Article paru dans le Magyar Nemzet le 12 avril 2021.
En un seul clic, le géant du numérique est capable d’interférer dans les affaires intérieures d’États souverains
« On peut considérer comme une ingérence brutale dans les processus démocratiques l’action menée vendredi dernier par Facebook, qui a consisté à réduire drastiquement la visibilité des contenus partagés par certains hommes politiques » – a déclaré János Tamás Papp à Magyar Nemzet ; répondant à nos questions, ce juriste spécialiste des médias juge que cette initiative du réseau social suggère aussi qu’il s’apprête à tenter d’extraire un profit de services qu’il proposait jusqu’à présent gratuitement.
« Les restrictions sévères qui ont, vendredi dernier, affecté la visibilité des publications Facebook des hommes politiques hongrois
montrent bien le pouvoir énorme dont est désormais investie une telle plateforme médiatique, lui permettant de restreindre, sans s’exposer à aucune rétorsion légale, l’accès au public dont disposent des hommes politiques – y compris des dignitaires gouvernementaux, voire des chefs de gouvernement. »
« Il est fort inquiétant que les données fournies par Facebook et les géants technologiques de la même catégorie ne soient généralement pas vérifiables du tout, ou très difficilement vérifiables, de telle sorte qu’il n’est même pas certain que les événements de vendredi dernier aient été dus à un problème technique. »
« En tant qu’utilisateurs – nous a confié ce spécialiste –, nous sommes tous livrés à l’arbitraire de ces plateformes, et même à supposer que seules des considérations économiques les aient amenés à restreindre la visibilité des contenus partagés par des hommes politiques, on peut s’attendre à tout moment à voir ces considérations évoluer, ainsi que la pratique du filtrage des contenus sur les réseaux sociaux. ».
Comme on le sait, en janvier de cette année, Facebook a fait savoir, en rapport avec les troubles survenus au Capitole dans le contexte des élections américaines, qu’il comptait restreindre très généralement l’accès aux contenus politiques postés sur son réseau.
« Il se peut que l’arrière-pensée présidant à ces manœuvres soit que la polarisation des opinions politiques et les débats passionnés qui s’ensuivent risquent de retirer à certains utilisateurs l’envie d’avoir recours à ce site, mais on ne peut pas non plus exclure qu’il soit dans l’intérêt de certains groupes politiques proches du géant numérique de faire passer les contenus politiques au second plan. »
« Il n’est pas impossible non plus que Facebook souhaite extraire un profit supplémentaire d’une tarification de la visibilité offerte aux divers messages de nature politique. À l’approche des élections législatives de 2022, ils ont pu juger opportun d’envoyer un signal, de façon à faire comprendre qu’à la différence de la pratique actuelle, faire parvenir efficacement ses messages à un électorat cessera à l’avenir d’être gratuit. »
János Tamás Papp a aussi fait remarquer que le manque de transparence des décisions de Facebook et consorts constitue aussi un sujet brûlant de l’actualité internationale ; ainsi, l’Union européenne déplore que, bien que Twitter, Facebook et autres grands réseaux aient signé le Code européen de bonnes pratiques contre la désinformation, les activités de filtrage des contenus restent invérifiables, de même, souvent, que les rapports présentés par ces géants du numérique.
« Je vois une pratique nuisible – et qu’on peut caractériser comme une ingérence assez brutale dans le fonctionnement du débat public démocratique – dans ce contrôle de l’accès à l’information, qui permet à quelques privilégiés de décider de ce que les utilisateurs vont voir. L’approche des élections rendrait justement souhaitable qu’on réduise au minimum la censure des réseaux sociaux et le filtrage des contenus qui apparaissent sur les fils d’actualités des utilisateurs, de façon à ce que les gens puissent se faire une opinion eux-mêmes sur les messages que leur adressent les protagonistes du combat politique. En pratique, ce qu’on constate, c’est que des entreprises privées sont désormais capables, en un seul clic, d’interférer dans les affaires intérieures d’États souverains. »
Comme l’a récemment rapporté Magyar Nemzet, vendredi dernier, la visibilité des messages postés sur Facebook par les hommes politiques hongrois a décru d’environ quatre-vingt-dix pour cent – ce dont se sont alors plaints non seulement des dignitaires des partis de gouvernement – comme Csaba Dömötör, ou encore István Hollik –, mais aussi des représentants de la gauche – comme Ferenc Gyurcsány, András Fekete-Győr ou Anna Donáth. Répondant peu après aux questions de l’hebdomadaire Hvg.hu, le réseau social a évoqué un problème technique.
András Kárpáti
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Traduit du hongrois par le Visegrád Post