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Les législatives tchèques sont terminées : que nous disent les résultats ?

Temps de lecture : 5 minutes

Article paru en anglais sur le site du China-CEE Institute, le 18 octobre 2021.

TchéquieLes 8 et 9 octobre 2021, comme prévu par le calendrier électoral tchèque, des élections à la chambre basse du Parlement tchèque (la Chambre des députés) ont été célébrées. Les résultats du scrutin sont intéressants, pour plusieurs raisons. Le mouvement du Premier ministre n’est plus dominant, ayant été vaincu par une coalition de l’opposition de droite. L’écart entre ces deux concurrents (0.67%) a été le plus court de l’histoire électorale tchèque. Les partis traditionnels de la gauche – le Parti Social-Démocrate et le Parti Communiste –, privés de tout mandat pour la toute première fois de l’histoire, ont été écrasés. De plus, le Parti Pirate, qui s’attendait encore, il y a quelques mois, à hériter du cabinet du Premier ministre, a perdu 18 sièges. Ces élections ont aussi exhibé une structure typique d’élections à forte participation (la plus élevée depuis 1998), avec un nombre record de voix perdues : en tout, ce sont, virtuellement, 48% des citoyens qui ne seront pas représentés politiquement.

Les législatives d’octobre se sont soldées par plusieurs résultats imprévus et divers phénomènes sans précédent. Contre toutes les prédictions récentes, c’est l’opposition qui a réussi à gagner une majorité de sièges à la chambre basse.[1] Les différences séparant le bloc jusqu’ici connu sous le nom « d’opposition démocratique » et le mouvement ANO du Premier ministre – force politique qui était devenue hégémonique au cours des dernières années –, sont importantes. Les élections de 2021 devraient donc, par conséquent, probablement déboucher sur une coalition de gouvernement complètement différente. Cela vient aussi de l’échec des deux petits partis de gauche qui, de 2017 à 2021, ont fait, de iure ou de facto, partie de la coalition organisée autour d’ANO : ces derniers ont perdu tous leurs mandats à la Chambre des Députés.

Défauts du système électoral

Vont donc siéger à la chambre basse les représentants de quatre entités : le mouvement ANO (72 sièges), SPOLU (71 sièges), PirSTAN (37 sièges) et le SPD (20 sièges). A première vue, on pourrait croire qu’il s’agit d’une composition plus stable, plus constructive, et qui a gagné en transparence, étant donné que seules quatre entités ont des mandats. Il s’agirait là, certes, d’un progrès, dans la mesure où, jusqu’à présent, la Chambre des Députés a souffert d’une trop grande fragmentation, qui sape la stabilité gouvernementale. Dans le système tchèque, typiquement, le gouvernement doit être formé par la coalition de plusieurs (au moins de trois) entités, ce qui rend très difficile une gouvernance efficace. Les compromis sont donc devenus un passage obligé et la condition sine qua non de la vie politique – cause d’une insatisfaction durable, aussi bien dans l’opinion que chez les hommes politiques eux-mêmes. L’essentiel, c’est qu’aucun parti n’est en mesure de mener à bien son programme, car le parti arrivant au gouvernement est contraint de consentir à des concessions substantielles à d’autres entités politiques dont il a besoin dès l’étape de la constitution d’un gouvernement. Ce raisonnement ne vise pas à remettre en cause la légitimité du système démocratique ou du système parlementaire, mais à éclairer l’un des problèmes les plus graves de la politique tchèque de l’ère post-communiste. Il existe des instruments et des méthodes qui permettraient de rendre le système plus stable et plus bénéfique pour les gens – par exemple en affaiblissant le principe de représentation proportionnelle, en faveur d’une évolution du système électoral en direction du scrutin majoritaire uninominal.

Entité Voix Pourcentage Sièges
SPOLU 1.493.905 27.79% 71
ANO 1.458.140 27.12% 72
PirSTAN 839.776 15.62% 37
SPD 513.910 9.56% 20

Tableau 1 : Résultats des élections – Source : Office Tchèque des Statistiques, volby.cz

