à relever le défi »

Temps de lecture : 6 minutes

Hongrie – László Pesty, cinéaste hongrois et chef de la campagne de collecte de signatures pour l’initiative citoyenne européenne en faveur des minorités autochtones européennes : « De telles avancées nécessitent des conflits et une communication honnête, parfois dure. Nous sommes prêts à relever le défi. »

L’Initiative Citoyenne Européenne (ICE) « Politique de cohésion pour l’égalité des régions et le maintien des cultures régionales » arrive au terme de la phase 2, près d’une décennie après son démarrage.

Comme nous l’avait expliqué le politologue hongrois Attila Dabis, qui est le vice-président du comité porteur de l’initiative, le combat juridique a démarré en 2011. Mais ce n’est qu’en 2019 que la collecte des signatures a pu commencer (un minimum d’un million de signatures collectée en une année est requis, ainsi que le franchissement d’un seuil minimal dans 7 États membres).

La crise du Covid a donné lieu à plusieurs extensions de délais pour la collecte des signatures, et s’arrête le 7 février 2021 à 23h59. Finalement, en plus du million de signatures largement obtenu (en grande partie en Hongrie), ce sont au final 9 pays qui ont dépassé le seuil minimal requis (Espagne, Suède, Lettonie, Lituanie, Slovaquie, Hongrie, Slovénie, Croatie, Roumanie).

Le cinéaste László Pesty, responsables des campagnes irdala.hu (en hongrois) et signiteurope.com (en anglais et autres langues) de soutien à la collecte des signatures, a répondu aux questions du Visegrád Post sur cette initiative visant à obtenir au niveau de l’Union européenne plus de droits pour préserver la culture des minorités historiques européennes – tels que les Sicules, les Bretons, les Corses, les Catalans ou les Basques par exemple.

László Pesty dans son QG de campagne, à Budapest, préparant des pancartes pour soutenir l’Initiative Citoyenne Européenne dont il dirige la campagne de collecte de signatures. Janvier 2021. Photo : Visegrád Post

Visegrád Post : La fin de semaine dernière, vous avez réussi à atteindre le seuil du septième pays. Comme vous aviez déjà le million de signatures, votre initiative citoyenne européenne (ICE) est désormais valable. Comment cela s’est-il passé, quel pays vous a fourni le plus grand nombre de signatures ? Comment expliquez-vous ce succès dans ces sept pays ?

László Pesty : La défense des minorités nationales est un mouvement très vivant dans toute l’Europe. Il s’agit d’un effort laborieux et continu. Notre succès ne réside pas dans la propagation d’une raison expliquant l’importance de l’initiative. Le défi consistait à établir divers canaux de communication, tant en ligne que de manière traditionnelle. Ce n’est pas seulement notre défi personnel ; ce phénomène est le véritable dilemme des minorités nationales. Il y a une crise sociale de grande ampleur. Les décideurs de l’UE ont le pouvoir législatif d’apporter une solution. Le chaînon manquant est la communication. Notre principale réalisation fut d’amplifier les voix de ceux qui n’étaient pas entendus. C’est l’objet premier de toute initiative citoyenne européenne.

Notre action a été relativement facile dans la région de Transylvanie en Roumanie. Notre équipe comprend de nombreux Transylvains. La Hongrie, bien sûr, est naturellement également en relation étroite avec cette région. C’était là que communiquer leur détresse aura été le plus aisé car nous sommes déjà fortement liés. Les minorités nationales ont de sérieux problèmes dans tous les coins de l’UE, mais il y a des obstacles bureaucratiques à leur articulation. L’Espagne a été un contributeur important en ce qui concerne le nombre de signatures. Les Catalans et les Basques se sont déjà battus pour abolir les barrières et pour établir leurs propres moyens de communication. L’effort requis de notre part était proportionné aux véhicules du discours social disponibles pour la cause et à la flexibilité des acteurs en charge.

Visegrád Post : L’échéance avait été reportée à deux reprises. Comment s’est déroulée l’organisation de l’ICE en cette année 2020 marquée par le Covid ? Quelles difficultés avez-vous dû affronter au cours des douze derniers mois ?

László Pesty : Les gens pensent souvent qu’à cause de la pandémie, c’était un défi de collecter les signatures. C’est une hypothèse complètement erronée. La documentation sur papier n’était pas un élément essentiel de la campagne. Nous nous sommes concentrés sur la présence en ligne et sur la collecte des signatures par voie numérique, en tenant compte des entonnoirs d’appel à l’action dans les éléments de la campagne en ligne que de manière traditionnelle.

Ce que beaucoup ne reconnaissent pas, même en dehors de la campagne, c’est l’état d’esprit dramatique dans lequel la société a sombré globalement. Il est absurde de parler de quoi que ce soit dans l’ombre de Covid. Les nouvelles amères qui l’entourent et l’urgence constante exigée ont débordé les représentants politiques et occupé les plateformes d’information. Comme je l’ai déjà mentionné, notre mission consistait à établir des moyens de communication. Le Covid aura été pour nous aussi un défi majeur, non pas en ce qui concerne le processus de collecte de signatures, mais pour pouvoir faire passer le message.

