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László Bernát Veszprémy : « Je ne pense pas qu’il y aura une immigration musulmane très importante en Europe centrale. »

Temps de lecture : 14 minutes

Hongrie — Entretien avec l’historien, journaliste et publiciste hongrois László Bernát Veszprémy : « Je ne pense pas qu’il y aura une immigration musulmane très importante en Europe centrale. »

László Bernát Veszprémy est diplômé de l’université réformée Károli Gáspár et titulaire d’un master en études sur l’Holocauste de l’université d’Amsterdam. Il est actuellement doctorant à l’école doctorale d’histoire culturelle de l’université ELTE de Budapest. Il a été membre de la rédaction de la revue juive Szombat de 2016 à 2018 et chercheur à l’Institut historique Veritas de 2017 à 2018, et il a aussi été assistant de recherche à l’Institut d’histoire juive hongroise de l’université Milton Friedman. Il est depuis l’automne 2021 rédacteur en chef du site Corvinák, portail d’analyses du Mathias Corvinus Collegium, après avoir été rédacteur en chef adjoint du portail d’informations juives neokohn.hu. Il collabore aussi au site et à l’hebdomadaire conservateur Mandiner.

En 2021, il a publié deux ouvrages. L’un sur l’année 1921 et les débuts de l’ère Horthy. L’autre sur les relations entre immigration et antisémitisme en Occident. Yann Caspar a évoqué ces ouvrages avec lui le 8 juin 2022 à Budapest, ce qui a permis d’aborder des questions tel que le rapport des Hongrois au Traité de Trianon et à leur histoire, les défis que représente l’immigration extra-européenne ou encore les relations entre la Hongrie et Israël.

Yann Caspar : Récemment, nous avons commémoré l’anniversaire du Traité de Trianon. Un traité de paix, ou plutôt un diktat. Comment se souvenir de Trianon plus de cent ans plus tard ?

László Bernát Veszprémy : Je pense que le terme « diktat » est parfaitement adapté. Si on se penche sur les sources de l’époque, on constate que le peuple hongrois était unanimement et massivement opposé à ce traité de paix, et le vivait comme une chose temporaire. C’est vrai non seulement du régime Horthy, mais aussi de la période de la révolution de Károlyi et de la République des Conseils, lorsqu’il était déjà possible de voir clairement quels territoires allait perdre la Hongrie et où étaient installées les forces ennemies. Personne n’était du côté de Trianon. Regardons seulement comment les communistes avaient tenté d’obtenir du soutien : en lançant une campagne militaire au Nord et une autre vers la Transylvanie. J’ai récemment publié un article dans Mandiner en m’appuyant sur les documents de la commission magyare-roumaine des frontières puisés dans les archives nationales. Un officier britannique ayant visité la Partium à l’époque l’avait écrit clairement : cette région ne deviendra jamais la Roumanie.

Comment pouvons-nous souvenir de Trianon aujourd’hui ? Sur ce point, il est important de noter que l’Histoire a évolué dans une autre direction depuis. Nous pensons désormais en termes de régions, de coopération régionale, l’UE, l’OTAN et l’ONU existent. Donc — comme les hommes politiques hongrois le mentionnent souvent —, la Hongrie n’a pas de revendications territoriales.

Mais cela ne signifie pas que les Hongrois de l’autre côté de la frontière ne doivent pas être défendus dans leurs droits.

L’Europe centrale et orientale est aujourd’hui confrontées à des problématiques communes, le V4 en est un exemple parfait. Prenons par ailleurs les relations magyaro-serbes : elles sont bonnes et prospères, ce qui était aussi vrai des relations magyars-slovènes jusqu’à peu. Ainsi, lorsqu’on parle de Trianon, personne n’a la même approche qu’en 1920. Bien sûr, le droit de se souvenir nous appartient, alors que défendre les droits de la nationalité hongroise est notre devoir.

Yann Caspar : Mais comment expliquez-vous qu’il n’y ait tout de même pas de compromis sur cette question au sein de la classe politique hongroise actuelle ?

