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Un génocide oublié : l’extermination des Polonais de Volhynie par les Ukrainiens

Sovereignty.pl est un site d'opinion en langue anglaise avec des chroniqueurs et commentateurs conservateurs polonais qui écrivent sur les grands sujets alimentant le débat public dans leur pays.

Temps de lecture : 6 minutes

« Au total, nous parlons de 120000 à 150000 victimes des massacres en Volhynie et en Galicie orientale, dans environ quatre mille localités. Or en trente ans de recherches et d’exhumations, nous avons pu retrouver environ 800 victimes… », explique Leon Popek, docteur en histoire travaillant à l’Institut de la mémoire nationale (IPN). Leon Popek s’occupe de la recherche les restes des victimes des massacres en Volhynie et en Galicie orientale, deux régions se trouvant aujourd’hui dans l’ouest de l’Ukraine et le sud-est de la Pologne, pendant la Seconde Guerre mondiale.

Entretien publié originellement en polonais dans le numéro de juillet du mensuel polonais Historia Do Rzeczy et traduit en anglais sur Sovereignty.pl. Pour voir la version intégrale en anglais sur Sovereignty.pl, cliquez ici.

 

Piotr Włoczyk : Combien de charniers avec des victimes polonaises des nationalistes ukrainiens ont-ils été découverts à ce jour ?

Leon Popek : Très peu, malheureusement. Une douzaine au total. Nous en avons trouvé neuf à Ostrówki et Wola Ostrowiecka, où se déroula l’un des pires massacres de la population polonaise pendant la boucherie de Volhynie. Un charnier a été découvert à Gaj et quelques-uns à Poryck. C’est tout.

Piotr Włoczyk : Combien y a-t-il de charniers en tout ?

Leon Popek : Il n’y a pas de statistiques sûres, mais les estimations donnent une idée de la tâche à accomplir. Au total, on peut parler de quelque 10 000 charniers dans lesquels nos compatriotes ont été jetés par leurs assassins ukrainiens. Ces personnes attendent toujours d’être enterrées dignement.

Piotr Włoczyk : En fait, 80 ans après les massacres, l’État polonais n’a pas encore commencé à rechercher sérieusement les victimes de ce génocide…

Leon Popek : En effet. Il y a des localités où les bourreaux ont creusé une grande fosse commune, mais il y a aussi des endroits, comme Kąty dans le district de Luboml (Liouboml), où les victimes ont été jetées dans des puits ou des maisons en flammes et où chaque ferme a été transformée en charnier.

La tâche qui nous attend est énorme, comme l’était l’ampleur de ce génocide. Quelque 60000 Polonais d’environ 2500 localités ont été massacrés en Volhynie. Les crimes se sont ensuite étendus à l’est de la Petite-Pologne, c’est-à-dire aux provinces de Lwów (Lviv), Stanisławów et Tarnopol (Ternopil). Mais des Polonais sont également morts des mains des nationalistes ukrainiens en Polésie et dans des territoires aujourd’hui situés en Pologne, à Tomaszów, Chełm et Przemyśl. Au total, nous parlons donc de 120000 à 150000 victimes des massacres en Volhynie et en Galicie orientale, dans environ quatre mille localités. Or en trente ans de recherches et d’exhumations, nous avons pu retrouver environ 800 victimes…

Exhumation de 33 victimes polonaises d’une fosse commune à Ostrówki, en 2015. Photo d’archive du Dr Leon Popek

Sur les 60000 Polonais tués en Volhynie, moins de 3000 ont eu droit à un enterrement chrétien. Il s’agit de situations exceptionnelles où les familles ont pu enterrer leurs proches en présence d’un prêtre. En d’autres termes, seules 5 % des victimes de Volhynie ont été enterrées dignement… À l’heure actuelle, on trouve des signes de commémoration des victimes polonaises dans seulement 200 des localités attaquées. Et ces signes ne sont pas toujours là où se trouvent les victimes. Il s’agit parfois de croix symboliques au bord d’une route près d’un village qui a été irrémédiablement détruit et dont il ne reste aujourd’hui aucune trace.

(…)

Piotr Włoczyk : Vous avez malgré tout réussi à enterrer une partie de votre propre famille assassinée par les nationalistes ukrainiens.

Leon Popek : Oui, dans le charnier d’Ostrówki où nous avons trouvé les squelettes de 243 personnes, principalement des hommes, je suis tombé sur une croix que portait mon grand-père, Jan Szwed. Lorsque ma mère a vu cette croix, elle a tout de suite confirmé que c’était celle de son père. Par ailleurs, en 2011, nous avons réussi à retrouver un charnier dans cet endroit que les Polonais appellent le « Champ des Cadavres », où ma tante et ses fils en bas âge, Bolesław et Janek, ont très certainement été enterrés. C’était un crime horrible, et ce n’est que quelques jours plus tard que l’UPA, l’Armée insurrectionnelle ukrainienne, a ordonné l’enterrement des corps. Les restes humains ont été dispersés par les animaux, puis, pendant des années, les charrues ont dispersé les ossements. Après la guerre, il y a d’abord eu un champ de kolkhoze à cet endroit, puis une forêt y a été plantée. Les restes des personnes assassinées que nous avons trouvés étaient en très mauvais état, et il ne restait pratiquement rien des plus jeunes enfants, si ce n’est des contours imprimés en négatif dans le sable. Quand nous essayions d’extraire ces formes enfantines, elles se réduisaient en petits morceaux sous nos yeux….

