Roumanie – On s’y attendait depuis que le parti réformateur USR-PLUS (Uniunea Salvați România) avait retiré ses ministres du gouvernement libéral de Florin Cîțu le 3 septembre dernier suite au limogeage, par M. Cîțu, du ministre de la Justice Stelian Ion (USR-PLUS) sans consulter ses partenaires au préalable. C’est désormais chose faite.
Une motion de censure adoptée par le PSD, l’USR et l’AUR
C’est donc comme annoncé une alliance de circonstance entre l’USR (centre-droit européiste), les sociaux-démocrates souverainistes du PSD et les nationalistes anti-Covid de l’Alliance pour l’unité des Roumains (AUR) qui a renversé le gouvernement Cîțu ce mardi 5 octobre par 281 voix. On notera au passage que les députés du PNL – le parti dont Florin Cîțu est le président depuis une dizaine de jours – et de l’UDMR, représentant la minorité hongroise, n’ont pas pris part au vote qui fut précédé d’un débat des plus houleux.
Foire d’empoigne au parlement roumain
C’est ainsi que le Premier ministre Florin Cîțu a fustigé l’alliance hétéroclite qui s’apprêtait à voter la censure : « Chers Roumains, la morale est morte aujourd’hui. La motion du PSD, le plus grand ennemi, est soutenue et votée par l’USR.
Les soi-disant réformistes se sont alliés au PSD et aux extrémistes. Chers Roumains, vous avez été trahis.
[…] Ils sont devenus frères avec le PSD afin d’éliminer le seul homme qui les a mis au travail et les a empêchés de jouer avec la vie des Roumains. […]
Chers Roumains, je m’excuse d’avoir fait confiance à l’USR. J’ai vu le vrai visage de l’USR aujourd’hui.
[…] Le socialisme est fort en eux. Je ressens parmi les parlementaires USR une nostalgie du gouvernement Zéro. (1) […] La responsabilité de tout ce qui suit incombe à l’USR. […] Ils avaient des ministres incompétents. […]
J’étais trop indulgent avec l’incompétence et l’amateurisme de ces ministres. J’aurais dû les virer plus tôt.
[…] Une motion de frustration a été initiée. Un mouvement de l’absurde. Les pro-vaccinistes soutiennent les anti-vaccins. C’est triste de voir comment le PSD, l’USR et les extrémistes proposent une aventure dont les Roumains sont les perdants ».
De son côté, le président du PSD, Marcel Ciolacu, ne fut pas non plus en reste dans ses déclarations : « Aujourd’hui, nous rendons justice aux Roumains. Le gouvernement Cîțu rentrera chez lui. […] Monsieur Cîțu, vous devez partir aujourd’hui car vous n’avez pas gouverné. […] Vous avez joué au golf avec la vie des Roumains. […] Personne ne vous croit plus. Vous êtes totalement déconnecté de la réalité. […] Vous êtes devenu l’homme le plus détesté de Roumanie. […]
Les gens n’ont pas besoin de super-héros, mais de salaires et de pensions décents, d’écoles et d’hôpitaux, de chauffage et d’eau chaude. Les gens ont besoin de respect. Les gens sont fatigués de vous ».
L’ancien président de l’USR, Dan Barna, qui vient de passer le relais à Dacian Cioloș le 1er octobre, a montré que cette manière de débattre est habituelle au parlement roumain : « Vous auriez pu être le héros de la lutte contre la pandémie mais vous avez préféré l’irresponsabilité détendue. […] Vous avez détruit une coalition avec un énorme capital de confiance. […]
Vous aviez pratiquement tout à votre disposition, vous aviez notre bonne foi et le mandat de remettre le pays dans la bonne direction. […] Vous auriez pu être Superman, mais vous avez choisi de n’être qu’un banal Florin Cîțu ».
Klaus Iohannis va essayer de dégager une nouvelle majorité
L’adoption de la motion de censure n’a cependant pas d’effet immédiat. Le gouvernement de Florin Cîțu devrait a priori continuer à expédier les affaires courantes tandis que le président, Klaus Iohannis, devrait consulter les partis représentés au parlement dans le but de nommer un nouveau Premier ministre. Une tâche qui s’annonce relativement ardue dans la mesure où il n’y a pas – du moins actuellement – de majorité de rechange.
Les alliés d’un jour (USR, PSD et AUR) ont en effet des visions bien différentes de l’avenir. Les réformateurs de la l’USR souhaitent reformer la coalition de M. Cîțu avec le PNL libéral et les Hongrois de l’UDMR, mais seulement sans M. Cîțu qui est devenu leur bête noire. Les sociaux-démocrates du PSD veulent des élections anticipées dont ils espèrent un éventuel retour au pouvoir. En décembre 2020 lors des dernières élections, le PSD était arrivé en tête mais n’avait pour autant pas pu former de gouvernement. Quant aux nationalistes de l’AUR, ils appellent à un gouvernement d’union nationale. Selon la constitution roumaine, le président doit avoir proposé au moins deux nouveaux Premiers ministres au parlement, avant de se diriger vers une éventuelle dissolution. La crise pourrait donc bien se prolonger avant de déboucher assez logiquement sur des élections anticipées.
Derrière la crise politique, le Covid
Si les crises gouvernementales sont courantes en Roumanie, la crise covidienne n’a fait qu’aggraver le phénomène. Le gouvernement pro-UE s’est cassé les dents sur la campagne de vaccination et l’imposition du passe sanitaire.
La Roumanie est le 2e pays le moins vacciné contre le Covid dans l’UE, le Défenseur des droits a déclaré que la loi sur le passe sanitaire était illégale car impliquant une trop importante discrimination entre les citoyens, et les manifestations organisées par les nationalistes menés par George Simion rassemblent de plus en plus de personnes, qui réclament le ROxit et la fin des mesures covidiennes.
La narration covidienne s’essoufflant, alors qu’un récent incendie dans un hôpital vient tragiquement rappeler l’état avancé du délabrement des services de santé dans le pays, la situation est intenable pour le gouvernement Cîțu qui a tenté de jouer les bons élèves vis-à-vis des standards occidentaux en terme de Covid.
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(1) Lorsque Dacian Cioloș, le président de l’USR, était premier ministre, entre 2015 et 2017, il prétendait diriger un gouvernement « zéro corruption, zéro populisme, zéro mensonge ». C’est pourquoi le PSD l’appelait le « gouvernement Zéro »