Article paru dans le Magyar Nemzet le 9 septembre 2021.
Hongrois et Serbes écrivent ensemble une nouvelle page de leur avenir commun
Quand bien même peu d’entre nous le sauraient, l’un des monuments architecturaux les plus anciens des relations serbo-magyares se trouve sur l’île [du Danube – n.d.t.] aujourd’hui connue sous le nom de Csepel. L’église du monastère de Ráckeve est l’un de nos monuments gothiques en parfait état de conservation, utilisé depuis 1440 par l’église orthodoxe serbe. C’est Ladislas Premier de Hongrie qui en a fait cadeau aux communautés serbes qui s’installaient dans la région, fuyant les armées turques qui dévastaient les régions bordant le cours inférieur du Danube.
Le fait qu’ici, en plein cœur de la Hongrie, tout au long des quelques six siècles qui se sont écoulés depuis lors, en dépit de tous les revers historiques, de toutes les épreuves traversées par ce pays, une paroisse orthodoxe serbe ait continué à fonctionner sans aucune interruption, cela est pour nous porteur de plusieurs messages d’une grande importance.
En premier lieu, cela nous apprend que la Hongrie n’a pas besoin de donneurs de leçons externes en matière de maintien d’une coexistence interethnique et interconfessionnelle durablement pacifique – et ce, en dépit du fait que, tout au long des siècles écoulés, personne n’ait éprouvé le besoin d’accoler une étiquette de « multiculturalisme » à cette coexistence pacifique.
Autre leçon d’une grande importance : l’histoire des relations serbo-magyares est riche d’une longue tradition d’entraide face à des périls existentiels comme celui qu’a représenté la conquête ottomane en Europe du Sud-Est. Ce message est de nos jours d’une grande actualité, au moment où nos pays sont menacés par des défis aussi sérieux que l’épidémie de coronavirus ou le danger de l’immigration de masse. Ce dernier est, bien entendu, d’une autre nature que celui que Hongrois et Serbes ont eu à affronter il y a six cents ans, mais lui aussi représente un grave risque sécuritaire, et nous arrive – comme à l’époque – du Sud-est.
S’il est si important de revenir sur ces épisodes d’entraide, c’est aussi parce que l’histoire commune de nos deux peuples n’a pas toujours été exempte de conflits, et même de conflits graves. Cette histoire de coexistence serbo-magyare inclut hélas aussi quelques chapitres sanglants. Du XVIe au XXe siècle, on se souvient de plusieurs conflits ethniques graves, qui ont durablement grevé nos relations. Les massacres perpétrés dans les agglomérations hongroises de Voïvodine lors de la guerre de libération nationale de 1848–49 ont laissé une trace indélébile dans la mémoire nationale, non moins que les atrocités commises par les Hongrois dans cette même Voïvodine pendant la Seconde Guerre mondiale, ou encore les punitions collectives qu’ont subies les villages hongrois à la fin de ladite guerre.
Nous aurions néanmoins aussi tort d’oublier que, dans la plupart des cas, derrière ces conflits, on trouvait les menées de telle ou telle grande puissance aspirant à placer notre région sous son influence – que ce soient les Habsbourg, cherchant à favoriser leurs intérêts dynastiques en incitant aux conflits ethniques, ou les grandes puissances qui ont parrainé la Petite Entente à titre d’alliance de revers contre l’Allemagne, quitte à envenimer sans scrupules les contradictions ethniques de la région, et sans autre but que la poursuite de ce qu’elles considéraient alors comme leurs intérêts stratégiques. Ce sont ces haines artificiellement attisées qu’a ensuite exploitées aussi l’Allemagne national-socialiste, lorsqu’elle a dressé les uns contre les autres les peuples de la région, pour favoriser son entreprise de conquête. C’est à cette entreprise que réagit, au printemps 1941, le geste tragique du Premier ministre hongrois Pál Teleki, qui s’est suicidé en signe de protestation contre l’invasion de notre voisin méridional.
S’il est une leçon que nous avons pu retenir de tout cela en vue de l’avenir, c’est que nous ne devons pas laisser des puissances étrangères régler les affaires de notre région. Chaque fois que cela s’est produit, ce sont les peuples qui vivent ici – nous autres Hongrois, les Serbes et les autres – qui en ont subi les conséquences.
Il en va de même concernant l’une des questions les plus importantes de la politique centre-européenne actuelle : l’élargissement de l’UE vers les Balkans occidentaux. Bien que l’intégration de la Serbie soit un enjeu de sécurité capital pour tous les Etats-membres – et non pour la seule Hongrie ou, disons, pour la Hongrie et la Slovénie –, les grandes puissances occidentales semblent ne pas vouloir reconnaître l’importance stratégique de cette adhésion.
Comme l’a dit le Président serbe Aleksandar Vučić, s’exprimant au Forum Stratégique Européen de Bled : alors même que l’UE d’après le Brexit a besoin de s’élargir, elle tend à s’isoler, et à ne pas comprendre le contexte mondial dans lequel elle s’inscrit.
