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« En huit ans, le gouvernement de Donald Tusk a fait disparaître des caisses de l’État près de 30% du PIB annuel de la Pologne »

Temps de lecture : 13 minutes

PologneEntretien conduit par Sébastien Meuwissen en décembre 2021 à Varsovie avec le professeur Wojciech Roszkowski, écrivain, historien spécialisé dans l’histoire polonaise et européenne des XXe et XXIe siècles et ancien député européen du parti Droit et Justice. Wojciech Roszkowski fait partie des références parmi les intellectuels conservateurs polonais. Dans l’un de ces derniers ouvrages, il revient sur les événements marquants de la politique polonaise de ces dernières années.

Wojciech Roszkowski. Photo: Sébastien Meuwissen

 

Sébastien Meuwissen: Tout au long des années 1990 et jusqu’au milieu des années 2000, la Pologne est dirigée presque sans interruption par la gauche post-communiste (SLD). L’une des figures les plus reconnaissables de cette période demeure l’ancien président Lech Wałęsa. En Europe occidentale et dans bon nombre de milieux de gauche libérale, Wałęsa demeure une sorte de monstre sacré dont la critique est mal vue. Que vous inspire ce personnage historique?

Wojciech Roszkowski: Il faut effectivement souligner le fait que la gauche n’a pas gouverné sans interruption. Il y a eu de petites exceptions comme ne fût-ce que le gouvernement Olszewski entre décembre 1991 et juillet 1992 à l’époque de la présidence de Lech Wałęsa. Ce que Wałęsa dit aujourd’hui est tellement compromettant qu’il est difficile de comprendre quelles furent ses intentions durant la première moitié des années 1990.

Ses mots d’ordre faisaient référence à l’accélération de la décommunisation du pays. Or il n’à rien fait dans ce sens. Au cours de ses cinq ans de présidence entre 1990 et 1995, il a maintenu le système post-communiste tel quel. Il faut aussi souligner ici que sur la fin, il n’était entouré presque exclusivement de membres des services de renseignements.

Le problème qui apparaît est de savoir comment catégoriser Wałęsa. Etait il un post-communiste ou un anti-communiste? Nous avons ici affaire à un énorme malentendu. Des millions de Polonais ont cru et croient d’ailleurs jusqu’aujourd’hui, que Wałęsa etait un anti-communiste tandis qu’il était en réalité un post-communiste. Il était au centre d’innombrables affaires douteuses. C’est lui qui a présenté l’idée de transformer les bases soviétiques sur le territoire polonais en entreprises mixtes russo-polonaises. Ce sont des faits.

Afin de comprendre les gouvernements post-communistes polonais des années 1990, il faut avoir un nouveau point de vue sur Wałęsa car il s’agit probablement de la plus grande supercherie de l’histoire moderne polonaise. Je tiens cependant à souligner que son activité en tant que leader du syndicat Solidarność au début des années 1980 n’était pas nuisible. Le pire a commencé lorsqu’il est devenu président.

Sébastien Meuwissen: Le milieu des années 2000 représente un tournant pour la politique polonaise. Le pays rejoint l’Union européenne en 2004. L’année suivante, le parti conservateur Droit et Justice (PiS) remporte les élections législatives en devançant les libéraux de la Plateforme Civique (PO). Peu après, c’est une nouvelle victoire du camp conservateur avec la victoire surprise de Lech Kaczyński sur Donald Tusk aux élections présidentielles. La période 2005-2007 sera donc marquée par un gouvernement Droit et Justice que l’on peut difficilement qualifier de succès. Qu’en pensez vous?

Wojciech Roszkowski: À cette époque, l’animosité entre le PiS et la PO était encore nettement inférieure à ce que l’on connaît aujourd’hui. Les observateurs prédisaient même une coalition de ces deux forces politiques. Il n’en fut rien. La situation du PiS était compliquée étant donné son manque de majorité à la Diète et devait donc former une coalition. La PO est rapidement devenue une opposition agressive. Dans cette situation, le seul partenaire de coalition possible étaient les populistes de droite du parti Autodéfense ou la Ligue des Familles Polonaises aux racines douteuses, mais déterminés à accéder au pouvoir. Cela s’est mal terminé. La question est de savoir si PiS pouvait faire autre chose que d’essayer avec eux. Plus tard, Jarosław Kaczyński a même présenté ses excuses pour cette tentative de coalition. Or l’art de gouverner consiste entre autres à avoir suffisamment de force et le PiS seul n’avait pas la majorité.