Visegrád Post : Ne craignez-vous pas que l’UE rejette cette ICE, tout comme elle a rejeté le « Minority SafePack » ? Nous avons récemment constaté que les institutions européennes ont rejeté sans hésitation le « Minority SafePack » (MSP), alors que cette initiative visait à protéger et à promouvoir les minorités indigènes européennes et a même eu le soutien du Parlement européen avant d’être balayée par la Commission européenne.

László Pesty : Encore une fois, revenons à la même préoccupation, à la cause première. Le Parlement européen a soutenu le MSP. La Commission européenne l’a cependant rejeté. Nous assistons à une grave dissension entre le public et les bureaucrates. La Commission européenne s’appuie sur une approche très technocratique, qui est d’ailleurs méticuleusement exécutée. En attendant, elle est déconnectée comme le prouve la tragédie du Brexit. Notre travail consiste à nous préparer aux défis bureaucratiques, et surtout à faire la lumière sur les mécanismes paradoxaux avec lesquels nous sommes obligés de compter. Si nous réussissons, ce n’est pas seulement notre initiative Sign It Europe et les 50 millions d’Européens directement touchés en tant que minorités qui en bénéficieront. L’Europe dans son ensemble peut retrouver sa confiance dans les institutions démocratiques. L’idéologie académique peut faire bonne figure sur le papier, sur les projets qui traînent dans les différents bureaux de Bruxelles. Mais c’est une autre affaire que de vivre ces valeurs, de les faire vivre. De telles avancées nécessitent des conflits et une communication honnête, parfois dure. Nous sommes prêts à relever le défi.

Visegrád Post : Pensez-vous que ce rejet était motivé par des raisons politiques ? En Hongrie, le Minority SafePack ainsi que l’ICE que vous soutenez, la politique de cohésion pour l’égalité des régions et la pérennité des cultures régionales, ont bénéficié d’un large soutien. En Hongrie, le sujet des minorités nationales est bien connu pour des raisons historiques, et ce n’est pas une question de politique, ni de droite ou de gauche.

László Pesty : Je pense qu’il était en partie motivé par des raisons politiques, mais pour de mauvaises raisons. Le problème fondamental est que l’institution de l’initiative citoyenne n’est ni respectée ni comprise par la Commission européenne. La Commission n’aime pas les surprises et il est rare que des initiatives aient du succès. Il n’existe pas de précédent solide sur lequel s’appuyer et aucun processus établi pour préparer la prise de décision. Il est très clair que le gouvernement hongrois et Bruxelles se trouvent dans un état de brouille diplomatique. D’ailleurs, n’oubliez pas que, non pas avec de mauvaises intentions mais pour la stabilité populaire, il est dans l’intérêt de certains gouvernements majoritaires, que les minorités nationales restent dans un état d’oisiveté politique. Le moindre geste des représentants de la majorité – sans grande conspiration – a suffi à faire pencher la balance. Un tel geste aurait pu s’appuyer sur des perceptions de la politique étrangère de la Hongrie, non pas sur un raisonnement éthique, mais simplement sur la logique d’une persuasion naïve pour l’intérêt national.

Visegrád Post : Même si l’ICE a déjà réussi à atteindre le seuil d’exigences, les gens peuvent encore la signer, ce qui permet de renforcer encore l’initiative. Que diriez-vous à nos lecteurs francophones, anglophones et germanophones pour qu’ils la signent ?

László Pesty : Merci pour cette question. J’aimerais profiter de l’occasion pour réitérer ma principale préoccupation. Oui, l’UE a donné un cadre à l’initiative citoyenne et n’exige « que » sept pays. Oui, pour un bureaucrate, il suffirait de considérer le projet comme terminé et d’attendre patiemment l’évaluation. Il pourrait s’agir d’un autre rapport volumineux aux yeux de l’administration. Néanmoins, pour moi et pour toutes les personnes impliquées, cela signifie beaucoup plus. Il s’agit de quelque chose d’entièrement différent. Chaque signature représente un citoyen. Dans une démocratie, voter, ce n’est pas penser à une moyenne mathématique ou croire que quelqu’un d’autre le fera pour nous. Voter est une sorte de rituel moderne d’exercice du libre arbitre. Si nous ne croyions pas à ce rituel, nous n’aurions plus d’Europe. Je voudrais demander à tous ceux qui approuvent cette initiative de signer. Ne signez pas pour les chiffres. Signez pour soutenir l’initiative, pour soutenir une Europe des citoyens, où chacun a son mot à dire.


Pour signer l’Initiative Citoyenne, cliquez ci-dessous :
signiteurope.com