Article paru dans le Magyar Nemzet le 31 mars 2022.
« Pour l’Ukraine, nous avons toujours été un voisin prévisible et bienveillant »
Tant que dure la guerre, la Hongrie va mettre de côté les controverses qui l’opposent à l’Ukraine, et se montrer compréhensive à l’égard des déclarations qui la critiquent, car, tant que les armes ne se tairont pas, tous les efforts doivent converger en direction de la paix – voilà de quoi nous a parlé le commissaire ministériel István Grezsa. Il nous explique que les Hongrois de Hongrie et du Bassin des Carpates font tout ce qu’ils peuvent – dans la limite de leurs forces, et même au-delà – au service des réfugiés. Il a en outre fait remarquer qu’après la guerre, nous aurons besoin d’une nouvelle stratégie de politique nationale pour la Subcarpatie.
« Je fais preuve de beaucoup de compréhension à l’égard des déclarations de dirigeants ukrainiens qui critiquent la Hongrie, étant donné que, pour l’instant, la Russie mène une guerre contre notre voisin oriental, chose qui représente, à tous points de vue, un fardeau considérable. »
– affirme István Grezsa, commissaire ministériel au développement de la coopération entre le comté de Szabolcs-Szatmár-Bereg et la Subcarpatie. Cette guerre, nous explique-t-il, exige des sacrifices – humains et autres – des plus lourds, raison pour laquelle la direction politique de l’Ukraine s’efforce d’étendre le conflit. D’un point de vue ukrainien, cette attitude lui semble compréhensible. Il fait remarquer que la Hongrie accorde toute l’aide humanitaire nécessaire à ceux qui viennent se réfugier chez nous, aussi bien qu’à ceux qui restent en Subcarpatie, et plus généralement en Ukraine.
Il explique néanmoins que « le gouvernement hongrois doit défendre les intérêts des Hongrois : la Hongrie doit rester en-dehors de cette guerre ; nous devons préserver la paix et la sécurité dans notre pays. »
« – Il est bien évident que, dans de telles circonstances, il faut mettre entre parenthèses le style, le timing, et le fait qu’en Hongrie, la bataille des législatives imminentes bat son plein. Car, tant que dure cette guerre, pour nous, la paix est la seule alternative acceptable, et telle est la ligne à laquelle nous devons nous tenir. C’est en vertu de ce principe que j’ai su conserver mon calme, même en lisant des opinions ukrainiennes qui ne me plaisent pas. Je trouve bien plus angoissantes les déclarations en provenance de la gauche hongroise : cette gauche qui veut entraîner le pays dans la guerre – et tel sera le principal enjeu des élections de ce dimanche. »
Un travail surhumain
« Le fait est – et cela, la presse ukrainienne ne s’en rend pas suffisamment compte – que la Hongrie accomplit un travail surhumain dans sa gestion du flux de réfugiés. – On ne pourrait pas imaginer de démonstration plus claire du fait que, pour cet immense pays, nous avons toujours été des voisins prévisibles et bienveillants »
« Il est important de remarquer qu’on peut s’attendre à une catastrophe humanitaire durable, à une crise à long terme, et que la Hongrie devra rester capable de prêter assistance même une fois que l’élan de solidarité sera retombé, quand les gens seront à nouveau davantage préoccupés par leurs propres problèmes, étant donné que cette guerre va avoir des conséquences économiques assez graves. »
« À mon avis, si cela ne tenait qu’à la gauche, ces conséquences économiques seraient catastrophiques. – Et, comme après la pandémie, le monde ne sera plus non plus le même après la guerre russo-ukrainienne. »
István Grezsa a aussi parlé de questions de politique nationale, expliquant à ce propos qu’une « réorganisation ethnique s’est déjà accomplie dans la région. Et, à mon avis, plus le conflit sera long, moins il y aura de réfugiés disposés à retourner en Subcarpatie. – Voilà pourquoi, pour ce comté de la taille du Pays sicule [région de Roumanie centrale à majorité ethnique hongroise, principalement constituée des départements de Harghita et Covasna – n.d.t.], il va falloir mettre au point un nouveau plan de politique nationale : un plan prenant aussi en compte les attentes de la majorité ethnique. Cela ne constitue pas une nouveauté radicale, étant donné que, vis-à-vis de la Subcarpatie, il y a bien longtemps que nous mettons l’accent sur une politique de la main tendue, en accordant toutes sortes d’aides à cette population qui vit depuis de longues années dans une situation difficile – y compris à la partie de cette population qui appartient à l’ethnie majoritaire. »
« Il n’y a peut-être pas d’autre pays qui ait autant aidé l’Ukraine que nous ne l’avons fait jusqu’à présent. Au cours des quatre ou cinq dernières années, la Hongrie a réalisé en Ukraine des investissements publics d’une valeur dépassant les cent milliards de forints [plus de 270 millions d’euros – n.d.t]. – Et tous ces investissements servent un même but : empêcher la Subcarpatie de se détacher définitivement du corps de la nation.
La paix doit être préservée
« Des 603 000 kilomètres carrés du territoire ukrainien, la Subcarpatie est le seul oblast du pays qui n’ait pas subi d’attaque militaire, et il serait bon que cela reste ainsi. Or, à ces fins, deux choses sont nécessaires : d’une part, qu’aucune arme offensive ne traverse la frontière magyaro-ukrainienne ; d’autre part, que l’État ukrainien ne crée pas de cibles militaires en Subcarpatie – par exemple sur l’aéroport d’Oujhorod, qui pourrait attirer l’attention des Russes. – Entre-temps, du fait de la guerre, des dizaines de grandes entreprises, quittant l’intérieur de l’Ukraine, vont venir s’installer en Subcarpatie, chose qui pourrait, en améliorant la situation de ce territoire déshérité, et en contribuant à la réduction de ses déficits infrastructurels, servir les intérêts des deux pays. »
Du point de vue de la communauté hongroise de Subcarpatie, l’un des points névralgiques des relations magyaro-ukrainiennes est la loi ukrainienne sur la langue ; or, à en juger d’après les déclarations des dirigeants ukrainiens, dans ce domaine, on ne peut pour l’instant s’attendre à aucun assouplissement. À ce propos, István Grezsa fait remarquer que « cela fait des années qu’on nous explique que les décisions prises par l’Ukraine ne visent pas la minorité hongroise, mais les millions de russophones du pays, ce qui fait que nous n’en subissons les conséquences qu’à titre de victime collatérale de ces événements. »
« – Il est néanmoins important de remarquer que, en exceptant les Tatars de Crimée, cette minorité constituée de 150 000 magyarophones est la seule à disposer d’un système institutionnel constitué ; il est par conséquent essentiel pour elle que ses droits linguistiques et éducatifs soient rétablis, car ces derniers sont aussi la condition de la préservation de notre culture. Mais bien sûr, en temps de guerre, on ne s’occupe pas des langues ; néanmoins, chaque déclaration d’un dignitaire ukrainien faisant des questions linguistiques un possible objet de négociation est de nature à nous donner de l’espoir. »
Attila Borsodi
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Traduit du hongrois par le Visegrád Post