Sébastien Meuwissen: Vient ensuite l’an 2007 avec une nette victoire de la PO aux élections législatives mais sans majorité absolue. Au lendemain de ce succès, la PO entre en coalition avec le parti de centre-droit PSL. Dès 2008, on observe une véritable dissonance entre la politique étrangère menée par le président conservateur Lech Kaczyński et le tandem libéral du Premier ministre Donald Tusk et de son ministre des Affaires étrangères Radosław Sikorski. C’est le début de ce que vous appelez une “cohabitation dramatique”. Pourquoi cette expression?

Wojciech Roszkowski: Dès la formation du nouveau gouvernement, la Plateforme Civique de Tusk lance ce que certains appellent une “industrie du mépris » vis-à-vis du Président Kaczyński. Je ne sais pas comment résumer cela de la meilleure manière possible. Il me semble que la question à se poser concernant la situation dont nous parlons est la suivante : quelles sont les limites de la critique des opposants politiques? Étant différents sur toute une série de points, est-ce qu’on essaie de coopérer malgré ces différences ou est-ce qu’on essaie de détruire l’adversaire par tous les moyens?

De mon point de vue, dans un système démocratique, la meilleure solution est la coopération, car un État déchiré par un conflit au sommet entre le Premier ministre et le Président se place dans une situation qui mène à l’échec.  L’un des exemples les plus marquants de cette époque fut le refus du gouvernement Tusk de mettre à la disposition du Président Kaczyński un avion pour qu’il se rende à un sommet européen en 2008. Ce dernier se rend finalement à Bruxelles en avion à titre privé pour y représenter la Pologne. Je me suis senti mal à ce moment-là, car la crédibilité même de l’État polonais etait remise en question.

Nous ne vivons pas sur la lune. À l’Est de notre pays se trouve la Russie qui, selon mon intuition, a pris connaissance de cette situation avec beaucoup d’intérêt. Moscou a vu qu’il était possible de détruire ce pays de l’intérieur. Mon intuition me murmure que c’est à ce moment-là que les événements qui mèneront peu de temps après à la catastrophe de Smoleńsk ont commencé. La aussi Donald Tusk et Lech Kaczyński se sont rendus en Russie dans deux avions distincts.

Je pense que les historiens prouveront tôt ou tard la véracité des thèses que j’avance. D’innombrables faits et prises de parole sont là et n’attendent qu’à être étudiés. Plusieurs mystérieux suicides ont également eu lieu avant et après le crash. Je pense notamment au leader du parti Autodéfense Andrzej Lepper qui était sur le point de transmettre des informations confidentielles à Jarosław Kaczyński.  Sans parler du comportement de Tusk dans les heures et les jours qui ont suivi le drame…

Sébastien Meuwissen: La question du crash de Smoleńsk est évidemment incontournable, mais j’aimerais y revenir un peu plus tard si vous le permettez.

Wojciech Roszkowski: Oui, seulement la question que nous devons nous poser est comment en parler. Moi, je sous-entends toute une série de choses dans mon livre. Je ne parle pas ouvertement d’assassins et de complot. J’essaie de faire en sorte que le lecteur arrive à ces conclusions par lui-même sur base des éléments suggérés. Or dans le cas de lecteurs occidentaux qui n’ont pas la moindre idée de la situation polonaise, c’est extrêmement difficile.

