« Le cœur de l’Europe bat désormais en Europe centrale. C’est une grande opportunité et une responsabilité historique, européenne », affirme Mihály Rosonczy-Kovács, directeur pour les affaires étrangères du groupe de réflexion hongrois Nézőpont Intézet.
Un entretien publié en anglais sur Sovereignty.pl. Pour voir la version intégrale en anglais sur Sovereignty.pl, cliquez ici.
Piotr Włoczyk : Est-il possible d’empêcher la poursuite de la fédéralisation de l’UE, c’est-à-dire la transformation de l’UE en un super-État ?
Mihály Rosonczy-Kovács : Les traités, que les États membres ont signés et ratifiés, définissent clairement les compétences des États membres et les compétences exclusives de l’UE. Cela pourrait suffire à clore le problème : « pactas sunt servanda », les traités doivent être respectés. On ne peut les changer qu’à l’unanimité. La Hongrie est ouverte à la négociation, c’est-à-dire à une réforme de l’UE dans le sens de l’intention initiale des fondateurs. Cependant, on constate que la gauche européenne tente de donner à l’interprétation des Traités et de la Charte des droits fondamentaux un caractère non seulement juridique mais aussi politique. C’est pourquoi il ne suffit plus de combattre ces tendances au niveau juridique, puisque les vassaux des forces mondialistes qui détruisent la coopération européenne transfèrent les débats juridiques au niveau politique. En outre, ils utilisent leur domination dans les médias pour présenter les opinions de la gauche européenne comme étant l’unique opinion européenne. Il est toutefois possible de les contrer. La première chose à faire est de créer une base médiatique solide qui garantisse la liberté d’expression et sur laquelle les débats politiques peuvent s’appuyer. Ainsi, en Hongrie, il a été possible de créer une situation dans laquelle les voix souverainistes et mondialistes sont entendues à un degré similaire dans le discours public. C’est aussi la tâche à accomplir en Europe occidentale.
Piotr Włoczyk : Que peuvent faire les pays du V4 à ce sujet ?
Mihály Rosonczy-Kovács : L’Europe occidentale semble parfois en état de fatigue. Elle semble avoir perdu sa motivation et sa conviction que le rêve européen vaut la peine d’être défendu, que cela vaut la peine de vivre avec fierté ses identités et cultures nationales et aussi d’œuvrer pour que l’économie européenne ne perde pas davantage de terrain et qu’elle puisse même, en coopération avec d’autres civilisations, retrouver une place meilleure qu’aujourd’hui dans le monde. C’est désormais en Europe centrale, dont le V4 est le principal pilier, que l’on trouve de la motivation, de la fraîcheur et de la fierté européenne. Il s’agit d’une région où les gouvernements ne se contentent pas de répondre aux défis de ces dernières années par des solutions importées et imposées de l’extérieur. Les succès de la Pologne et de la Hongrie montrent que cette approche est bonne non seulement pour préserver notre identité, mais aussi pour maintenir des économies fortes.
La droite ouest-européenne ne peut se renforcer que par elle-même, mais nous pouvons être pour elle source d’inspiration. Elle peut puiser auprès de nous la conviction qu’il faut défendre les familles, le mode de vie européen, le christianisme, la liberté d’expression et la démocratie. Le cœur de l’Europe bat désormais en Europe centrale. C’est une grande opportunité et une responsabilité historique, européenne.
Piotr Włoczyk : Comment faire en sorte que les Allemands et les Français écoutent la voix de notre partie de l’Europe ?
Mihály Rosonczy-Kovács : Il convient de noter que l’Allemagne est le partenaire économique le plus important du V4. En 2021, le commerce extérieur entre le V4 et l’Allemagne représentait deux fois celui entre l’Allemagne et la France et une fois et demie celui entre l’Allemagne et la Chine. Cependant, on a souvent l’impression que, au moins sur le plan politique, la voix de ce nouveau communisme qui gagne du terrain dans certaines parties des États-Unis se propage également par le biais de l’Allemagne. Dans de nombreux cas, par exemple dans les déclarations du chancelier Olaf Scholz, les Allemands tentent d’imposer aux autres des idéologies importées d’outre-Atlantique avec la même attitude arrogante et donneuse de leçons qui a été à l’origine de tant de tragédies dans le passé. Dans le même temps, ils semblent avoir oublié les éléments du grand esprit allemand et de la culture allemande auxquels notre continent doit tant. Parallèlement, nous constatons que le gouvernement allemand n’hésite pas à demander à s’exonérer des règles de l’UE quand il s’agit de soutenir sa propre économie. La combinaison de ces deux attitudes – unification idéologique et politiques économiques protectionnistes – fait que le super-État européen émergent favorise finalement les Allemands.