László Bernát Veszprémy : Ce qu’est l’opposition et ce qu’elle représente, je pense que nous l’avons bien vu à l’occasion des dernières élections. Elle a réussi à l’emporter dans une trentaine de municipalités à peine, dont Budapest. Ses électeurs doivent bien-sûr être respectés, mais je ne suis pas sûr que ce que pensent les hommes politiques d’opposition est vraiment pertinent. Ils essaient évidemment aussi de jouer un registre national. Seuls eux pourront dire si c’est sincère ou non. Je pense toutefois qu’un minimum national s’est dégagé en Hongrie. Dire que 20 millions de Roumains vont débarquer et s’installer dans nos appartements, comme cela avait été dit pendant la campagne du référendum sur la double-nationalité, ce n’est plus possible à mon avis. Il n’est plus possible d’évoquer les Hongrois d’au-delà des frontières de cette manière.

Yann Caspar : L’année dernière, vous avez publié un ouvrage intitulé « 1921 ». Lorsque nous nous sommes rencontrés pour la première fois, vous avez mentionné le fait que cet ouvrage avait suscité beaucoup de critiques. Des critiques venant de la gauche, mais aussi de la droite. Que s’est-il passé au moment de la parution de cet ouvrage ?

László Bernát Veszprémy : Je tiens à préciser une chose : Dieu merci, dans l’ensemble, j’ai reçu des critiques assez positives et le livre est devenu un best-seller dans la catégorie Histoire sur le site Bookline. La réception de mon livre a été globalement positive. Mais oui, bien sûr, il y eu des critiques de gauche et de droite. À droite, Gábor Bencsik m’a critiqué dans l’hebdomadaire Demokrata. À gauche, dans le magazine d’extrême gauche Múltunk [Notre passé], un homme appartenant à la gauche libérale, Ádám Gellért, qui est juriste et non historien. Je pense que c’est une très bonne chose qu’il y ait aujourd’hui des débats en Hongrie, des querelles sur notre passé, des débats animés venant de la gauche, de la droite. Tout le monde a son propre forum, des opinions différentes sont exprimées, et nous sommes ouverts à ces opinions. En tant qu’historien conservateur, mon livre a pu être publié par un grand éditeur mainstream. Cela montre un fonctionnement sain.

Photo : László Bernát Veszprémy

 

Je pense que l’époque Horthy — ne parlons même pas de la Seconde guerre mondiale ni de la période de l’Holocauste, mais seulement de l’époque Horthy —, divise toujours. Les Hongrois peuvent encore avoir des débats vifs et passionnés sur ce qu’ils pensent de Horthy, de la terreur rouge ou de la terreur blanche. Certains disent que c’est du passé, que c’est oublié, et que ceux pour qui c’est important ne vivent plus. Ce n’est pas vrai du tout.

Lorsque je vais en province pour faire des recherches, donner des conférences, je constate que c’est toujours important pour des habitants de Sopron ou de Pécs par exemple. Pour eux, c’est très concret : ils montrent des photos avec leurs pères, leurs grand-pères dessus, des proches qui étaient là, font signe. Ces choses ont toujours une influence sur leur vie. L’intérêt pour cette période est encore très grand.

Yann Caspar : Dans votre livre, vous abordez des points qui peuvent difficilement être critiqués et sont susceptibles de déranger toutes les tendances politiques. Par exemple qu’il existait des personnalités publiques ayant soutenu Károlyi ou la Commune — peut-être pas activement — et qui ensuite ont été des fidèles soutiens du régime Horthy.

László Bernát Veszprémy : Et pas n’importe qui, Horthy lui-même a proposé ses services au ministère de la Guerre sous Károlyi, qui n’en a pas voulu.

Yann Caspar : Oui. Comment expliquez-vous ce phénomène ? Si je me souviens bien, dans votre livre, vous dites que c’est en raison de la petite taille de la Hongrie et dû au fait que son élite politique ne peut être remplacée dans son intégralité.

