Pologne – Si la gestion de la première vague de la pandémie au printemps 2020 par le gouvernement polonais comme par les autres gouvernements du Groupe de Visegrád avait pu paraître plutôt bonne en comparaison de celle des grands pays d’Europe occidentale, on ne peut pas en dire autant depuis l’automne. Après le relâchement général de l’été dernier, quand le premier ministre Mateusz Morawiecki affirmait à la faveur de la campagne électorale pour la présidentielle que la Pologne avait gagné le combat contre la pandémie et quand les restrictions sanitaires étaient quasiment totalement levées et les activités de traçages quasiment abandonnées, la Pologne a rattrapé à la faveur de l’automne, puis dépassé, les pays les plus touchés en termes de décès. Ceci en raison d’une politique de confinement des établissements de santé devenus difficilement accessibles, de non-traitement des malades atteints du Covid auxquels toute consultation médicale « en présentiel » est généralement refusée tant qu’il est inutile d’appeler une ambulance pour les emmener à l’hôpital, tandis que des membres du gouvernement coupés de toute réalité font justement porter aux Polonais la responsabilité de cette forte mortalité parce qu’ils attendraient trop longtemps pour consulter un médecin !
Résultat : en termes de décès officiellement attribués au Covid, la Pologne est désormais au niveau de la France avec 1 473 morts par million d’habitants et a largement dépassé la Suède, pays de l’UE où les restrictions sanitaires ont été les moins strictes depuis le début de l’épidémie. Mais l’on peut en outre soupçonner que le nombre de décès liés au Covid en Pologne est largement sous-estimé, car c’est aussi un des pays de l’UE où l’on fait le moins de tests : un peu plus de 332 000 pour un million d’habitants depuis le début de la pandémie, contre 497 000 en Hongrie, 600 000 en Allemagne, 742 000 en Suède, 851 000 en Italie, 929 000 en Espagne, 1 036 000 en France, 1 263 000 en Tchéquie et 1 871 000 au Royaume-Uni (chiffres publiés sur Wordometers au 7 avril). Quoi qu’il en soit, la Pologne a connu une hausse de la mortalité record en Europe en 2020, et son gouvernement ne semble pas avoir tiré les leçons de cette situation au premier trimestre 2021 puisque l’accès au système de santé reste toujours aussi limité, en particulier – mais pas uniquement – pour les personnes testées positives au Covid-19. Et alors qu’un médicament, l’amantadine, semblait dès le printemps donner des résultats positifs pour contenir la maladie chez les patients atteints du coronavirus SARS-CoV-2, il aura fallu un an, de mars 2020 à mars 2021, pour que les autorités polonaises consentent enfin à lancer une étude scientifique sur son efficacité.
Le système de traçage des cas contacts a complètement été délaissé en Pologne, y compris l’application de smartphone développée dans le but d’automatiser ce traçage et d’offrir aux pouvoirs publics un outil permettant de savoir où l’épidémie se propage le plus et donc de prendre des mesures adaptées à la réalité de la situation. Depuis le mois d’octobre, les services sanitaires (SANEPID) ont été complètement débordés et n’appellent plus les cas contacts. Ne sont donc testés et le cas échéant assignés à résidence que ceux qui présentent des symptômes caractéristiques du Covid, parviennent à obtenir une consultation téléphonique (ce qui n’est pas toujours chose aisée) et une ordonnance pour se faire tester et ont encore la force et l’envie de se rendre dans un centre de test (au risque de contaminer d’autres personnes). Résultat : les décisions de fermeture de restaurants, bars, centres commerciaux, installations sportives et autres ne sont pas fondées sur des données mais sur des idées écloses dans les cerveaux des membres d’un conseil scientifique dont le principal représentant dans les médias, le professeur Horban, est allé en mars jusqu’à pester contre ces entrepreneurs qui se plaignent tout le temps de l’absurdité et de la nuisance des décisions prises par les autorités alors qu’ils pourraient tous se mettre à produire des masques afin d’éviter la faillite ! Le ministre de la Santé, Adam Niedzielski, promet désormais de son côté aux Polonais qu’ils passeront le reste de leur vie en situation de menace épidémique et qu’ils doivent donc s’y habituer !