Et pourtant, la crise migratoire aigüe à laquelle il faut s’attendre suite aux événements récents en Afghanistan, elle aussi, devrait de toute urgence inciter l’UE à approfondir sa coopération stratégique avec les pays des Balkans occidentaux, et tout particulièrement avec ce pays-clé de la région qu’est la Serbie du fait de sa situation limitrophe, bordant la frontière externe de la zone Schengen.
Pour reprendre la caractérisation de la situation proposée par le Premier ministre Viktor Orbán au sommet intergouvernemental de Budapest : c’est justement du point de vue de la sécurité de l’Allemagne et des autres Etats d’Europe de l’Ouest qu’il serait le plus important de coopérer avec la Serbie pour la défense des frontières externes.
En effet, pour la grande majorité des migrants, les pays visés sont ceux-là, et non la Hongrie ou la Serbie. Et malgré tout, il semblerait que la défense des frontières de l’Europe doive à nouveau incomber aux Hongrois et aux Serbes. Nous autres, nous comptons bien faire une fois de plus notre devoir, comme nous l’avons déjà fait par le passé. Et ce, en dépit du fait que – comme l’a fait remarquer le chef du gouvernement hongrois – nous soyons seuls et ne puissions compter que sur nous-mêmes.
Le gouvernement hongrois, depuis de nombreuses tribunes et à de nombreuses occasions, a toujours souligné son engagement en faveur de l’adhésion de notre voisin méridional, et de la refondation de nos relations bilatérales. De ce point de vue, la Hongrie a fait un premier pas en 2011, en traitant l’élargissement aux Balkans occidentaux comme l’une des priorités de la présidence hongroise de l’Union. La chance a voulu qu’à cette époque, la Serbie avait déjà éliminé l’obstacle que constituaient de notre point de vue ceux des éléments de la loi serbe sur la restitution des biens confisqués qui impliquaient une discrimination à l’encontre de la minorité de langue hongroise.
S’agissant de ce virage qu’ont pris les relations serbo-magyares, les résultats qu’il a produits ces dernières années parlent d’eux-mêmes. Le somment intergouvernemental actuellement en cours constitue d’ores et déjà un forum bien huilé pour cette coopération qu’on peut – désormais sans la moindre exagération – appeler une réussite.
Le monde a bien changé depuis ce jour de l’été 2013 au cours duquel, en Voïvodine, les Présidents des républiques hongroise et serbe ont fleuri ensemble le monument aux victimes civiles hongroises et serbes de la Seconde Guerre mondiale qui se dresse dans le village de Csúrog [Čurug en serbe – n.d.t.].
Et cette coopération est loin de se limiter à la réalisation de projets d’infrastructure communs comme la ligne de chemin de fer Budapest–Belgrade ou le gazoduc qui arrive en Hongrie via la Serbie.
Le volume des échanges commerciaux entre nos deux pays a augmenté de 50% de 2014 à 2019 – progression que même l’épidémie n’a pas réussi à faire dérailler. En Serbie, actuellement, la Hongrie est, derrière la Hollande et la Russie, le troisième investisseur étranger. Et en 2016, le gouvernement hongrois a lancé son programme de développement économique de la Voïvodine, visant, via le développement des entreprises de Voïvodine, à créer des emplois, des chaînes d’approvisionnement et donc – indirectement – à freiner la tendance à l’émigration des hongrois de la minorité locale.
Dans le domaine des gestes symboliques, c’est probablement la rénovation sur fonds publics hongrois de la synagogue de Szabadka [en Voïvodine – Subotica en serbe – n.d.t.], construite dans le style Sécession hongrois, qui a démontré de la façon la plus spectaculaire à quel point nos deux pays sont capables d’une collaboration fructueuse dans l’intérêt de la conservation de notre héritage culturel commun. Comme l’a affirmé le Premier ministre hongrois lors de la cérémonie d’inauguration célébrée aux côtés du Président serbe Vučić : « la porte que nous ouvre le passé s’ouvre sur un avenir commun », que « les Hongrois et les Serbes écriront à quatre mains ».
Outre le dynamisme observable dans le secteur privé, l’ambiance régnant dans la population rend elle aussi sensible le fait que cette amélioration radicale de nos relations est bien plus qu’un slogan des milieux gouvernementaux. On peut affirmer que par le passé, les hongrois de Serbie n’ont jamais coexisté aussi pacifiquement avec la majorité ethnique du pays, et que tel est aussi le cas des serbes de Hongrie. Un sondage récemment publié de l’institut CEPER, enfin, fait apparaître qu’on peut actuellement considérer comme fort positive l’opinion des Serbes sur la Hongrie – même s’il est bien évident que l’harmonie régnant en ce moment entre les leaders des deux pays doit jouer un rôle dans cette évolution positive.
Il n’est peut-être pas exagéré d’affirmer qu’après des siècles d’une histoire qui fut souvent bien loin d’être sereine, les Etats hongrois et serbe ont aujourd’hui une chance historique sans précédent de réussir à donner forme – aussi bien séparément qu’en commun – à leur histoire. En ce qui nous concerne, nous faisons tout notre possible pour nous rendre capables de profiter de cette chance.
Balázs Orbán
directeur politique au sein du cabinet du Premier ministre Viktor Orbán
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Traduit du hongrois par le Visegrád Post