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Affaire Protassevitch : les réactions polonaises

Temps de lecture : 4 minutes

Biélorussie – « Pour attraper un opposant, Loukachenko a détourné un avion polonais », titrait le journal phare de la gauche libertaire polonaise Gazeta Wyborcza le dimanche 23 mai. L’avion de Ryanair utilisé pour le vol Athènes-Vilnius ce jour-là est en effet « un des 27 appareils appartenant à Buzz (anciennement Ryanair Sun), une compagnie aérienne enregistrée en Pologne et détenue par le groupe Ryanair », expliquait le journal. « Dimanche à 10 heures, heure locale, il a décollé d’Athènes à destination de la capitale lituanienne. Lorsque l’avion est arrivé à hauteur de Lida en Biélorussie, près de la frontière avec la Lituanie, le contrôle aérien a ordonné aux pilotes de faire demi-tour vers Minsk en raison d’une alerte à la bombe. Le Boeing était escorté par un avion de chasse biélorusse. »

Ce détournement vers Minsk a permis l’arrestation par la Biélorussie de Roman Protassevitch, « fondateur et ancien rédacteur en chef de la chaîne d’opposition Nexta, qui assure une couverture détaillée des manifestations anti-présidentielles au Belarus (qui ont éclaté en août 2020 après le trucage de l’élection présidentielle par Alexandre Loukachenko). » Or, explique plus loin le journal polonais, « les avions sont le territoire des pays dans lesquels ils ont été immatriculés. Par conséquent, on peut considérer que l’opération consistant à amener l’avion avec Protasiewicz à Minsk constituait en fait un enlèvement de citoyen biélorusse sur le territoire polonais. »

C’est pourquoi, ainsi que l’écrivait le journal conservateur pro-PiS Gazeta Polska codziennie dans son édition du 25 mai, « la Pologne exige la suspension des vols de l’Union européenne vers la Biélorussie – telle est la position présentée hier par le premier ministre Mateusz Morawiecki au sommet extraordinaire du Conseil européen à Bruxelles. Le procureur général polonais a également entamé une procédure concernant le comportement des autorités biélorusses (l’avion était immatriculé en Pologne) en ordonnant l’ouverture d’une enquête dans l’affaire de l’atterrissage forcé à Minsk de l’avion de Ryanair. »

« Le message électronique concernant la bombe censée se trouver à bord du vol Ryanair reliant Athènes à Vilnius dimanche a été envoyé alors que l’appareil avait déjà été dérouté vers Minsk, a déclaré la société suisse Proton Technologies AG. Les autorités biélorusses avaient désigné l’e-mail comme étant la raison de ce détournement. » Voilà ce qu’on pouvait lire le 27 mai dans le journal centriste Rzeczpospolita qui demandait en titre, dès le 25 mai : « Qui sont les Russes qui sont descendus à Minsk de l’avion Ryanair ? »

Et le journal polonais de poursuivre : « Certains experts doutent fortement que les agents du KGB biélorusse soient capables à eux seuls de suivre Roman Protassevitch jusqu’en Grèce. « Pour une telle opération, il faut un vaste réseau d’agents à l’étranger et de bonnes communications pour prendre des décisions rapidement. Et Nexta est un ennemi commun », a expliqué un homme ayant des liens avec les services russes pour justifier pourquoi il pense que le FSB est impliqué dans l’enlèvement du blogueur. La compagnie aérienne Ryanair elle-même a pointé du doigt quatre passagers du vol en provenance d’Athènes, des citoyens russes, qui sont restés à Minsk et n’ont pas poursuivi leur route vers Vilnius. Des opposants russes et des journalistes d’investigation en ont conclu que c’était un groupe d’agents du FSB qui avaient suivi le Biélorusse en Grèce, puis sur le vol. Cette version était d’autant plus plausible que dimanche après-midi, jour de son arrestation, un des avions de l’unité d’aviation spéciale Rossiya [rattachée à l’administration présidentielle, NDLR] a atterri à Minsk. Derrière ce nom menaçant se cache une compagnie aérienne qui ne transporte que les plus hauts responsables russes et les commandants de l’armée et des services spéciaux. »

Ce qui faisait dire au commentateur du journal Gazeta Polska codziennie cité plus haut que « l’affaire du détournement de l’avion Ryanair par le régime d’Alexandre Loukachenko montre à quel point les services biélorusses sont dépendants de leurs homologues russes. Toute l’opération en vue de l’enlèvement de Roman Protassevitch, un blogueur antigouvernemental, était en effet dirigée depuis Moscou. (…) Seul Vladimir Poutine peut aujourd’hui garantir à Loukachenko sa survie en Biélorussie ».

C’est d’ailleurs ce que faisait remarquer dans l’hebdomadaire conservateur (mais pas forcément pro-PiS) Do Rzeczy, dans son numéro de la deuxième semaine de mai, l’historien membre du parti conservateur chrétien Prawica Rzeczypospolitej (Droite de la République) Marian Piłka: la Pologne devrait faire preuve de plus de réalisme dans sa politique vis-à-vis de la Biélorussie. Une renaissance nationale des Biélorusses est dans l’intérêt de la Pologne, mais il serait naïf de croire que « les Biélorusses deviendront un État-nation antirusse ». Pour freiner ou empêcher l’intégration de la Biélorussie à la Russie, ou en tout cas au « système militaire russe », il aurait mieux valu que le gouvernement de Mateusz Morawiecki ne soutienne pas directement l’opposition biélorusse – ce qui pousse Loukachenko dans les bras de Poutine et ce qui entraîne des répressions contre la minorité polonaise en Biélorussie – mais qu’il mise sur une action à long terme pour contribuer à renforcer l’identité nationale biélorusse.

Néanmoins, après le détournement de l’avion de la Ryanair le dimanche 23 mai, même le nationaliste Krzysztof Bosak, un des leaders du groupe le moins atlantiste du parlement polonais, Konfederacja (Confédération – une coalition des nationalistes et des libertariens), a déclaré à la radio : « L’agression avec l’utilisation de matériel militaire, la désinformation de l’équipage de l’avion et le fait de forcer l’avion à atterrir – de telles choses ne peuvent être passées sous silence car cela ne peut qu’enhardir le régime. Les dictatures ne comprennent que le langage de la force. (…) Si la Pologne ou nos partenaires de l’OTAN et de l’UE ne font pas preuve d’un peu de détermination pour utiliser la force, la prochaine étape pourrait être l’enlèvement d’opposants biélorusses sur le territoire polonais. » Et c’est pourquoi, même selon lui (car pour les autres formations politiques représentées au parlement polonais la question ne se pose même pas) : « La décision de fermer l’espace aérien polonais aux avions en provenance de Biélorussie est une conséquence naturelle de ce qu’a fait le régime d’Alexandre Loukachenko » car « il doit y avoir une réponse claire ».