Sébastien Meuwissen: Je partage votre avis. C’est la raison pour laquelle lorsque je parle de cette histoire à mes connaissances de l’étranger, je m’efforce de poser des questions et de laisser mon interlocuteur arriver à ses propres conclusions. Mais permettez-moi de reprendre de manière chronologique. Nous sommes en 2008. La Russie envahit les régions géorgiennes d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie. Le Président Lech Kaczyński se rend alors en Géorgie en compagnie de plusieurs autres chefs d’États centre-européens afin de manifester son soutien à ce petit État du Caucase. Vous affirmez dans votre livre que l’initiative du président peut être considérée avec le recul comme un élément clef qui a peut-être sauvé la Géorgie.

Wojciech Roszkowski: Je pense que oui.

Sébastien Meuwissen: Or, malgré cela, la réaction des médias mainstream ainsi que de nombreuses personnalités politiques et du monde du show business est une attaque agressive envers Lech Kaczyński. Lech Wałęsa dira alors de président qu’il se comporte comme “un gamin dans un bac à sable avec une épée en bois”. Pire, le futur président de la République Bronisław Komorowski (proche de Tusk) ira jusqu’à dire que « seul un sniper aveugle rate sa cible à 30 mètres (…) Tel président, tel attentat ». En effet, il est important de souligner que Lech Kaczyński à été victime d’une tentative d’assassinat lors de son séjour à Tblissi en aout 2008. Là encore se pose la question: où est la limite?

Wojciech Roszkowski: Nous pourrions aussi parler de la commémoration du 70ᵉ anniversaire du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale à Westerplatte. C’était un spectacle unique. Il convient de souligner le contraste entre les différents discours prononcés ce jour-là. Mais le plus intéressant selon moi dans ce cas la, c’est de prêter attention au langage corporel. Il faut voir les grimaces de Tusk, Merkel et Poutine, assis l’un à côté de l’autre, pendant la prise de parole du Président Kaczyński! Le langage non verbal est extrêmement important et donne de nombreux indices, en particulier en politique. Cela vaut la peine d’aller voir sur internet quelques vidéos des rencontres entre Poutine et Tusk. La relation dominant-dominé crève l’écran !

Sébastien Meuwissen: Nous arrivons maintenant à cette fameuse année 2010 avec ce que beaucoup appellent l’accident de Smoleńsk qui…

Wojciech Roszkowski: La catastrophe. Parlons si vous le permettez de la catastrophe de Smoleńsk car c’en était une. Cela on le sait pour sûr.

Sébastien Meuwissen:  Effectivement. Alors que s’est il passé le 10 avril 2010?

Wojciech Roszkowski: Les événements qui ont précédé la catastrophe sont tout aussi importants que ceux qui l’ont suivi. La séparation des visites, les travaux réalisés sur l’avion en Russie quelques semaines avant le crash, la mort mystérieuse d’un député peu après un certain coup de téléphone, les informations erronées transmises sciemment par la tour de contrôle russe,… Les faits sont innombrables. Il est pratiquement impossible de condenser tout cela dans un court article.

Sébastien Meuwissen: Plusieurs historiens et sociologues ont remarqué un phénomène assez unique. À savoir que dans les deux ou trois jours qui ont suivi le crash, la population polonaise était comme réconciliée. Même les ennemis politiques les plus acharnés du couple présidentiel descendaient dans la rue pour rendre hommage aux défunts. Les gens se prenaient dans les bras, s’embrassaient. Or ce sentiment d’unité fut vite balayé. Je me risquerais même à dire que la haine envers le Président Kaczynski allait dépasser le niveau d’avant sa mort.

Wojciech Roszkowski: Je pense que vous avez malheureusement raison. Je m’en souviens comme si c’était hier. Des images particulièrement marquantes peuvent être observées aux alentours du palais présidentiel. La file de gens venus rendre hommage aux défunts faisait plusieurs centaines de mètres de long. Durant ces quelques jours, une foule de plusieurs centaines de personnes était présente dans ce secteur. Le nombre de bougies placées sur le trottoir en face du palais présidentiel était si élevé qu’il fallait traverser la rue pour pouvoir passer.

