Article paru dans le Magyar Nemzet le 22 novembre 2021
C’est au cours de ce siècle qu’a commencé l’intégration eurasiatique – qui inclut la construction d’une alliance stratégique et économique entre l’Allemagne, le V4 et l’Asie orientale. À en juger par les tailles des divers blocs, leurs niveaux de développement, la structure de leurs économies et la nature de leurs relations antérieures, pour les pays du V4, ce sont les liens qu’ils peuvent établir avec les petits tigres asiatiques qui sont les plus prometteurs en termes d’avantages stratégiques. On discerne ici la possibilité de former des couples de pays entre États des deux régions. Dans le cas de la Chine et du Japon, du fait des différences de dimensions, outre les alliances politiques entre États, ce sont des réseaux stratégiques qui peuvent être construits entre mégapoles chinoises et japonaises d’une part, et régions économiques du V4 de l’autre.
Pour la Hongrie, des quatre petits tigres d’Asie, ce sont la Corée du Sud et Singapour qui semblent constituer les candidats les plus prometteurs à un accouplement. Tandis que, du point de vue de la recette sociale de la réussite, c’est Singapour qui semble promettre des modèles imitables, la Corée du Sud, elle, a tout pour devenir son partenaire stratégique dans le domaine des investissements technologiques, de la recherche-développement, ainsi que de la coopération culturelle, universitaire et touristique.
Un couple de pays eurasiatique magyaro-coréen (Hunkor) offrirait à la Corée du Sud un point d’accès géographique et économique vers l’Union européenne, tandis que, pour la Hongrie, la Corée du Sud pourrait être l’allié stratégique de l’accès au futur. L’enjeu pourrait tenir davantage à l’espace pour l’un, et au temps pour l’autre, mais c’est la conjonction des deux qui promet l’obtention d’une place partagée dans l’avenir de l’Eurasie.
Quelles pourraient être les fondations d’un couple magyaro-coréen ?
Deux nations – des valeurs identiques
De toutes les nations du monde, ce sont peut-être les nations coréenne et hongroise qui sont le plus proche l’une de l’autre du point de vue du système des valeurs. Il est basé sur les valeurs de compétition, de lutte, sur le besoin de faire ses preuves, d’étendre et de perpétuer la famille. Telles sont les valeurs qui, à tous les étages du fonctionnement de la vie et de la communauté, déterminent nos désirs, nos besoins, nos intérêts, nos décisions et notre comportement. Les systèmes de valeurs proches s’attirent entre eux – et c’est tout particulièrement le cas des facteurs qui mènent au succès, comme le talent, le savoir, la technologie et le capital.
Deux nations – deux drapeaux
Les deux nations présentent aussi des divergences considérables, mais qui les rendent plus susceptibles de se compléter, donc de se renforcer, que de neutraliser mutuellement leurs vertus. Le drapeau de la Corée du Sud conserve les symboles du savoir ancestral, rappelant à chaque instant à tout un chacun que le monde est constamment en mouvement, dans le combat du rouge (enthousiasme et passion) et du bleu (calme et sécurité), tandis que le symbole du yin et du yang rappelle les qualités féminines et masculines, dans leur égalité, leur combat, mais aussi leur tendance naturelle à l’équilibre. Ces symboles ancestraux (ciel et terre, feu et eau) rappellent à chaque coréen que le monde est en changement permanent, qu’il faut être prêt à tout, et notamment à changer en même temps que le changement.
Les couleurs nationales hongroises rappellent elles aussi à chaque hongrois la valeur du combat (rouge), mais aussi celle de l’honnêteté (blanc) et de l’harmonie, aussi bien avec la nature qu’avec les autres (vert). Le chromatisme des drapeaux des deux nations présente une forte complémentarité, et en effet, dans le domaine économique, leur coopération stratégique peut se fonder sur l’enthousiasme et la lutte, mais aussi sur la confiance et l’harmonie.
Stratégie politique
En vue de l’essor de leur nation et de la réussite économique, ces nations sont toutes deux à la recherche d’un équilibre géopolitique. La Corée du Sud le cherche en plein milieu du carré le plus délicat de notre époque : entre les USA, la Chine, le Japon et la Corée du Nord. Quant à la Hongrie, c’est au centre du pentagone formé par les USA, l’Allemagne (UE), la Russie, la Turquie, et la Chine qu’elle s’adonne au même exercice. Nos stratégies politiques sont semblables, parce que, les uns comme les autres, nous ne cherchons pas la réussite dans l’arène de la grande politique, mais en nous efforçant de porter notre nation à un niveau supérieur, notamment dans le domaine économique. L’essence de cette stratégie politique est de faire en sorte que le champ des forces géopolitiques n’obstrue pas le chemin qui nous mène à notre avenir. De nos jours, pour chacun des deux pays, cela signifie avant tout : ne pas se laisser entraîner dans les escarmouches de la nouvelle guerre froide que se livrent les USA et la Chine. Et pour nous, par-dessus le marché : ne pas se laisser entraîner dans les accrochages suscités par le regain de tension entre les USA et la Russie, ni dans les tourbillons ouverts par le naufrage de l’UE, ou encore dans les tensions renouvelées de l’espace balkanique.