László Bernát Veszprémy : Les deux, oui. Il y a certainement de ça. Cela m’a semblé très clair lorsque j’ai fait des recherches sur la République des Conseils et la Garde rouge. Je suis alors tombé sur des rapports internes dans lesquels les communistes se plaignaient de l’absence de véritable Garde rouge dans les campagnes, où la Gendarmerie royale avait simplement été rebaptisée Garde rouge et qu’il n’y avait pas de communistes en son sein. Puis j’ai constaté la même chose avec l’occupation allemande. Des personnes qui étaient anti-nazies ont conservé leur poste dans l’administration. Il était impossible de tous les virer. Mais nous pouvons aussi parler de la période ayant suivi la Seconde guerre mondiale. Lors de mes recherches sur les tribunaux populaires, j’ai été confronté au fait que, parfois, certains juges du peuple n’étaient pas seulement juges sous Horthy, mais aussi sous Szálasi. Il faut donc d’abord constater qu’il n’est pas possible de virer tout le monde.

Ensuite, il existe cette critique selon laquelle il s’agissait de renégats, d’hommes ayant retourné leur veste. Il y en avait sûrement, mais je ne pense pas que cela concernait la majorité d’entre eux.

Il faut tout de même rappeler que la tradition de la droite hongroise était déjà fortement antilibérale et anticapitaliste à cette époque, et que les voix anti-Habsbourg étaient très fortes. En fait, pour les Hongrois de droite à l’époque, il aurait même pu sembler au début que cette révolution des Asters  de 1918 n’était pas une si mauvaise chose que cela.

Même si la social-démocratie et les radicaux bourgeois y étaient fortement impliqués, ils se disaient qu’en contre-partie, ils pourraient se débarrasser des Habsbourg et mettre fin au capitalisme de marché. Ce dernier était évoqué par beaucoup comme étant la mort du peuple hongrois. D’une certaine manière, la révolution signifiait aussi la fin du libéralisme de l’époque du Dualisme, car les sociaux-démocrates et les radicaux étaient anti-libéraux sur de nombreux points. Par exemple en ce qui concerne la liberté d’entreprendre, la propriété privée ou les droits des travailleurs. Sur ces questions, ils ne représentaient pas le point de vue libéral, c’est certain.

Yann Caspar : Vous avez mentionné la terreur blanche. De nos jours, nous n’en parlons peut-être pas autant que d’autres événements historiques. D’ailleurs, je connais beaucoup de personnes ayant vécu sous le communisme en Hongrie, et elles me disent souvent qu’à l’école la terreur blanche était alors un sujet très évoqué. Ils étaient peu réceptifs à ce sujet et pensaient tout bas « Qu’est-ce que cette terreur blanche par rapport à ce que les communistes ont fait en Hongrie au XXième siècle ? » Dans votre livre, vous ne dépeignez pas l’image la plus répandue sur la terreur blanche. Il me semble que vous essayiez bien plus de dépeindre l’ambiance de toute une époque. Bien sûr, il y a eu des atrocités contre les Juifs pendant la terreur blanche, mais aussi contre d’autres groupes. Ai-je tort ? En quoi a consisté exactement la terreur blanche ?

László Bernát Veszprémy : Je vais vous décevoir un peu parce que je vais commencer par un autre bout. Tout d’abord, une chose très difficile à comprendre : avant la Première Guerre mondiale déjà, la violence était très présente. À un niveau que nous ne pouvons pas imaginer aujourd’hui.

Il était tout à fait courant de parler de violence et de guerre, d’interpréter la société en termes guerriers ou de concepts biologiques. Cela était fait à droite et à gauche. Puis entre la guerre et l’effondrement, et après pendant la situation de guerre civile et la terreur rouge, le débats publics était particulièrement violents. Il faut comprendre que le pays était dans une situation faisant suite à une très forte vague de violences.

De nombreux vétérans étaient revenus du front et étaient des tueurs entraînés. Il ne s’agit pas d’un jugement de valeur moral, mais d’un fait. Il y avait donc beaucoup d’hommes dans le pays qui avaient une grande expérience militaire.

Il est également important de noter que pendant la révolution des Asters, les autorités ont mené une répression très brutale, avec énormément de victimes, contre les rébellions paysannes. Cette répression a été suivie par la terreur rouge, qui a également fait de nombreuses victimes, puis par l’occupation roumaine, qui a fait un nombre extrêmement élevé de morts, plus d’un millier, des meurtres de masse, des massacres, des pogroms, des viols, des pillages — un sujet totalement oublié. Puis est venue la terreur blanche. Je ne veux pas laver la terreur blanche, mais il faut comprendre qu’elle fait partie d’une vague de violences. Ensuite il faut comprendre — et cela vous l’avez très bien résumé — l’ambiance de l’époque, qui inclut bien sûr de l’antisémitisme — il y avait évidemment une composante antisémite à la terreur blanche — et aussi une sorte de phobie à l’endroit la classe ouvrière. À cette époque, la classe ouvrière était encore un groupe social existant et tangible en Hongrie, et il existait également des antipathies à son égard. Il y avait aussi de l’anti-serbisme, de l’anti-slavisme dans les régions du sud, ou de l’anti-germanisme dans l’ouest de la Hongrie.

