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L’industrie de la GPA poursuit son activité en Ukraine malgré la guerre

Temps de lecture : 6 minutes

Ukraine – Dans un sous-sol d’un immeuble de Kiev utilisé provisoirement comme abri anti-aérien, cette image diffusée dans le monde d’une rangée de berceaux de maternité transparents où dorment des nouveau-nés pourraient être considéré comme porteuse d’espoir et un signe de la force de la vie en ces temps de guerre. La vie s’y manifeste obstinément, et pourtant le drame de la guerre l’affecte ici d’une manière particulièrement cruelle puisqu’il s’agit d’enfants sans parents ni nationalité, nés de mères porteuses juste avant le début de l’invasion russe et dans les jours qui ont suivi. Leurs parents génétiques ou « d’intention » étrangers ne peuvent pas les récupérer à cause du départ des ambassades, ce qui fait qu’il n’est plus possible d’obtenir les documents nécessaires pour emmener l’enfant. Et même sans cela, beaucoup craignent de prendre la route pour venir dans ce pays englouti dans la tourmente de la guerre.

Ce lieu qui a fait le tour des médias internationaux au début du mois de mars avait été aménagé pour la quarantaine de bébés présents (un nombre qui augmentait chaque jour) et quelques nounous par l’entreprise ukrainienne BioTexCom. Celle-ci se réclame comme « centre de reproduction humaine » et est une des principales sociétés de GPA fonctionnant en Ukraine. Après la fermeture de nombreux centres de GPA en Asie où les lois rendent la gestation pour autrui inaccessible pour les couples étrangers (suite à plusieurs scandales), l’industrie de la GPA a déménagé principalement en Ukraine mais aussi en Russie et dans d’autres pays de l’espace post-soviétiques, très libéraux en la matière. En Ukraine en particulier, la demande en GPA était très forte et le business florissant. Selon les estimations, chaque année les mères porteuses ukrainiennes donnent naissance à environ 4000 bébés sur commande. Même si la GPA en Ukraine, en Russie et en Géorgie, contrairement aux États-Unis, n’est théoriquement accessible qu’aux couples hétérosexuels mariés et qu’il doit exister un lien génétique entre l’enfant et au moins un de ses parents, cette limitation semble être parfois contournée. Or ces services sont également proposés aux citoyens des pays où la gestation pour autrui est interdite par la loi comme par exemple la France où les GPA réalisées à l’étranger sont désormais reconnues sous l’influence des tribunaux et de la collaboration passive des autorités.

Premier prestataire de GPA du pays, la société BioTexCom fait ouvertement la promotion de ses services et produits en France, comme sur le site mereporteuse.info, et les clients français peuvent sans obstacle faire retranscrire les certificats de naissance de leurs enfants nés d’une mère porteuse par l’ambassade de France à Kiev. Le coût de la procédure en Ukraine varie de 40 000 à 65 000 euros et est nettement moins élevé que le prix d’une GPA réalisée aux États-Unis qui varie entre 130 000 et 160 000 dollars, mais où la procédure est en revanche ouverte aux couples homosexuels et aux personnes non mariées. Une mère porteuse en Ukraine ne touche que 13 000 euros dont une grosse partie est payée après la remise de l’enfant entre les mains des acheteurs.

Dans les pays occidentaux, alors que la guerre continue de faire rage en Ukraine, la campagne pour familiariser la société avec la GPA ne faiblit pas, bien au contraire. Les articles sur le drame de la fertilité et sur ce grand geste d’altruisme que serait la gestation pour autrui se multiplient dans les médias dominants, le plus souvent d’obédience progressiste libérale. Comme au début de la crise sanitaire enclenchée par le Covid où les frontières restaient fermées et la récupération de l’enfant acheté était également impossible, les parents génétiques ou « d’intention », présentés comme victimes collatérales de la guerre menée par la Russie à son voisin slave, réclament ouvertement l’intervention des gouvernements pour leur permettre de finaliser la transaction, même lorsque la GPA reste théoriquement interdite dans leur pays d’origine. Personne ou presque ne se penche sur le destin des femmes devenus mères porteuses pour une seule raison : la pauvreté. Personne ne cherche à savoir ce qu’elles deviennent, surtout maintenaient, alors que des villes ukrainiennes sont sous les bombes. Personne ne se pose la question de savoir comment elles vivent leur séparation avec le bébé qu’elles ont porté dans leur ventre en sachant que sa vie est en danger. Pour les Ukrainiennes mères porteuses qui portaient encore le bébé dans leur ventre au moment où les hostilités ont éclaté, fuir vers l’ouest pour y accoucher n’est pas une option, car les pays à l’ouest de l’Ukraine ne reconnaissent pas la GPA et les mères porteuses deviendraient alors automatiquement les mères légales de ces enfants, leur contrat de GPA devenant nul et non avenu.