Il s’ensuit que la coopération politique avec les Français a désormais plus de chances de donner des résultats contre le fédéralisme, qui vise à abolir les États-nations. Après le Brexit, un dialogue plus fort entre le V4 et la France est nécessaire pour maintenir l’équilibre des forces en Europe. Nous constatons que le peuple français montre une volonté beaucoup plus grande de défendre son identité nationale que le peuple allemand. L’arrivée au pouvoir de Giorgia Meloni pourrait également faire entendre une voix italienne dans la politique européenne. Une voix italienne qui combine l’expérience de l’Europe centrale et occidentale.
L’essence de la pensée souveraine est qu’il vaut bien mieux débattre, parvenir à un compromis après une confrontation honnête des intérêts et des arguments, que de prétendre à l’unité en invoquant de fausses idéologies masquant les intérêts des grandes puissances. L’approche des élections européennes et le processus de partage des postes qui s’ensuivra peuvent renforcer le pouvoir de négociation du V4, ce qui pourrait rendre les points de vue centre-européens plus visibles.
Piotr Włoczyk : Peut-être l’avenir de l’UE réside-t-il dans une division en deux blocs, avec une partie occidentale plus intégrée sur un mode fédéral et une partie orientale, comprenant les pays du V4, plus décentralisée ? Un tel scénario est-il réaliste ?
Mihály Rosonczy-Kovács : La coopération régionale est importante au sein de l’UE, et le V4 en est un bon exemple. En même temps, il est dans notre intérêt de maintenir l’unité de l’Europe. Il est important de pouvoir poursuivre les objectifs initiaux de l’UE, à savoir se concentrer sur les avantages économiques et promouvoir les véritables valeurs et intérêts européens. Voyez comment la machine de désinformation mondialiste, qui tente de détruire la coopération polono-hongroise, agit de même dans d’autres parties de l’Europe, par exemple dans le débat franco-italien sur les migrants et sa couverture médiatique. Personne hors d’Europe n’a intérêt à ce que l’Europe soit forte. Personne ne peut arrêter le déclin global de l’Europe à notre place. Toutefois, cela nécessiterait une coopération fondée sur de véritables voix européennes et sur le respect mutuel.
Piotr Włoczyk : Comment évaluez-vous le rôle de la Pologne au sein du V4 ? Combien dépend aujourd’hui de Varsovie ? Notre pays peut-il se sentir comme le leader de fait de cette partie de l’UE ?
Mihály Rosonczy-Kovács : Il ne fait aucun doute que la Pologne doit être le porte-drapeau du V4. Compte tenu de sa taille, la Pologne peut réellement donner du poids au Groupe de Visegrad, tandis que Budapest, qui est la ville la plus engagée dans la coopération en Europe centrale, peut apporter beaucoup à ce groupe grâce à son expérience politique. Non seulement les Hongrois n’y voient pas d’inconvénient, mais ils sont même heureux quand la Pologne prend la tête du V4. Il serait bon que les Polonais aient suffisamment confiance en eux-mêmes et en la région pour croire qu’ensemble nous pouvons développer une structure économique et de défense au sein de l’OTAN, qui mettrait fin à la tendance des grandes puissances à vouloir toujours contrôler l’Europe centrale. Grâce au leadership polonais, nous pouvons faire en sorte que la région ne soit ni annexée ni contournée. C’est pourquoi il est important de montrer, par exemple, que le V4 est compatible avec les objectifs de l’Initiative des Trois Mers comprenant désormais l’Ukraine, un format privilégié par les Polonais. À condition, bien sûr, que l’Initiative des Trois Mers ne soit pas sous l’influence de Washington, Moscou ou Berlin, mais qu’elle soit le fruit de la coopération de treize pays. Le V4 peut également constituer une excellente plateforme préparatoire aux négociations de l’Initiative des Trois Mers, car la coopération à quatre est beaucoup plus facile à coordonner que la coopération à douze plus un.
(…)
—
Traduit par le Visegrád Post