Or très vite, on a pu observer toute une série d’actions entreprises dans le but de freiner cet enthousiasme et de tourner ce deuil en dérision. Tout a commencé avec les premières manifestations autour d’une croix en bois de trois ou quatre mètres de haut qui avait été spontanément placée devant le palais présidentiel. C’étaient les défenseurs de la croix contre les ennemis de la croix. Parmi les défenseurs de la croix, il y avait sans aucun doute des agents ennemis. De l’autre côté, il y avait des provocateurs qui ont par exemple formé une croix à base de canettes de bière, qui crachaient en direction des gens recueillis ou qui les insultaient. Les comportements scandaleux vis-à-vis des défunts étaient innombrables. À l’époque, les autorités de Varsovie demeuraient passives. Le candidat des libéraux à la présidence – et président par intérim – Bronisław Komorowski, est parvenu à se débarrasser de cette fameuse croix, par ailleurs avec la bénédiction de plusieurs évêques.

Sébastien Meuwissen: Cela a dû mettre de l’huile sur le feu.

Wojciech Roszkowski: Effectivement. En Pologne, il est relativement facile de polariser les citoyens à l’aide uniquement d’une petite braise. Or, le cas dont nous discutons était drastique. Après tout, il n’y a pas que le président qui est mort dans ce crash. Il y avait également six des plus hauts fonctionnaires militaires de l’État, le président en exil Kaczorowski, ainsi que des hommes et femmes politiques de tous les partis. On oublie souvent cela. Pourtant, le camp gouvernemental a semblé rapidement oublier « ses » victimes. Pire, aussi bien avant la catastrophe qu’après, le Premier ministre Donald Tusk et ses collaborateurs se comportent de manière pour le moins… suspecte. L’une des questions essentielles à laquelle nous n’avons toujours pas de réponse satisfaisante est de savoir qui a pris la décision de diviser les visites [Tusk le 7 avril, Kaczyński le 10 avril, ndlr] ? Par ailleurs, il a été prouvé que deux explosions ont eu lieu à l’intérieur de l’avion. La question est donc de savoir qui les a provoquées, car il est certain qu’elles ne se sont pas provoquées toutes seules.

Sébastien Meuwissen: Si je peux me permettre un commentaire, je ne pense pas qu’il faille être un spécialiste de l’aviation pour savoir que la carcasse d’un avion dont l’aile, selon la version officielle, aurait accidentellement accroché un bouleau, ne devrait pas consister en plusieurs milliers de morceaux éparpillés sur cinq kilomètres à la ronde comme ce fut le cas.

Wojciech Roszkowski: Exact. Tout d’abord, prenons la dispersion des différents morceaux de la carcasse de l’avion. Il suffit d’établir une comparaison avec d’autres catastrophes si l’on regarde du point de vue mécanique. Prenez ne fût-ce que l’exemple de l’attentat de Lockerbie. Toutes les minutieuses analyses, l’enquête, etc. Les débris de l’avion étaient récoltés à plusieurs kilomètres autour du lieu de la catastrophe. Ensuite, la manière d’analyser la catastrophe et l’enquête. Tusk a laissé tout cela aux Russes.

Sébastien Meuwissen: Les gouvernements PO-PSL furent marqués par d’innombrables scandales de corruption et d’affaires en tous genres. Parler de chacun d’entre eux nous prendrait des heures. Pourriez-vous, s’il vous plaît, présenter deux ou trois d’entre elles à nos lecteurs ?

Wojciech Roszkowski: L’une des plus grosses affaires, selon moi, fut celle de la TVA. Sans entrer dans les détails, la conséquence de cette affaire fut une fuite annuelle de 30 à 50 milliards de zlotys en direction de contrevenants à la TVA. Si l’on compte sur les huit ans de gouvernement PO-PSL cela correspond à près de 250 milliards de zlotys [54 milliards d’euros, ndlr]. Cela représente environ 30 % du PIB annuel de la Pologne. Autrement dit entre 7 et 8 % par an. Ces statistiques sont absolument compromettantes.

