Pologne/Royaume-Uni – Le célèbre journaliste polonais Rafał Ziemkiewicz a vécu une aventure à la fois scandaleuse et rocambolesque ce samedi 2 septembre à l’aéroport Londres Heathrow. Alors qu’il avait atterri avec son épouse et sa fille pour un séjour de deux jours à caractère privé, seules ces dernières ont pu passer le contrôle de l’immigration. M. Ziemkiewicz a d’abord été retenu, puis placé en détention avant d’être expulsé vers Varsovie.
Un déplacement d’ordre strictement privé
La fille de M. Ziemkiewicz a été admise comme étudiante à la prestigieuse université britannique d’Oxford. Rafał Ziemkiewicz et son épouse l’accompagnaient donc lors de son déménagement de Pologne dans cette ville. Mais ce qui devait n’être qu’un bref séjour en famille a rapidement pris une tournure différente et éminemment politique.
M. Ziemkiewicz, dont les propos ont été retranscrit dans un entretien publié ce 3 octobre par l’hebdomadaire conservateur polonais Do Rzeczy dont il est un collaborateur régulier et y assure notamment une chronique, l’explique lui-même très simplement : « Ma femme et ma fille ont passé le contrôle, tandis que j’ai été arrêté par un officier [me] disant que quelque chose n’allait pas sur son ordinateur. Il m’a demandé de m’asseoir sur le siège à côté de lui et, m’a-t-il assuré, d’attendre un moment. […] Cinq minutes se sont transformées en une heure, puis une autre heure est passée. D’abord, quelques personnes sont venues et ont posé des questions […] sur ma fille, ma date de naissance, les pays dans lesquels j’étais allé, etc. Après environ deux heures, des personnes sont soudainement apparues et m’ont dit de les suivre. Puis la fouille classique a commencé, avec prise d’empreintes digitales et de photos. […] »
Privé de ses médicaments, de ses papiers et de son téléphone
« J’étais particulièrement curieux au sujet de mes médicaments contre le diabète, car l’Anglaise qui m’a interrogé m’a demandé de quel type de médicaments il s’agissait et quelle était leur composition. Plus tard, ces médicaments m’ont été confisqués car [un détenu en centre de rétention] n’est pas autorisé à prendre ses propres [médicaments]. On m’a dit que si je me sentais mal, ils pouvaient appeler une ambulance.
Ce n’est que plusieurs heures plus tard que j’ai été admis devant un agent de l’immigration qui, en fait, n’avait aucune question à me poser, mais m’a dit qu’il me conseillait de changer la réservation de mon billet, car je ne serais de toute façon pas autorisé à entrer au Royaume-Uni en raison de mes opinions politiques. J’ai bien sûr répondu que ce n’était absolument pas une option.
J’ai également demandé ce qu’ils avaient contre mes opinions politiques et ce qu’ils savaient à leur sujet, mais je n’ai obtenu aucune réponse. L’officier a répété qu’il ne décidait pas lui-même, mais qu’il ne faisait que suivre les ordres.
Après environ une heure, il est revenu dans ce centre de détention avec un papier signé par on ne sait qui, car la signature était illisible. La décision a été prise que je devais être expulsé et j’ai été escorté vers un avion polonais.
Mon passeport a été remis à l’équipage de l’avion et j’ai découvert une chose intéressante, à savoir qu’un visa britannique y avait été apposé avec la date du 2 octobre et le numéro de l’agent d’immigration qui l’avait délivré, et ce visa avait été rayé de manière très visible au stylo. De toute évidence, il avait été décidé que je serais autorisé à entrer puis quelqu’un de plus influent a probablement décidé de faire un scandale et de tout annuler ».
Solidarité des journalistes polonais avec leur collègue
L’affaire a naturellement fait grand bruit en Pologne où de nombreux journalistes ont immédiatement pris fait et cause pour leur collègue :
« C’est un motif pour une intervention diplomatique sérieuse. Je ne dis pas cela parce qu’il s’agit d’un de mes collègues. Quelle que soit la personne concernée par cette situation parmi les chroniqueurs et journalistes polonais, la réaction devrait être la même, car les causes sont très probablement des questions de liberté d’expression »,
a ainsi déclaré un autre journaliste de Do Rzeczy, Łukasz Warzecha, sur Twitter. De son côté, le rédacteur en chef de cet hebdomadaire libéral-conservateur, Paweł Lisicki, n’a pas caché son indignation :
« Je suis choqué par cette nouvelle. Rafał Ziemkiewicz est l’un des plus importants journalistes polonais […] Malheureusement, les actions menées jusqu’ici par les fonctionnaires britanniques sont des plus préoccupantes. Il s’agit en fait d’une attaque en plein jour contre un citoyen polonais sans qu’aucune raison ne soit donnée. La clarification de la situation incombe désormais également aux autorités polonaises ».
Les services diplomatiques polonais sont d’ailleurs intervenus en faveur du journaliste détenu à Heathrow.
« Vos opinions sont en désaccord avec les valeurs britanniques »
Lors de son expulsion, un document à en-tête du ministère de l’Intérieur britannique – signé de manière illisible, comme M. Ziemkiewicz l’a bien précisé, mais avec l’indication, comme auteur, de la Force frontalière (Border Force), terminal 2, aéroport d’Heathrow – lui a été remis sur lequel on peut lire : « Vous avez demandé l’autorisation d’entrer au Royaume-Uni en tant que visiteur pour deux jours.
Toutefois, je considère que votre expulsion du Royaume-Uni est conforme à l’intérêt public. En effet, votre comportement et vos opinions sont en désaccord avec les valeurs britanniques et sont susceptibles d’offenser des personnes, de sorte qu’il n’est pas souhaitable de vous accorder l’entrée
[…] Je vous refuse donc l’autorisation d’entrer au Royaume-Uni […] J’ai proposé de donner des instructions pour votre renvoi en Pologne… »
Campagne du Guardian en 2018
Les raisons de cette affaire sont semble-t-il à rechercher dans la campagne menée en 2018 par The Guardian, et tout particulièrement par le député musulman d’origine bengalaise, Rupa Huq, qui par ailleurs revendique elle-même d’être en partie à l’origine du refoulement de Rafał Ziemkiewicz cette fin de semaine à Heathrow. À l’époque, M. Ziemkiewicz avait été invité pour animer plusieurs conférences par une association de Polonais vivant en Grande-Bretagne. Alertés par des milieux de gauche polonais hostiles à ce journaliste ne cachant pas ses opinions conservatrices, souverainistes et chrétiennes, les milieux de gauche britanniques avaient fait en sorte que cette tournée ne puissent pas avoir lieu. Les propriétaires des salles de conférence et même un restaurateur avaient fait l’objet de pressions et de menaces de la police britannique et avaient préféré annuler toutes les réservations. Apparemment, le nom de Rafał Ziemkiewicz est encore dans le fichier des personnæ non gratæ dans un pays qui avait été à partir du XVIIIe siècle le précurseur de la démocratie libérale en Europe et qui confirme en ce début de XXIe siècle sa place aux avant-postes de la dérive totalitaire des démocraties libérales occidentales.