Selon La Manif pour Tous, la première victime du procédé de la GPA, qui doit être considérée comme une forme de trafic d’êtres humains, ce sont les femmes, et en l’occurrence des femmes ukrainiennes. « La GPA exploite et asservit des femmes pauvres, réduites à leurs capacités reproductives, traitées comme une sous-humanité. Le comble de l’horreur est atteint avec le mépris vis-à-vis des mères de ces enfants qui va jusqu’à passer sous silence leur situation, leurs angoisses, leur avenir, elles qui sont restées coincées à Kiev en attendant de livrer les enfants à leurs commanditaires impatients », pouvait-on lire dans le communiqué de presse  de la Manif pour Tous le 1er mars 2022. La présidente de l’organisation, Ludovine de La Rochère, a également déclaré : « La douleur du peuple ukrainien résonne d’autant plus fort dans nos cœurs que le business sordide et inhumain de la GPA méprise profondément ces femmes. Plus que jamais, nous devons affirmer haut et fort que la dignité des femmes n’a pas de frontière ni de couleur de peau. Nous devons aider les femmes ukrainiennes victimes de la GPA et cela passe par l’abolition universelle de cette pratique infâme ».

De son côté, l’organisation Juristes pour l’enfance, dans un communiqué du 8 mars, attirait l’attention de la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la vente et l’exploitation sexuelle d’enfants à propos des droits des enfants nés et à naître de GPA dans le monde. Ils appellent la pratique de la GPA une vente internationale et organisée d’enfants qui exploite les « inégalités économiques entre les pays clients et producteurs » et qui remplace un processus d’adoption rendu difficile, et même encore plus difficiles pour les couples mariés composés d’un père et d’une mère depuis que l’adoption est ouverte aux couples homosexuels dans nombre de pays occidentaux. De fait, dans le cadre de la GPA pratiquée en Ukraine ou ailleurs, l’enfant n’est qu’une marchandise, qui a son prix précisément défini en fonction des exigences de ses parents génétiques et « d’intention ». Les listes de prix couvrent même une catégorie VIP permettant de raccourcir la file d’attente pour avoir une mère porteuse et garantissant un ensemble complet de services excluant, entre autres, toute anomalie fœtale, avec même un enfant de substitution si le premier décède au cours de la première année. En août 2019, la télévision australienne ABC avait publié un reportage sur le destin des enfants nés handicapés en Ukraine dans le cadre de contrats de GPA et abandonnés par les acheteurs tels une marchandise défectueuse, ces enfants étant donc pris en charge par des orphelinats ukrainiens.

Les évêques catholiques d’Ukraine se sont opposés sans succès au recours aux mères porteuses et ont demandé aux autorités de leur pays d’interdire la « maternité de substitution » dans les plus brefs délais. « Il est difficile d’imaginer le drame d’une femme qui doit renoncer à son enfant. La douleur d’un enfant arraché à sa mère et vendu à une autre famille dans le cadre de ce contrat inhumain est également inimaginable », avait déclaré en mai 2020 Mgr Sviatoslav Chevtchouk, primat de l’Église gréco-catholique, quand le scandale avait été mis en évidence par les restrictions sur les déplacements internationaux imposées par plusieurs gouvernements face à la pandémie de Covid-19. Cette condamnation avait également été soutenue par Mgr Mieczyslaw Mokrzycki, archevêque de Lviv et président de la conférence des évêques catholiques romains du pays. Mais avec un peu plus de 4 millions de gréco-catholiques et seulement quelques centaines de milliers de catholiques romains dans ce pays de 41 millions d’habitants majoritairement orthodoxes, la portée de ces condamnations reste limitée. La demande faite l’année dernière au président Zelensky par le représentant des Églises évangéliques d’Ukraine pour interdire la GPA commerciale n’a pas non plus été suivie d’effet. Les évangéliques ne sont également que quelques centaines de milliers (sans doute environ 700 000, comme les catholiques romains) dans ce pays, et il manque donc une voix orthodoxe forte à l’appel.

Malheureusement, le drame des femmes et des enfants impliqués dans le procédé de la GPA qui s’est à nouveau retrouvé sous le feu des projecteurs à cause de la guerre n’est toujours pas compris par la société ukrainienne et ne semblait pas inquiéter le gouvernement même avant la guerre. Les centres de reproduction ukrainiens n’envisagent même pas de suspendre leurs pratiques pendant la guerre en cours alors qu’on estime qu’actuellement plus de 500 femmes en Ukraine portent dans leur ventre des enfants commandés par des Européens, des Américains ou des Chinois. Les prestataires assurent leurs clients de la continuité de leur activité et proposent, dans certains cas, des mères porteuses dans d’autres pays, et donc principalement en Russie et en Géorgie où l’approche de la GPA est tout aussi libérale qu’en Ukraine (même s’il a été question l’année dernière en Russie de changer la loi) et où les tarifs pratiqués sont similaires. Sur le site de la société ukrainienne BioTexCom, on pouvait lire le 19 avril : « La clinique fonctionne à plein régime et n’a pas arrêté ses activités médicales un seul jour. BioTexCom a déjà des premiers rendez-vous pour des donneurs et des mères porteuses potentiels dans deux villes ukrainiennes, Kiev et Kropyvnytskyï! De plus, le centre lancera de nouveaux programmes dans un proche avenir. »