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Ces Polonais qui freinent le déclin de l’Église catholique en Irlande

Temps de lecture : 5 minutes

Pologne/Irlande – Sligo, petite ville de 17 000 habitants dans le diocèse d’Elphin sur la côte nord-ouest de la République d’Irlande, avec une minorité polonaise de 2000 personnes dans la ville-même et ses alentours. Depuis maintenant plus de quinze ans, un des points de repère pour cette communauté est la paroisse Sainte-Anne où le ministère de la pastorale des Polonais est exercé actuellement par le père Stanisław Kardaś, qui a été délégué là par l’évêque de Rzeszów, en Pologne. Le père Kardaś et ses prédécesseurs ont réussi à créer dans cette paroisse de Sligo un centre pastoral dynamique pour les Polonais du coin. Chaque semaine, le père Stanisław célèbre une messe en polonais dont la liturgie est soigneusement préparée par les fidèles. Il administre les sacrements, assume de rôle d’aumônier à l’hôpital, rend visite aux prisonniers, et participe aux réunions de groupes de prières. Les Polonais assemblés autour de la paroisse ont organisé deux fois de suite, dans les années précédant le Covid, un pique-nique pour les familles avec plats faits maison, musique et attractions pour les enfants. Cet événement s’adressait aussi aux autres communautés, et en particulier bien sûr aux Irlandais « de souche », afin de créer une occasion d’intégrer les deux communautés et de tisser des liens d’intimité entre elles. Cette initiative ainsi que les réunions de Noël où sont chantés les cantiques traditionnels polonais et distribués des cadeaux pour les enfants étaient financés par un fonds commun collecté chaque dimanche grâce aux dons des fidèles polonais. L’activité pastorale et culturelle de la communauté polonaise de Sligo a longtemps bénéficié du soutien de l’évêque et des prêtres locaux, y compris celui de l’évêque actuellement en charge du diocèse d’Elphin, Mgr Kevin Doran.

Sligo n’est pas une exception. Il y a plus de cent vingt mille personne de nationalité polonaise vivant en République d’Irlande selon le recensement de 2016, ce qui représente un peu plus de 2,5 % de la population et fait des Polonais la première communauté étrangère du pays. Si l’on ajoute à cela les Polonais nés en Pologne mais naturalisés, ce nombre tourne probablement autour de 200 000, pour une population totale d’à peine 5 millions d’âmes (4,76 millions selon le recensement de 2016). Après l’adhésion de la Pologne à l’UE en 2004, l’Irlande avait été, aux côtés du Royaume-Uni et de la Suède, un des trois pays à avoir immédiatement ouvert ses frontières aux travailleurs polonais. Et comme au Royaume-Uni voisin, l’immigration polonaise a fortement contribué à ralentir le déclin de l’Église catholique locale, voire à redonner vie à des paroisses. L’Église catholique en Irlande connaît elle-même un déclin accéléré. Entre 1984 et 2011, la proportion d’Irlandais assistant à la messe dominicale était tombée de 90 % à 18 %. En Pologne aussi la tendance est à la baisse, mais cette baisse est nettement moins marquée. En 1980, il y avait 51 % de fidèles à la messe du dimanche en Pologne communiste. En 2000 ils étaient encore 47,5 % de catholiques à assister chaque semaine à la messe dominicale mais seulement 41 % en 2010 et 37 % en 2019.

La communauté polonaise de Sligo, à l’image de beaucoup de communautés polonaises en République d’Irlande et au Royaume-Uni, et aussi ailleurs en Europe, reste ainsi un peu un îlot de pratique religieuse dans un environnement qui s’est beaucoup laïcisé et qui n’a sans doute plus grand chose à voir avec l’image de l’Irlande catholique communément répandue jusque récemment (au moins jusqu’avant les referendums de 2015 et 2018 ayant légalisé, successivement, le « mariage gay » puis l’avortement, avec le soutien d’une majorité des « catholiques » encouragés dans leur vote par la passivité des évêques). En 2018, la Conférence épiscopale polonaise a toutefois appelé ces Polonais de l’étranger à s’intégrer à l’Église locale, car les quelque 2000 prêtres et religieuses polonais s’occupant de ces ouailles résidant à l’étranger ne suffisent pas et les fidèles sont par ailleurs invités par les évêques polonais à ne pas vivre en vase clos par rapport à leur pays d’accueil.