La terreur blanche ne doit pas être vue comme une entité hermétiquement fermée, comme quelque chose à traiter de manière isolée.

Les Serbes ont commis des atrocités à cette époque, des atrocités très brutales, faisant des choses bien plus brutales dans la région de Baranya que les troupes hongroises. Viols, meurtres, pillages, destructions inimaginables.

Yann Caspar : Rappelons que Pécs était alors sous occupation…

László Bernát Veszprémy : Pécs était sous occupation serbe depuis la fin de la guerre, oui. Et n’oublions pas la Gendarmerie autrichienne. Je n’ai pas encore découvert de meurtres sur ce point, mais les Autrichiens ont procédé à des enlèvements de personnalités aux sentiments hongrois, des membres du parlement, et les ont torturés sur le territoire autrichien. Donc la partie autrichienne a aussi commis des atrocités. Il faut savoir qu’en 1921, la Hongrie n’était pas encore totalement formée, que ce soit au niveau de ses frontières ou de son système politique. Une véritable situation de guerre civile avec des émeutes aux frontières s’était développée en raison des tentatives de restaurer le roi Charles IV. Il y a eu des atrocités de la même manière dans l’ouest de la Hongrie, mais aussi la réclamation de la région de Baranya-Baja, et avant cela l’occupation serbe. À cette époque, il y avait donc encore de l’incertitude, du chaos, des situations transitoires et de la violence dans certaines parties du pays.

Yann Caspar : Quelque part dans votre livre, vous avez écrit qu’à part l’antisémitisme, seul le sentiment anti-français était plus fort à cette époque. Je ne parle pas de violence physique, bien sûr, car il n’y avait pratiquement pas de Français en Hongrie à cette époque. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?

László Bernát Veszprémy : Cela est évidemment lié à Trianon. Les deux pays se sont opposés lors de la Première guerre mondiale. Puis il y a eu beaucoup de littérature anti-française, de publications et d’articles de presse.

Il était de bon ton de critiquer non seulement les Français, mais aussi l’Occident en général, et l’américanisation qui était déjà en cours.

Les Britanniques aimaient les Hongrois, mais des critiques étaient aussi formulées à leur encontre. La critique la plus vogue était celle contre les Français. Il y a cette petite anecdote, tirée d’un article de presse. C’est celle de l’ancien Premier ministre contre-révolutionnaire István Friedrich qui lors d’une réunion s’adresse à son auditoire : « Et je n’ai même pas mentionné notre plus grand ennemi », et la foule se met à scander « Les Juifs, les Juifs, dehors ! », puis l’orateur « Non, non, je voulais parler des Français ».

Yann Caspar : Mais Horthy en tant que personne était anti-allemand, et plutôt francophile et pro-britannique…

László Bernát Veszprémy : La personnalité de Horthy est une question très intéressante. Pendant très longtemps, dans la littérature historique hongroise, il était décrit comme un marin stupide et facilement influençable. On a ignoré qu’il était polyglotte, instruit, un brin artiste et qu’il avait beaucoup voyagé. Ce n’était pas un homme qui n’aurait pas connu la haute culture ou la haute politique. Il est très important de voir cela dans sa personnalité. Et il est également très important de constater qu’il était un homme politique de talent, si l’on considère que le talent politique consiste à s ‘emparer et à conserver le pouvoir pendant très longtemps. Beaucoup de gens prétendent qu’il ne connaissait pas la politique. Je ne pense pas que ce soit vrai du tout. Si vous regardez la façon dont il a monté les uns contre les autres les légitimistes pro-Habsbourg et les anti-Habsbourg partisans d’une monarchie élective, comment il a fait croire au camp pro-Habsbourg qu’il était pro-Habsbourg et qu’il allait laisser revenir Charles IV, et ensuite comment il a demandé l’aide de l’Entente en publiant des déclarations contre les différentes restaurations des Habsbourg.