Une autre affaire qui me vient immédiatement à l’esprit est celle qu’on appelle Amber Gold. Dans le cadre de cette affaire, des milliers de citoyens furent trompés par des promesses de gains financiers à condition d’investir dans différentes actions ou dans de l’or notamment. Très vite, l’argent à disparu. Il s’est alors avéré que cet argent avait été utilisé pour financer une entreprise d’aviation basée dans le bastion de Donald Tusk qu’est la ville de Gdańsk. Cette entreprise avait entre autres pour but de concurrencer la compagnie polonaise LOT.

Enfin, il faut mentionner le contrat de livraison de gaz signé par le ministre de l’Économie et chef du parti PSL Waldemar Pawlak. Ce contrat devait engager la Pologne à importer du gaz en provenance de Russie jusqu’en 2037 pour un tarif particulièrement désavantageux comparé aux contrats de nos partenaires de l’UE. À l’époque, c’est la Commission européenne qui est venue sauver la Pologne de quinze ans de dépendance au gaz russe. Grâce à l’intervention de la Commission, la date de fin du contrat a été modifiée pour 2022. Ma question aujourd’hui est la suivante : où est Monsieur Pawlak? Eh bien, non seulement il vagabonde ici et là en liberté, mais il intervient également de temps à autre à la radio pour critiquer le « gouvernement autoritaire du PiS ». Or, j’aime rappeler à mes amis qui partagent ce point de vue aujourd’hui encore, c’est bien la PO qui est aux commandes dans la quasi-totalité des villes du pays: Varsovie, Cracovie, Gdańsk, Łódź, Wrocław, Poznań, Szczecin, Lublin, Rzeszów,…

Sébastien Meuwissen: Le 4 juillet 2010, le président par intérim Bronisław Komorowski remporte le deuxième tour de l’élection présidentielle face à Jarosław Kaczyński. Un an plus tard, la PO de Tusk remporte une victoire écrasante aux législatives en obtenant presque 10% de voix en plus que le PiS qui ne parvient alors pas à franchir la barre des 30%. La PO renouvelle alors sa coalition avec le PSL. Autrement dit, les libéraux de Tusk ont dès lors ce que vous appelez dans votre livre les pleins pouvoirs. Vous entendez par là le fait que les libéraux dominaient à cette époque à tous niveaux : gouvernement, majorité au parlement et au Sénat, présidence de la République, majorité dans les sejmiks [parlements régionaux, ndlr] ainsi que, majorité de juges proches du pouvoir au Tribunal Constitutionnel (dont son président) et bienveillance de l’absolue majorité des médias aussi bien publics que privés.

Wojciech Roszkowski: Tusk et les siens ont pris le contrôle des médias publics à partir de 2011. À l’époque, j’étais membre du Conseil d’administration de la télévision publique et je me souviens très bien que cela s’est fait de manière progressive. Les journalistes considérés comme trop conservateurs furent remplacés un par un. En ce qui concerne les médias privés, il existe aussi de nombreux exemples. Je pense notamment au journal Rzeczpospolita dont le rédacteur en chef à été écarté suite à la publication d’un article au sujet du trinitrotoluène et de la nitroglycérine qui à été retrouvée sur l’épave de l’avion présidentiel dans la forêt de Smoleńsk. Le journal fut alors racheté par le biais de méthodes de gangsters.

Un autre exemple est celui de l’hebdomadaire Wprost et de son rédacteur en chef Sylwester Latkowski. Ce dernier a eu la désagréable visite de l’Agence de Sécurité Intérieure dans les bureaux de la rédaction. Vous trouverez sur internet les vidéos montrant comment les agents s’en prennent physiquement à lui afin de lui confisquer son ordinateur portable sur lequel il avait des enregistrements compromettants de plusieurs membres du gouvernement Tusk. Sur ces enregistrements, on peut découvrir toute la vulgarité et le cynisme des poids lourds de la PO.

Sébastien Meuwissen: À l’été 2014, Donald Tusk devient Président du Conseil européen. Contrairement à ce qu’il avait annoncé aux médias, il laisse derrière lui la PO qui est en chute libre dans les sondages. Moins d’un an plus tard, un nouveau chapitre commence avec la victoire du candidat PiS Andrzej Duda à l’élection présidentielle face au candidat PO Bronisław Komorowski. Peut-on dire qu’en plus d’avoir été une surprise, l’élection d’Andrzej Duda fut un véritable tournant ?