Et c’est aussi ce qui a semblé guider la décision de Mgr Doran lorsqu’il a décidé à l’automne dernier de ne pas prolonger la mission du père Stanisław Kardaś et de mettre fin à ce ministère polonais vieux de quinze ans à Sligo. Le père Kardaś doit par conséquent rentrer en Pologne en mai prochain et l’aumônerie de la communauté polonaise sera confiée un autre prêtre polonais résidant, lui, à Donamon, ville éloignée de Sligo de près de 100 km. Par conséquent, la messe en polonais ne sera plus célébrée à Sligo qu’une fois par mois et la pastorale des Polonais sera condamnée à disparaître. Selon Mgr Doran, les Polonais auront ainsi l’occasion de s’engager dans la vie de leurs paroisses irlandaises « où leur jeunesse et leur énergie seront bienvenues et contribueront ainsi à l’édification du corps du Christ qu’est l’Église. » Pour Mgr Doran, l’activité du missionnaire polonais à Sligo était de toute façon limitée puisqu’il ne s’occupait selon lui que de la communauté catholique polonaise, et la paroisse irlandaise ne peut pas se permettre de supporter les coûts que les Polonais du coin ne couvriraient pas, selon l’évêque, de façon suffisante.

La décision de l’évêque a toutefois suscité de vives réactions au sein de la communauté polonaise de Sligo. Dans une des nombreuses lettres adressées à Mgr Doran par des particuliers et par les représentants de cette communauté, les Polonais ont souhaité attirer son attention sur le fait que, suite à sa décision limitant l’accès des Polonais à la messe et aux sacrements en langue polonaise, « de nombreux membres de la communauté polonaise se détourneront tout simplement de l’Église parce qu’ils ne comprendront pas la messe, ses rites, ses lectures, ses évangiles, ses homélies prononcées dans une langue dans laquelle ils peuvent communiquer en faisant leurs courses au supermarché, mais pas au niveau des mots, des paraboles, des péricopes, des enseignements moraux ou des conseils spirituels, qu’ils ne comprendront tout simplement pas. L’accent irlandais et les dialectes locaux sont également particulièrement difficiles pour des étrangers. La messe sera tout simplement incompréhensible. » Par ailleurs, il leur sera difficile de recevoir le sacrement de la confession, et ces difficultés concerneront tout particulièrement les Polonais plus âgés, venus vivre avec leurs enfants émigrés en Irlande, qui maîtrisent souvent mal la langue anglaise. Pour convaincre l’évêque d’Elphin de revenir sur sa décision, les représentants de la communauté polonaise se sont engagés à plus contribuer à la couverture des frais de leur ministère pastoral à Sligo. Ils ont aussi proposé que le père Kardaś s’engage auprès d’autres communautés polonaises mais aussi dans d’autres paroisses irlandaises du diocèse, car il parle couramment anglais pour avoir exercé son ministère de prêtre plusieurs années aux États-Unis.

Rien n’y fait cependant. Après un long échange de lettres et une série de rencontres entre l’évêque Doran et les représentants des catholiques polonais de Sligo, et malgré une grande mobilisation de la communauté et des veillées de prières à l’église St Anne et devant le siège de l’évêché, Mgr Doran a définitivement confirmé sa décision de fermer la mission polonaise à Sligo et de renvoyer en mai prochain le père Kardaś dans son diocèse d’origine à Rzeszów.

Pourtant, comme nous l’apprend l’Association des prêtres catholiques d’Irlande, plus de 20 % des prêtres et des moines sont morts en Irlande au cours des trois dernières années et la tendance s’accentue car leur moyenne d’âge est très élevée. Il faut donc s’attendre à une accélération du phénomène de fusion de paroisses, de fermeture d’églises et de diminution du nombre de messes célébrées. En pleine crise de vocations et pour remédier à cette situation, l’Église catholique d’Irlande a l’intention d’introduire un diaconat permanent et les évêques irlandais ont demandé au Saint-Siège d’approuver l’ordination d’hommes mariés et non mariés à ce diaconat permanent. Pour le moment, la Pologne, qui connaît certes elle aussi une importante baisse du nombre de vocations, n’en est pas à ce stade et elle en est même loin.

Il se dit qu’au Moyen-Âge en Europe, ce sont les moines irlandais qui ont redonné vie à une Église catholique en berne. Peut-être l’évêque d’Elphin devrait-il s’en souvenir et prier pour que les catholiques polonais, en fondant des communautés sur tout le continent, y compris dans une Irlande qui a en grande partie renoncé à sa foi, en fasse autant en notre XXIe siècle ?