Horthy n’est donc pas du tout un homme politique sans talent, c’est en fait tout le contraire. Il ne s’agit pas d’un jugement moral de ma part, mais simplement d’affirmer objectivement, à la lumière des sources, qu’il était très bon en politique.

Yann Caspar : Faisons maintenant un bond en avant de quelques décennies. Depuis 2010, la perception du régime de Horthy par la classe politique a clairement changé — ne parlons pas de 1944, cela nous mènerait trop loin. Le discours public sur le régime Horthy est devenu plus positif depuis quelques années. Plus positif qu’avant 2010, c’est certain. En même temps, le gouvernement hongrois est peut-être le gouvernement le plus philosémite de toute l’Europe, et le plus pro-Israël. Comment expliquez-vous cela ?

László Bernát Veszprémy : Je pense qu’il faut prendre en considération le fait que l’attitude de l’Europe de l’Ouest envers Israël n’est pas une attitude juste, équilibrée et rationnelle. Si vous regardez combien de fois Israël est condamné à l’ONU, combien de fois l’Europe de l’Ouest et du Nord — sans parler des pays du tiers-monde — s’accordent sur ces condamnations, et combien de fois sont condamnés par exemple l’Iran, la Corée du Nord ou le Venezuela, alors vous verrez une grande disproportion. Des pays votent contre Israël tout le temps. À force, cela crée une sorte d’atmosphère de chasse aux sorcières. En revanche, les véritables dictatures ne sont pas critiquées.

L’attitude du gouvernement hongrois en matière de politique étrangère est pragmatique et juste. Bien sûr, chaque pays a le droit de prendre ses propres décisions de manière souveraine, et Israël doit donc être traité de la même façon que les autres pays. La Hongrie n’a tout simplement pas de jugement biaisé concernant Israël, comme peuvent en avoir de nombreux responsables de la politique étrangère des pays d’Europe de l’Ouest et du Nord. Et, bien sûr, nous devons aussi prendre en compte, comme les hommes politiques et les dirigeants hongrois l’ont fait à maintes reprises, qu’Israël est la clé de la stabilité au Moyen-Orient. Si Israël devait tomber, cela aurait des conséquences très graves pour l’Europe.

Yann Caspar : Dans votre livre « Immigration et antisémitisme en Occident », également paru l’année dernière, vous documentez bien que le fait que l’antisémitisme en Occident aujourd’hui provient surtout de l’immigration musulmane. Il est clair que le type d’antisémitisme que l’on a pu connaître aux XIXième et XXième siècles n’existe plus vraiment. Vous avez analysé un nouveau type d’antisémitisme. L’immigration extra-européenne représentera d’énormes défis pour notre continent dans les années et décennies à venir. Mais pensez-vous qu’il soit possible de confondre le sujet de l’islam et celui de l’immigration ? Beaucoup de ces migrants viendront de régions qui ne sont pas musulmanes…

László Bernát Veszprémy : Il convient de réfléchir au fait que ces stéréotypes antisémites n’existent pas seulement chez les Arabes musulmans, mais aussi chez les Arabes chrétiens. Cette question ne peut donc être réduite simplement à l’Islam. Il y a eu des cas où, par exemple, des Arabes d’origine chrétienne sont arrivés en Europe et ont ensuite montré les mêmes stéréotypes antisémites que les Arabes musulmans. C’est une possibilité. Mais dans l’ensemble,

si on prend la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord), où la religion dominante est bien-sûr l’Islam, et qu’on s’intéresse à ses indicateurs démographiques, on s’aperçoit que d’ici 2050, la population de cette région aura augmenté de l’équivalent de la population européenne actuelle.

Nous allons voir beaucoup d’immigration musulmane par ici. Même si nous sommes très optimistes et disons que seulement dix pour cent de ces personnes émigrent — 40 millions de personnes —, cela aura des conséquences imprévisibles pour l’Europe, à la fois sur le plan social, culturel et politique.