Créer des coalitions

De telles considérations pourraient trouver un écho favorable dans l’opinion, comme semblent l’indiquer les événements les plus récents et le comportement électoral observé. Un nombre surprenant d’électeurs a soutenu l’option SPOLU (signifiant « Ensemble »), qui n’est pas un parti unitaire, mais une coalition composée de trois partis : le Parti démocratique civique (ODS), l’Union chrétienne démocrate – Parti populaire tchécoslovaque (KDU-ČSL) et TOP 09. Il s’agit d’un groupement de centre-droite, libéral, avec quelques caractéristiques conservatrices, explicitement tourné vers l’Ouest. La clé de leur succès est que les représentants de ces diverses mouvances politiques ont réussi à s’unir, dépassant ainsi la tendance à la fragmentation évoquée ci-dessus. Une autre coalition, nommée PirSTAN, a choisi une tactique analogue : elle regroupe le Parti pirate et les Maires et Indépendants (STAN), une force politique libérale et progressiste caractérisée par des positions extrêmes en matière de politique étrangère. Le résultat final de la synergie de cette dernière coalition est néanmoins quelque-peu douteux, dans la mesure où les Pirates – qui dominaient initialement la coalition – se sont mis à perdre le soutien électoral dont ils jouissaient, tandis que les Maires et Indépendants connaissaient une montée en puissance graduelle.[2] Cette tendance, aggravée par une campagne d’opinion très agressive contre les Pirates, dépeints comme une nouvelle espèce de révolutionnaires de gauche, a débouché sur un recul sensible du Parti pirate : sur les 37 mandats décrochés par la coalition, les candidats pirates n’en ont obtenu que 4. Cette évolution a été favorisée par la possibilité de choisir sur la liste électorale jusqu’à 5 candidats jouissant ensuite d’un droit de priorité dans le processus de décompte des voix.

Cette tendance à la formation de coalitions plus larges trouve aussi un écho chez les petits partis. Le Mouvement tricolore des citoyens (de droite souverainiste, national-conservateur), soutenu par l’ancien président Václav Klaus, a un accord d’étroite coopération avec le Parti des citoyens libres et le « Parti des propriétaires libres » (Strana soukromníků České republiky – SsČR). Ce bloc, obtenant 2.76% des voix, n’a néanmoins pas réussi à entrer à la Chambre. La question se pose maintenant de savoir comment les divers membres des deux coalitions élues réussiront à coopérer à la chambre basse et dans le cadre d’un potentiel gouvernement : réussiront-ils à conserver les structures collégiales créées, voire à fusionner ? Cette dernière solution aurait l’avantage de la transparence, et serait bénéfique du point de vue du développement à long terme du système politique et électoral tchèque. L’existence et la participation aux élections de douzaines de partis et de mouvements sont les symptômes de l’une des principales pathologies de la vie politique post-1989.

Des citoyens non-représentés

Cette situation débouche non seulement sur un haut degré de fragmentation et d’instabilité du système et de la gouvernance, mais aussi sur un nombre très élevé de voix gaspillées. Cette année, la participation a été de 65.43%, ce qui représente 5 414 637 votes exprimés sur un corps électoral total de 8 275 752. C’est l’une des participations les plus élevées de l’histoire parlementaire moderne du pays. Le tableau ci-dessous montre la participation enregistrée aux élections successives à la Chambre des Députés depuis l’instauration de la République Tchèque.

1996 76.41% 2010 62.60%
1998 74.03% 2013 59.48%
2002 58.00% 2017 60.84%
2006 64.47% 2021 65.43%

 

Cela constitue, sans l’ombre d’un doute, un signal positif. En même temps, les entités politiques qui sortent gagnantes des élections ne totalisent néanmoins que 80.09% des voix exprimées, ce qui constitue un minimum historique – encore un peu en-dessous du très mauvais résultat de 2010 (cf. le tableau ci-dessous, dans lequel les pourcentages représentent la proportion des voix exprimées qui se sont portées sur une entité élue) :

1996 88.84% 2010 81.15%
1998 88.68% 2013 87.38%
2002 87.45% 2017 88.40%
2006 94.02% 2021 80.09%

 

