Article paru le 9 mars 2021 sur le site XXI Század Intézed.
Europe – Ces derniers mois, une vague de déstabilisation a balayé l’espace post-soviétique et des crises politiques se sont déclarées dans divers pays suite à la tenue d’élections. En Géorgie, l’opposition boycotte le travail parlementaire ; en Moldavie, le président fraîchement élu voudrait dissoudre le parlement ; en Arménie, l’armée demande le départ du premier ministre. Les pseudopodes locaux des réseaux Soros font aussi surface dans la formation de ces crises ; en Ukraine, ils tentent même de revenir au pouvoir.
Cette analyse de l’Institut du XXIème siècle constitue un examen de l’arrière-plan de la vague de déstabilisation qui touche ces derniers temps l’Europe de l’Est.
La création de troubles comme méthode politique
Des élections législatives ont eu lieu en octobre dernier en Géorgie, tandis qu’en République de Moldavie, un nouveau président a été élu en novembre. Dans ces deux pays, les relations entre le gouvernement et l’opposition étaient tendues, ce qui laissait, au lendemain des élections, la porte ouverte à l’éclatement de « clones du Maïdan » à Tbilissi et à Chișinău, d’autant plus que, dans les deux cas, les oppositions parvenues au pouvoir appartiennent à des cercles pro-occidentaux qui ont déjà appliqué de telles méthodes pour s’emparer du pouvoir dans plusieurs États post-soviétiques — en Géorgie, la principale force d’opposition est d’ailleurs le Mouvement national uni (MNI), fondé par Mikheil Saakachvili, qui était arrivé au pouvoir suite à la « révolution des Roses » de 2003, et vit aujourd’hui exilé en Ukraine, faisant l’objet d’une condamnation dans son pays.
La « révolution de couleur » n’a pas eu lieu, mais la crise politique est bien là.
Bien que les observateurs internationaux, l’Union européenne et les États-Unis aient reconnu le résultat des élections en Géorgie, qui ont vu le Rêve géorgien obtenir la majorité au premier tour, l’opposition a protesté et, arguant de prétendues fraudes commises par le parti au pouvoir, a non seulement boycotté le second tour des élections, mais aussi cessé de prendre part au travail parlementaire, ayant renoncé à ses mandats. Allant même à l’encontre de la position de la communauté internationale, l’antenne locale de la fondation Soros et ses organisations partenaires se sont rangées du côté des aspirations de Saakachvili, de façon comparable à ce qui s’était passé en 2019, quand les forces d’opposition avaient tenté, en fomentant des troubles, de renverser le pouvoir en place en exploitant des sentiments antirusses dus à la situation des territoires séparatistes dans le nord du pays.
Les actions de protestation actuellement en cours ont porté leurs premiers fruits : l’oligarque dirigeant le Rêve géorgien, Bidzina Ivanichvili, a annoncé son retrait de la vie politique et, peu après, le chef du gouvernement a démissionné. La situation politique ne s’est pas pour autant apaisée ; elle s’est même envenimée, suite à l’arrestation du président du MNI, Nika Melia. La procédure judiciaire lancée contre Melia pour son rôle dans les événements de 2019 étant toujours en cours, ce dernier s’est, en signe de protestation contre le résultat des élections, séparé de son bracelet de surveillance électronique, a refusé le paiement de sa caution, et, n’ayant pas non plus accepté son mandat, il a perdu son immunité parlementaire. Une série d’organisations de la « société civile » ont protesté contre l’arrestation de Melia, les députés d’opposition ayant même physiquement essayé d’empêcher l’arrestation de ce dernier.
Le but de l’opposition est de miner l’autorité du gouvernement et de le priver de soutien populaire, en le présentant comme dysfonctionnel, incapable et usant contre son opposition de moyens policiers ; elle espère ainsi provoquer la convocation d’élections anticipées.
Bien que Charles Michel, président de la Commission européenne, ait tenté d’assurer une médiation suite à l’arrestation de Melia, la perspective de l’obtention d’un compromis entre les parties semble lointaine. Le week-end des 6 et 7 mars, un enregistrement sonore a été publié, sur lequel il semble qu’on entende l’actuel premier ministre, Irakli Garibachvili et Bera Ivanichvili, fils de l’oligarque qui se tient derrière le Rêve géorgien, discuter avec le chef du Service spécial de protection de l’État des actions à mener à l’encontre des critiques d’Ivanichvili. Selon des membres du parti au pouvoir, cet enregistrement est ancien, et constitue un montage fallacieux de documents sonores datant de la période 2010-2011, mais l’opposition a tout de même organisé une manifestation dès le lendemain. Il est vrai que ces manifestions à répétition organisées par l’opposition au cours des dernières semaines rassemblent peu de monde, mais le maintien d’une tension permanente pourrait finir par ébranler le parti au pouvoir, d’autant plus que les difficultés économiques dues au coronavirus pourraient apporter un nouveau souffle aux manifestations.
Le Président contre le Parlement
Maia Sandu, proche de Soros, ayant remporté les élections présidentielles de novembre dernier en République de Moldavie, aucune « révolution de couleur » n’a été nécessaire pour obtenir le départ du pro-russe Igor Dodon et du Parti socialiste au pouvoir. Cependant, en Moldavie, bien que le président soit désormais élu au suffrage universel direct, les prérogatives du Parlement sont bien plus étendues que celles du chef de l’État ; l’obtention d’une majorité parlementaire est donc devenue une question de vie ou de mort pour Sandu et les siens.