Yann Caspar : Vous avez récemment publié un article dans la revue American Conservative dans lequel vous émettez l’hypothèse selon laquelle, dans quelques années, on se souviendra de Viktor Orbán comme d’un homme politique libéral. Pourquoi ? Parce que des personnalités beaucoup plus radicales pourraient prendre le pouvoir en Europe. D’ailleurs, vous concluez votre article en disant que le scénario envisagé par Michel Houellebecq dans Soumission — un musulman à la tête de la France — pourrait se réaliser. Fiction ou réalité

László Bernát Veszprémy : Je pense que c’est possible et qu’il y aura évidemment des dirigeants politiques à un niveau élevé d’origine immigrée. Cela peut débuter de manière classique : il est évident que chaque communauté aspire à un certain niveau de représentation politique. L’une des options est que les musulmans forment leurs propres partis. Nous pouvons en voir un exemple parfait, le DENK aux Pays-Bas, qui est présent au parlement. Ce n’est pas un parti déterminant, mais il existe et, dans un sens, il est l’exemple du parti d’immigrés le plus abouti, qui a su maintenir sa position à l’occasion de plusieurs échéances électorales. Ce parti, si on se penche sur son programme, est très à gauche : il a des positions woke, mène une guerre culturelle et est bien-sûr antisémite. Il se positionne contre le privilège blanc aux Pays-Bas et protestent contre des noms de rue blancs. C’est un exemple de tendance politique.

À mon sens, il existe une stratégie encore plus aboutie. Il s’agit du détournement des partis traditionnels de gauche ou verts. Un bon exemple de cela est ce qui se passe avec le parti travailliste britannique, dont le leader a été pendant très longtemps une personne d’origine britannique, Jeremy Corbyn. Autour de lui, vous aviez des personnalités politiques issues de milieux très musulmans ou venant du tiers-monde qui faisaient preuve d’un antisémitisme des plus extrême. Il existe un autre bon exemple, c’est celui d’Ilhan Omar aux États-Unis, qui est une femme politique ayant beaucoup de succès, réélue à plusieurs reprises.

Photo : László Bernát Veszprémy

 

Le rôle des femmes est très important dans ce genre de stratégie politique. Dépassé un certain seuil, cette contradiction devra être levée par les partis de gauche : les candidats musulmans, les candidats immigrés d’origine arabe, très souvent, ne défendent pas des valeurs progressistes. Qu’il s’agisse des droits des homosexuels, du philosémitisme, de la liberté d’expression, de la démocratie ou des droits des transgenres. Ils représentent très souvent une réaction des plus durs à ces sujets. Comment surmonter ce problème ? C’est là qu’interviennent des personnalités comme Ihlan Omar, qui, d’une part, est une femme, et, d’autre part, déroule une rhétorique progressiste et vient d’un milieu immigré, tout en embrassant fièrement sa foi islamique. Ce sont ce genre de figures qui deviendront très importantes pour la gauche occidentale à l’avenir. Les femmes musulmanes. Des études existent à ce sujet dans certaines élections : des partis de gauche présentent volontairement des femmes musulmanes parce qu’elles peuvent vendre leur féminité comme un programme féministe, alors que les électeurs issus de l’immigration sont sensibles au fait que ces candidates sont musulmanes.

Yann Caspar : Pensez-vous que cette tendance peut atteindre l’Europe centrale ? L’Europe centrale représente-t-elle un modèle différent de l’Europe de l’Ouest, ou a-t-elle seulement dix ou quinze ans de retard ?

László Bernát Veszprémy : Je ne pense pas qu’il y aura une immigration musulmane très importante en Europe centrale.

À mon avis, les nations d’Europe centrale et orientale se rangeront toutes tôt ou tard, dans une certaine mesure, derrière le modèle hongrois.

Nous avons bien compris ce qui se passait en Europe de l’Ouest, et nous n’avons pas envie de prendre ce chemin. Le cas de la Slovaquie le montre très bien : pendant très longtemps, c’est la gauche qui était contre l’immigration, puis elle a été remplacée par la droite, cette dernière n’ayant pas plus laissé rentrer d’immigrés. Donc, peu importe qui dirigeait la Slovaquie, tout le monde rejetait cet extrémisme. Je ne pense pas du tout que l’idée de remplacer notre société soit populaire en Europe centrale et orientale.