Une chose très déplaisante s’est alors produite. La partie ukrainienne nous a reproché que les chercheurs polonais brisaient les os pour gonfler le nombre de victimes… Pourtant, comme je l’ai dit, les os des victimes du « Champ des Cadavres » étaient en très mauvais état et nous les extrayions déjà brisés du sol. Malheureusement, ces accusations n’avaient rien d’exceptionnel. Nous avons entendu plus d’une fois des historiens et journalistes ukrainiens que nous avons rencontrés en chemin dire qu’il ne pouvait pas y avoir autant de victimes, ou que c’était le NKVD soviétique, et pas l’UPA, qui était responsable. Il y en avait même pour dire que les Polonais n’auraient pas dû s’installer là…

Piotr Włoczyk : Combien d’autres victimes polonaises d’Ostrówki et de Wola Ostrowiecka sont-elles en attente d’exhumation ?

Leon Popek : Nous sommes encore à la recherche de 380 victimes. À ce jour, trois exhumations ont permis de récupérer les restes de 680 personnes des charniers de ces deux villages. Il nous reste encore à fouiller une trentaine d’endroits mentionnés par des témoins. Dans la seule forge d’Edward Balanda, il pourrait y avoir environ 25 victimes.

Piotr Włoczyk : Pourquoi l’extermination d’Ostrówki et de Wola Ostrowiecka mérite-t-elle une place particulière dans la mémoire des Polonais ?

Leon Popek : Parce qu’il s’agit de l’un des plus grands crimes commis lors du génocide des Polonais en Volhynie. Les 29 et 30 août 1943, l’UPA a attaqué tous les villages du district de Luboml où vivaient des Polonais. Les bandéristes ont alors tué environ 2500 personnes dans plus de 30 villages. Rien qu’à Ostrówki et Wola Ostrowiecka, deux villages voisins étroitement liés, quelque 1050 Polonais ont été assassinés en quelques heures. Il y a eu au moins 474 victimes à Ostrówki et au moins 570 à Wola Ostrowiecka. Les Ukrainiens ont ainsi exterminé environ 70% des habitants de ces deux villages. Plus de 100 familles y ont été massacrées dans leur intégralité…

Restes de 80 victimes polonaises de Kolonia Gaj, lors d’une exhumation en 2013. Photo d’archive du Dr Leon Popek

Piotr Włoczyk : Comme nous l’avons évoqué, décrire avec précision l’extermination d’Ostrówki et de Wola Ostrowiecka, ainsi que retrouver et enterrer les victimes de ce crime, n’est pas uniquement un but professionnel pour vous…

Leon Popek : C’est vrai. Je fais ce travail par sens du devoir envers les membres de ma famille assassinés par les bandéristes. Le 30 août 1943, lors de l’attaque d’Ostrówki et de Wola Ostrowiecka, plus de 20 membres de ma famille ont été massacrés, dont mon grand-père maternel, Jan Szwed.

Cela peut paraître incroyable, mais le jour même où ma mère, âgée de 22 ans, a miraculeusement survécu au massacre de Wola Ostrowiecka, mon père a échappé à l’extermination de son village natal de Gaj, dans le district de Kowel (Kovel). Les deux villages étaient distants d’une centaine de kilomètres; aujourd’hui, il n’en reste pratiquement aucune trace. À Gaj, mon grand-père paternel, Mikołaj Popek, a été tué, ainsi que ses quatre filles, c’est-à-dire mes tantes.

Depuis mon plus jeune âge, j’écoutais les récits de l’extermination de Volhynie. Les membres de ma famille qui ont survécu aux massacres posaient souvent la même question: « Pourquoi est-ce qu’ils nous tuaient? Nous ne leur avions pourtant fait aucun mal. » C’est donc tout naturellement que j’ai choisi d’étudier l’histoire à l’université catholique de Lublin. En 1978, alors que j’étais encore à l’université, à l’instigation du professeur Jerzy Kłoczowski j’ai commencé à recueillir les récits de gens qui avaient survécu aux tueries. Ces histoires n’étaient pas faciles à raconter et les conversations se déroulaient souvent dans les larmes et la souffrance, mais j’expliquais à mes interlocuteurs que leurs témoignages étaient très importants pour l’histoire et la postérité.

(…)

 

Version intégrale (en anglais) sur Sovereignty.pl.

Traduit du polonais par le Visegrád Post

 

L’historien Leon Popek est directeur adjoint du Bureau pour la commémoration des luttes et des martyrs de l’IPN et il est l’auteur de nombreux écrits sur les massacres de Volhynie, dont „Ostrówki. Wołyńskie ludobójstwo” (Ostrówki. Un génocide volhynien). Depuis plus de 30 ans, il recherche les restes des victimes du génocide commis contre les Polonais par les nationalistes ukrainiens.