Objectif fondamental de la stratégie nationale : l’indépendance
Chacun des deux pays ayant connu le statut de colonie et les vicissitudes historiques de l’absorption dans des empires, chacune des deux nations, en profondeur, tend avant tout à la conservation de la liberté, de l’indépendance et de l’autonomie. Ces pays ont tous deux compris que, pour cela, les instruments politiques et militaires ne sont pas suffisants, la colonisation économique étant une épée de Damoclès suspendue au-dessus de chacun de ces deux grands espaces géographiques et géopolitiques. La Corée du Sud a compris qu’elle vit dans une époque et dans un espace où ne peuvent être indépendants que ceux qui excellent aussi dans l’arène de l’économie mondiale. Quant à la Hongrie, elle commence à comprendre qu’elle navigue dans un espace-temps où seule une compétitivité identique à celle de ses partenaires européens – voire meilleure – rend possibles la conservation des talents, l’approfondissement des savoirs, l’obtention des technologies et l’accumulation des capitaux.
Renaissance de l’État-nation
Tout comme les grandes découvertes géographiques de 1492 ont ouvert pour l’Europe une nouvelle période de 500 ans, l’irruption des nouvelles technologies (Internet) à partir de 1996 a ouvert une nouvelle période de l’histoire mondiale, appelée à durer peut-être plusieurs siècles. Ses premières décennies sont particulièrement fécondes, car elles regorgent d’innovations d’une grande créativité, aussi bien scientifiques que technologiques. C’est l’époque d’une nouvelle Renaissance (pour reprendre l’expression de Norbert Csizmadia), au milieu de laquelle chacun des deux pays ici analysés cherche à se frayer un chemin en remettant l’État-nation au premier plan.
Chacun des deux pays a placé l’État-nation au centre de la stratégie au moyen de laquelle il cherche à gagner la bataille de l’avenir. Dans ce domaine, la réussite coréenne dépasse la nôtre d’un ordre de grandeur, comme le montre l’avantage dont la Corée dispose sur nous, que ce soit en termes de niveau de développement, de qualité de vie, d’espérance de vie, de santé, de niveau du système de santé, d’enseignement primaire, secondaire et supérieur, ou encore d’infrastructures de transport. Les résultats communs des couples eurasiatiques en voie de formation seront déterminés par le degré d’amélioration de ceux du plus faible des deux partenaires – amélioration en vue de laquelle nous trouverons une abondance d’exemples à suivre, que ce soit parmi les recettes de réussite appliquées en Corée du Sud, à Singapour, en Chine ou au Japon.
Une croissance fondée sur l’équilibre
Parmi les sources de la réussite de la Corée du Sud, nombreuses sont celles auxquelles la Hongrie peut aussi avoir accès, mais il existe aussi des domaines dans lesquels nous gagnerons à opter pour d’autres solutions. L’essor vertigineux de la Corée du Sud s’est appuyé sur la tension des contraires – justement symbolisée par les paires dichotomiques de leur drapeau : ciel/terre, feu/eau, ou encore par le symbole yin/yang, qui renvoie au combat permanent des énergies contraires. En Corée du Sud, il existe un équilibre entre régions et territoires – par opposition aux différences significatives qui séparent entre elles les régions hongroises –, mais les tensions accumulées au sein de la société sont considérables. Les différences sociales – séparant jeunes et vieux, actifs et retraités, employés à temps partiel et complet, grandes entreprises remportant des batailles dans l’arène mondiale et PME locales, étudiants admis dans les universités d’élite et autres étudiants, jeunes issus de familles riches et de familles moins riches, ou encore ménages peu endettés et surendettés – dépassent d’un ordre de grandeur celles qu’on observe en Hongrie.
Pour parvenir à un rattrapage durable chez nous, comme chez eux pour obtenir un développement durable, il faut que l’harmonie entre croissance et équilibre soit préservée dans chacun des paramètres de l’équation de la « croissance fondée sur l’équilibre ». Chez eux, c’est dans la société, la démographie et la famille que les déséquilibres sont importants – chez nous, dans les finances, les services publics et entre les régions. Les deux pays étant, de ce point de vue, très complémentaires, ce sont là aussi des domaines auxquels nos coopérations gagneront à être étendues.
P.S.
« Le premier pas en direction de la sagesse, c’est de reconnaître que toi non plus, tu ne sais pas tout. » – Socrate
György Matolcsy
Président de la Banque Nationale de Hongrie
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Traduit du hongrois par le Visegrád Post