Wojciech Roszkowski: La campagne d’Andrzej Duda était un phénomène. Cet avocat et député européen était alors peu connu du public. En l’espace de six mois, il est parvenu à convaincre les électeurs. Beaucoup de personnes étaient sceptiques, moi y compris. J’ai été agréablement surpris. Duda était perçu comme un homme intelligent, assumant ouvertement sa foi catholique et que les gens n’associaient pas au politicien typique. Sa victoire a mobilisé l’électorat conservateur.

Sébastien Meuwissen: Fin 2015, le PiS triomphe haut la main aux législatives. En quoi cette victoire était-elle historique ?

Wojciech Roszkowski: Il y a deux éléments clefs. D’une part, c’était la première fois depuis la chute du communisme qu’un parti obtint la majorité absolue. D’autre part, la Gauche à alors perdu toute représentation au parlement. Du jamais vu.

Sébastien Meuwissen: Dès la prise de pouvoir du PiS, de nombreux conflits avec les institutions de l’UE ont pu être observés. Les tensions ont eu trait à une série d’éléments: la réforme du système judiciaire, le rapport à l’immigartion illégale et au lobby LGBT,… Difficile de ne pas y voir une corrélation avec le nouveau poste de Président du Conseil européen de Donald Tusk. Ce dernier a en réalité continué son activité de leader de l’opposition mais en activant des leviers de pressions plus importants depuis Bruxelles.

Wojciech Roszkowski: Les attaques de Tusk envers la Pologne sont la raison pour laquelle en 2017, son propre pays fut le seul de l’UE à s’opposer à un renouvellement de sa législature à ce poste. Le gouvernement de Beata Szydło a alors proposé l’eurodéputé – issu alors de la PO – Jacek Saryusz-Wolski. Ce dernier fut d’ailleurs viré de la PO pour avoir accepté cette candidature. C’est un homme brillant qui sait se faire respecter au sein du Parlement européen où j’ai eu l’opportunité de faire sa connaissance. Il connaît le fonctionnement de l’UE comme peu d’autres et à toujours fait du bon boulot pour la Pologne. Pour dire les choses simplement, il était trop patriote pour rester dans les rangs de la PO du Tusk.

Sébastien Meuwissen: Les tensions de Varsovie avec la Commission européenne et le Parlement européen n’ont pas empêché le PiS de remporter les législatives à l’automne 2019. Comment expliquer cela ?

Wojciech Roszkowski: Le PiS a tenu la plupart de ses promesses. Des programmes sociaux et de soutien aux familles ont été mis en place. Le gouvernement s’est attaqué à des questions chères aux yeux des Polonais. Il faut souligner que cette seconde victoire aux législatives était moins univoque que la précédente étant donné que le PiS n’avait plus la majorité absolue.

Sébastien Meuwissen: L’une des critiques récurrentes formulées à l’encontre de la du PiS est sa prétendue tendance à mettre en péril l’indépendance et le pluralisme des médias. Ces critiques sont-elles fondées?

Wojciech Roszkowski: Jusqu’en 2015, la quasi-totalité des médias étaient rangés sur la ligne libérale de Donald Tusk, surtout dans la presse écrite. Malgré ce que beaucoup disent, les médias hostiles au gouvernement sont toujours largement majoritaires aujourd’hui . Par exemple, deux des trois principales chaînes de télévision polonaise ont une ligne anti gouvernementale. Le changement de ligne éditoriale des médias publics audiovisuels a permis un certain rééquilibrage.

Sébastien Meuwissen: Les prochaines élections législatives auront lieu à l’automne 2023. Nous dirigeons-nous vers un troisième succès consécutif pour la formation de Jarosław Kaczyński?

Wojciech Roszkowski: Il est bien entendu encore tôt pour se prononcer. Je pense qu’une nouvelle victoire du PiS est tout à fait envisageable. En revanche, je ne crois pas en un raz de marée leur permettant d’obtenir la majorité absolue.