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Temps de lecture : 7 minutes

Par Marie Fouque.

Ukraine – Le 26 avril 1986 dans la centrale Lénine, à  15 km de Tchernobyl en Ukraine, survient la plus grande catastrophe nucléaire de l’histoire. Une augmentation incontrôlée de la puissance du réacteur 4 provoque une explosion. Il s’agit du premier accident classé niveau 7, le plus haut niveau, sur l’échelle internationale des événements nucléaires (INES), le second étant Fukushima, le 11 mars 2011.

La centrale se situe à 110km de Kiev, près de la frontière avec la Biélorussie. Elle a été mise en service en 1977, et est dirigée par Viktor Petrovitch Brioukhanov. Il n’est pas spécialiste du nucléaire, mais est nommé pour son « volontarisme militant, qui consiste d’abord et avant tout à remplir et dépasser le plan de production ». Après la catastrophe, il sera condamné à 10 ans de prison et sera exclu du Parti communiste.

Il n’y a pas eu d’explosion du réacteur nucléaire à proprement parler, mais un accident est survenu, lors d’un test de l’alimentation électrique. Suite à quoi un feu se déclare. Les pompiers sont appelés, ils viennent tout de suite de Prypiat, à 3km de la centrale. Croyant à un simple incendie, ils viennent sans équipement particulier, et mourront pour la plupart irradiés.

Plus de mille pilotes d’hélicoptère font des allées et venues, s’exposant aux radiations, afin de remplir le réacteur de 30 tonnes de plomb, de sable et d’argile, dans le trou de 10 mètres de diamètre à une hauteur de 200 mètres.

La population alentour n’est pas informée des événements immédiatement. Gorbatchev lui-même ne sera alerté que le lendemain. L’administration créé une opacité totale sur l’évènement, Gorbatchev fait appel au KGB pour obtenir des informations. Ailleurs dans le monde, les nouvelles seront diffusées au compte-goutte.

L’évacuation de la population proche commence trente heures après l’accident. Environ 45 000 personnes sont évacuées de Prypiat par l’armée, n’emportant avec elles que le strict minimum, pensant ne quitter leur foyer que pour deux ou trois jours.

Quatre zones de contamination radioactive décroissante seront définies.

Au matin du 28 avril, dans la centrale de Forsmark en Suède, un niveau de radioactivité anormal est détecté et entraîne l’évacuation du site. Mais le problème est externe et vient de l’est, à 1 100 kilomètres de là.

Dans les jours qui ont suivi l’explosion, il faut fermer des vannes qui sont submergées dans des salles qui se remplissent d’eau, sous risque du déclenchement d’un accident plus grave encore. Trois plongeurs se sacrifient, remplissent leur tâche et mourront quelques jours plus tard.

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À partir du mois d’août, la décontamination et l’isolation du réacteur débutent. Des dizaines d’opérateurs sont chargés de collecter les déchets radioactifs, les « liquidateurs ». Ils ont le sentiment de sauver le pays, et on leur promet qu’ils seront récompensés. Environ 600 000 ouvriers sont envoyés d’Ukraine, de Biélorussie, de Lettonie, de Lituanie, de Russie. Ils se relayent pour assainir les lieux. Ils se fabriquent eux-mêmes des protections à l’aide de plaques de plomb, ne restent que quelques secondes directement exposés. Les liquidateurs sur le toit du réacteur 3 sont nommés les « robots biologiques ». Les dosimètristes qui cartographient les zones chaudes sont nommés « les chats des toits ». Des cachets d’iode sont distribués, mais pas systématiquement. Un grand nombre, impossible de savoir combien puisque tout le système de recensement est trafiqué, meurt rapidement ou bien développeront des cancers. Certains seront faits « héros de l’Union Soviétique », comme le pilote d’hélicoptère Nikolaï Melnik, et Leonid Teliatnikov, responsable de la lutte contre l’incendie, pour qui un monument a été érigé au cimetière de Baykove à Kiev le 26 avril 2006. Des robots télécommandés ont aussi été utilisés mais tomberont en panne du fait des radiations. Durant l’édification du sarcophage, un hélicoptère s’écrase, entraînant la mort de tout l’équipage. La scène fut filmée par le cinéaste Vladimir Shevchenko, qui mourra lui même l’année suivante à cause des radiations subies.

Entre le 27 avril et le 7 mai, deux villes et 70 localités sont dépeuplées, sur 300 000 hectares. Plus de 200 000 personnes sont évacuées.

En octobre 1986, la construction du sarcophage autour du réacteur est terminée. Un homme, Valeri Kodemtchouk, repose dedans, son corps n’a pas été retrouvé.

La même année, la ville de Slavutych est bâtie à une quarantaine de kilomètres de Tchernobyl, afin de reloger les travailleurs et liquidateurs, pour maintenir le site en activité.

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Le 27 avril 1988, Valeri Legassov, un scientifique membre de l’Académie des sciences de l’URSS, se pend. Il n’aura pas supporté les pressions et la façon dont l’accident a été géré par les autorités. Il fera publier sous sa signature,  après son suicide, un article dans « La Pravda » intitulé « Il est de mon devoir de parler… »

Pendant 15 ans, seule une cinquantaine de décès sont reconnus comme étant directement liés à la catastrophe. Les critères exigés pour répertorier les victimes sont trop particuliers et brouillés, ce qui entraîne une sous-estimation prononcée de leur nombre, de l’étendue et du degré de maladie. Certains cancers auraient pu être évités si des cachets d’iode avaient été distribués en temps voulu.