Mais les premières victimes de la gestion désastreuse de la pandémie depuis l’été dernier en Pologne, ce sont les enfants, car le gouvernement de Mateusz Morawiecki semble avoir voulu compenser son incapacité à contenir la propagation de l’épidémie non pas par des confinements stricts comme en France ou au Royaume-Uni – ce dont les Polonais ne se plaignent pas – mais par un recours extensif à l’école à distance.
C’est ainsi que, après avoir fait trois mois d’école à distance au printemps, les lycéens polonais ont été renvoyés chez eux et y sont depuis le 19 octobre. Les élèves des grandes classes de l’école primaire (en Pologne l’école primaire couvre les classes du CP à la dernière année de collège), c’est-à-dire âgés de 10-11 ans à 14-15 ans, sont en école à distance depuis le 26 octobre. Seuls les élèves des petites classes de l’école primaire, c’est-à-dire âgé de 9-10 ans maximum (l’âge de la troisième année d’école primaire) ont eu un peu plus de chance, puisqu’ils ont pu aller à l’école jusqu’à la fin de la première semaine de novembre, puis à nouveau du 18 janvier au 19 mars. Pendant ces deux mois d’école « en présentiel » pour les petites classes en 2021, seulement environ 5 % des écoles primaires ont eu à renvoyer tous les enfants chez eux à un moment ou à un autre pour cause d’apparition de foyers épidémiques. De l’aveu même du ministre de l’Éducation Przemysław Czarnek, la décision de fermer les écoles ne découle pas de leur rôle dans la propagation de l’épidémie (d’autant plus qu’avant l’apparition du « variant anglais » du virus cette année, les enfants transmettaient très peu la maladie et ils continuent de la transmettre moins que les adultes), mais de la volonté de limiter les déplacements de leurs parents ! C’est d’ailleurs le même motif qui a été invoqué quand il a été décidé de fermer les salons de coiffure et les salons de beauté à partir du 27 mars, ce qui est vécu par beaucoup comme une véritable provocation. Une provocation qui s’ajoute à celle de la décision de toute évidence absurde, mais en place depuis des mois même si elle est de moins en moins respectée, d’imposer à tous le port du masque en extérieur.
Au départ, ce nouveau confinement « soft » (les gens restent libres de leurs déplacements) était annoncé jusqu’au 11 avril, mais le ministre de la Santé a annoncé le 7 avril sa prolongation jusqu’au 18 avril. Quant aux enfants, on n’envisage pas leur retour à l’école avant le mois de mai ou juin, pour autant qu’ils y retournent avant les vacances scolaires ou même après. Pourtant, les enseignants ont tous eu droit au vaccin anti-Covid en février-mars, ce qui est un exemple supplémentaire du chaos et de l’incohérence qui règne dans la prise des décisions en matière de lutte contre la pandémie de Covid. Hormis les plus jeunes, depuis le confinement du printemps les enfants et adolescents polonais auront bientôt passé une année scolaire complète à la maison. De l’avis de tous les spécialistes, cette politique du gouvernement polonais sera lourde de conséquences sur l’éducation et sur l’avenir de la jeune génération, sans parler des problèmes psychiatriques pédiatriques qui sont en passe de devenir un véritable phénomène de société.
Le premier ministre Mateusz Morawiecki rassurait toutefois les Polonais dès le mois de janvier : les investissements en psychiatrie pédiatrique ont été plus que doublés l’année dernière. Tout va très bien, Madame la marquise ! Mais en attendant, le classement Bloomberg de la fin mars plaçait la Pologne 50e pays sur 53 en termes d’efficacité de la lutte contre la pandémie et contre ses conséquences, en recul de 10 places. Dans ce classement, seuls le Brésil, la Tchéquie et le Mexique s’en sortent plus mal.