Cela signifie qu’un nombre record de gens et de préoccupations électoralement exprimées ne disposera d’aucune représentation à la chambre basse.[3] Pour le dire de façon plus concrète : 1 069 359 de citoyens ont voté pour des entités qui n’ont pas obtenu de sièges. À quoi il faut ajouter 39 547 voix invalidées et 2 861 115 citoyens qui ont boudé les urnes. Au total, tandis que 4 305 731 citoyens adultes seront politiquement représentés, il en reste 3 970 021 (soit 47.97%) qui ne le seront pas. Or cela soulève un grave problème du point de vue de la légitimité du régime démocratique libéral existant. Même si on ne tient compte que de ceux qui ont voté, mais pour des entités échouées sur le seuil de la représentation, le fait est que de nombreux tchèques manifestent leur scepticisme à l’encontre de la démocratie libérale, de son idéologie, de ses valeurs et de ses institutions, à l’encontre de l’orientation pro-occidentale de notre pays et de la forme que prend actuellement l’intégration européenne. Jusqu’à présent, il n’était jamais arrivé que plusieurs entités mineures, mais relativement importantes, se retrouvent à la tête de plus de 100 000 voix. Ces élections ont vu le plus ancien des partis politiques tchèques, fondé en 1878 – le Parti social-démocrate tchèque (ČSSD) – subir une défaite historique en obtenant 4.65% des voix. Le Parti communiste de Bohème et Moravie (KSČM) a connu le même sort, au cours de l’année-anniversaire du centenaire de la création de ce parti (en 1921). Les communistes ont engrangé 3.6% des voix. Un mouvement récemment fondé sous le nom de Přísaha (« Serment ») s’est présenté comme un parti populiste omnibus centrant son discours sur la lutte contre la corruption et le rétablissement de l’ordre public. Après quelques mois d’existence seulement, ce mouvement a engrangé 4.68%. Et la coalition anti-UE précédemment mentionnée, avec le Mouvement tricolore à sa tête, a obtenu 2.76%, tandis que les souverainistes radicaux du Volný blok (« Bloc libre ») – ont atteint 1.33%.

Le but de la présente analyse n’est pas de décrire des aspects marginaux, mais de relever que les plus puissantes des forces bloquées à l’entrée du Parlement représentent avant tout des citoyens ayant adopté un point de vue plus ou moins radicalement critique à l’encontre du status quo à long terme. En ajoutant ces voix à celles du SPD, on arrive à un total de 26.58%. Le segment de la société qui a adopté une attitude critique à l’encontre de l’establishment est donc substantiellement sous-représenté. Cette situation n’est pas susceptible de modifications rapides. Elle montre néanmoins clairement que le potentiel d’une alternative souverainiste est énorme. Par conséquent, les résultats de ces élections d’octobre ne sont pas le reflet d’attitudes, de sentiments et d’intérêts réels au sein de la société tchèque, mais plutôt de la fragmentation du champ des entités politiques, des rivalités d’intérêts particuliers et des affrontements entre individualités politiques, d’une pénurie de leaders talentueux et ambitieux, ainsi que – last but not least – de la structure la plus générale du système électoral. Il sera intéressant d’observer dans quelle mesure de futurs projets d’intégration vont ou non chercher à exploiter le potentiel existant.

Conclusion

Les élections d’octobre sont terminées, mais l’histoire ne fait que commencer. La Chambre existante doit être dissoute, et le gouvernement d’Andrej Babiš doit démissionner. En parallèle, une première série de négociations en vue de la formation d’un nouveau cabinet ont d’ores et déjà commencé. Compte tenu du nombre des députés des diverses entités représentées à la chambre basse, on s’attend à ce qu’un gouvernement émerge de ces négociations au cours des prochaines semaines, ou des prochains mois. La responsabilité de charger quelqu’un de la formation d’un cabinet incombe néanmoins au Président Miloš Zeman. Cette situation est aujourd’hui compliquée par la maladie et le handicap qui affectent le Président. On peut, par conséquent, s’attendre à un processus postélectoral au ralenti, au cours duquel il n’est pas exclu que Miloš Zeman cherche à mettre en avant ses propres solutions à l’imbroglio politique actuel.

[1] Voir Zemánek, L. One Month before the Election: Recent Development & Foreign Policy Agenda (2021, September 15), china-cee.eu. Téléchargé le 14 octobre 2021, du site https://china-cee.eu/2021/09/15/czech-republic-political-briefing-one-month-before-the-election-recent-development-foreign-policy-agenda/.

[2] Comparer aux évolutions politiques tchèques de ce printemps : Zemánek, L. Rise of the „New Left“ and a Conservative Reaction: New Constellation (2021, April 12), china-cee.eu. Téléchargé le 14 octobre 2021, du site https://china-cee.eu/2021/04/12/czech-republic-political-briefing-rise-of-the-new-left-and-a-conservative-reaction-new-constellation/.

[3] Přes milion hlasů propadlo, letos jich bylo rekordně mnoho (2021, October 10), echo24.cz. Téléchargé le 12 octobre 2021, du site https://echo24.cz/a/SYTQ6/pres-milion-hlasu-propadlo-letos-jich-bylo-rekordne-mnoho.

Traduit de l’anglais par le Visegrád Post