Les conséquences sont totalement étouffées. Des témoignages de liquidateurs sont visibles dans le reportage « Le Sacrifice – le drame Tchernobyl » de Wladimir Tchertkoff (2003). En 1991, un homme témoigne « Savtchenko, ancien ministre de la santé, a déclaré qu’ils ont été convoqués par le Premier Rizhkov, qui a dit : ce n’est pas secret, c’est super secret, les doses et les informations qui concernent la tragédie de Tchernobyl ». Les témoins sont tous malades, l’un d’eux énumère ses maladies : « dystonie neurovégétative, une névrose cardiaque, maux d’estomac, énormément, maladie des reins, altérations psychiques, irritabilité, épuisement » ; un autre a perdu l’usage de ses jambes : « On nous a dit qu’on viendrait nous visiter tous les six mois. Personne n’est passé, nous sommes les rebuts de la société. ». Un officier : « nous sommes inutiles, un poids, nous dérangeons, parce-que nous demandons ».

En avril 2011, 2 000 liquidateurs manifestent contre la décision, prise par Viktor Ianoukovitch, de baisser leurs indemnités et leurs pensions de retraite. Respecter les promesses faites aux liquidateurs est « au delà des forces du gouvernement ».

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Rien qu’en Ukraine, 1 000 tranchées auront été creusées pour enfouir les déchets. Il est impossible de savoir combien de tonnes ont été déplacées et enterrées, à cause des incohérences de données sur les déchets entre les différentes versions internationales. Les conséquences de l’irradiation sont négligées par toutes les parties.

780 000 hectares de terrains agricoles deviennent inexploitables et 694 000 hectares de forêts sont abandonnés.

En 1999 une première série de travaux de consolidation du toit est réalisée par les Ukrainiens, en attendant la décision de réaliser une autre structure. Au cours des années 2000, le sarcophage, qui a été construit dans la précipitation, se détériore et n’est plus étanche. L’eau qui s’infiltre par les fissures risque de contaminer la nappe phréatique.
En 2000, l’activité de la centrale nucléaire est arrêtée.

En 2001 le concept « arche de Tchernobyl » est choisi, et en 2006 à la suite d’un appel d’offres, une entreprise russe procède à la stabilisation des parties instables. Puis le consortium Novarka mené par les groupes français Vinci et Bouygues est chargé des travaux de l’arche ; le terrassement débute en 2006. La construction de l’arche commence en avril 2012, elle devrait être livrée en 2017. L’arche mesurera 108 mètres de haut, 162 mètres de large, 270 mètres de long pour un poids avoisinant les 30 000 tonnes. La tour de refroidissement devra être détruite, elle est gênante pour les travaux et menace de s’effondrer sur le réacteur 4. En février 2013, le toit d’un bâtiment proche s’écroule sous le poids de la neige.

La structure métallique de l’arche est prévue pour tenir un siècle. Le projet est financé en majeure partie par les pays du G7 et l’Ukraine.

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En 2016, on recense 800 habitants à Tchernobyl, et la population continue d’augmenter. Les premières à y être retournées sont des femmes, essentiellement, tenant à finir leur vie là où elles sont nées.

La ville de Slavutych, qui avait été bâtie pour les liquidateurs et ouvriers de la centrale, compte 25 000 habitants. Les gens y vivent de l’activité autour du site, s’y rendant par périodes de quinze jours.

Une activité touristique s’est développée, des personnes du monde entier se rendent sur les lieux. Ils y passent plusieurs heures, mesurent la radioactivité, prennent des photos des habitations abandonnées du jour au lendemain, comme Matthieu Corvez qui nous livre ses images.

Plus loin, la faune s’épanouit grâce à l’activité humaine quasiment inexistante sur le reste du territoire contaminé. Des études sont menées dans ce paradis des scientifiques, pour observer les effets réels et visibles des radiations. Mais les animaux semblent en bonne santé, et se multiplient. La population de sangliers a même atteint un pic, avant d’être régulée par les loups.

Si malformés ou malades il y a, la loi de la nature veut qu’ils meurent à la naissance. Ceux qui survivent ne montrent aucune faiblesse. Des cas de malformations et d’irrégularités ont été observés chez certaines espèces migratoires, comme les hirondelles. Ne passant pas leur vie en territoire irradié, elles ne sont pas adaptées à ce nouveau milieu.

Sur les plantes les effets sont visibles. Les radiations tuent certaines espèces de bactéries et de champignons nécessaires à la décomposition. Les feuillent mortes se décomposent plus lentement que la normale, ce qui est dangereux en cas de déclenchement d’un feu, qui propagerait la radioactivité. Toutes les espèces de plantes ne survivent pas, les bouleaux ont remplacé les pins.

Les animaux qui appréciaient la compagnie de l’homme ont quitté la région, et des espèces rares ailleurs en Europe, pullulent : des troupeaux de bisons, des lynx, des loups, des élans, des cygnes chanteurs. C’est une véritable réserve naturelle accidentelle, et les animaux y sont malgré tout victimes de braconniers.

Dans un témoignage datant de 1999, porté à l’écran par Wladimir Tchertkoff, un homme, en fauteuil roulant suite à l’accident, raconte : « se souvenir fait mal, il vaut mieux ne pas le faire. Le soleil brille dehors, il fait beau. Si tu te souviens, c’est tout un cauchemar. Il vaut mieux ne pas se souvenir. C’était il y a longtemps et ce n’est pas vrai. Je voudrais simplement demander, s’il y a des gens à l’étranger qui aimeraient, je ne sais pas… m’aider à trouver une voiture. Même d’occasion, une quelconque. Seulement pour pouvoir sortir dans la nature. Parce-que comme ça, sans la nature, c’est difficile. »