Comme les Socialistes et leurs alliés disposent en ce moment d’une majorité au Parlement, Sandu, jouissant actuellement d’une forte popularité, joue la carte de la dissolution du Parlement.
Initialement, les Socialistes étaient d’accord pour reconnaître que le parlement actuel, élu en février 2019, ne reflète plus suffisamment les rapports de force politiques, étant donné que l’un des partis les plus puissants du pays, le Parti démocrate, dirigé par l’oligarque Vladimir Plahotniuc, depuis lors exilé à l’étranger, s’était disloqué suite à la crise constitutionnelle de l’été 2019, et que des forces extra-parlementaires ont entre temps gagné du terrain. C’est pourquoi en décembre dernier – quand les partisans de Sandu ont commencé à manifester pour la dissolution du Parlement – le premier ministre a démissionné. Cependant, alors que Sandu aurait voulu que de nouvelles élections se tiennent le plus tôt possible, les Socialistes pensent qu’il faudrait au moins attendre l’été, jusqu’à ce que la crise du coronavirus prenne fin d’une façon ou d’une autre.
Sandu, voulant une dissolution la plus rapide possible, a présenté au poste de premier ministre une candidate dont le rejet était prévisible : Natalia Gavrilița, ancienne directrice adjointe du Parti action et solidarité, dirigé par Sandu, n’a pas récolté la moindre voix en sa faveur ; après quoi, c’est malgré tout elle que Sandu a proposé une nouvelle fois pour occuper le poste de chef du gouvernement. Entre temps, les Socialistes ont réussi à former une nouvelle majorité, en s’alliant aux députés du Parti Șor et du Parti pour la Moldavie. Sur quoi, ignorant les décisions de la Cour constitutionnelle, qui a cassé le second décret d’investiture de Gavriliţa, Sandu, ne tenant aucun compte de la formation de cette nouvelle majorité parlementaire, s’en tient à son intention de dissoudre le Parlement. Cela pourrait conduire à une crise constitutionnelle de l’ampleur de celle de 2019, étant donné que la période de trois mois prévue pour la formation d’un nouveau gouvernement prendra fin le 23 mars, date à laquelle le Parlement pourrait donc être dissous, même si la Cour constitutionnelle n’admettra probablement pas que les conditions soient réunies en vue d’une dissolution, dans la mesure où il existe une coalition réunissant la majorité nécessaire à la formation d’un gouvernement. Toutefois, le Parlement ne pourra pas davantage obtenir le départ de Sandu, ce qui demanderait une majorité des deux tiers et une confirmation par voie référendaire.
Du fait des ambitions de Sandu, la République de Moldavie, déjà plongée dans une situation difficile, pourrait s’enfoncer dans une profonde crise politique, puisque ni la formation d’un nouveau gouvernement, ni la tenue de nouvelles élections ne seront possibles.
Les résultats des « révolutions de couleur »
En février, la crise politique arménienne, qui dure elle aussi depuis l’automne, s’est aggravée. La situation du premier ministre Nikol Pachinian, arrivé au pouvoir suite à la « révolution de velours » de 2018, s’est détériorée quand, dans la lutte pour le Haut-Karabagh, l’Azerbaïdjan a infligé aux troupes arméniennes une lourde défaite ; l’opposition a alors pointé du doigt, comme causes de cette défaite, l’incompétence politique de Pachinian et l’irresponsabilité de sa politique étrangère, qui a mené à la détérioration du partenariat stratégique d’importance vitale unissant le pays à la Russie. Des manifestations avaient alors eu lieu dans la capitale, et les manifestants avaient pris d’assaut le Parlement, la résidence du premier ministre et les bureaux de l’antenne locale de la fondation Soros, qui entretient de bonnes relations avec Pachinian.
Pachinian ayant alors tenté de remplacer un chef militaire critique à son égard, l’ensemble du haut-commandement de l’armée – de concert avec les partis d’opposition – a commencé à demander la démission du premier ministre, et les actions de protestation ont recommencé. Pachinian a même demandé le limogeage du chef du haut-commandement retourné contre lui, mais le Président Armen Sarkissian a rejeté son décret. Pachinian a parlé de putsch militaire, et, bien que les deux camps n’en soient finalement pas venus aux mains, ces tensions politiques dureront probablement jusqu’au départ du premier ministre. Pachinian a annoncé un projet de modification constitutionnelle qui augmenterait les prérogatives présidentielles, ce qui en amène certains à penser que Pachinian compte s’en sortir en abandonnant son poste de chef du gouvernement pour devenir chef de l’État. Toutefois, au vu des tensions sans cesse renouvelées et dans l’ombre de la défaite de l’année dernière, il semble fort douteux que Pachinian parvienne à conserver le pouvoir à long terme.
Un aspect de la situation favorise néanmoins Pachinian : la population continue à fortement rejeter le clan du Karabagh, écarté du pouvoir lors de la « révolution de couleur » de 2018 ; cependant, le changement de régime associé à son nom n’a pas non plus atteint ses objectifs : le gros des réformes a buté sur des questions de remplacement de personnel, tandis que la défaite infligée par l’Azerbaïdjan et l’échec de la gestion de la crise du coronavirus ont jeté une lumière particulièrement crue sur les lacunes administratives de la direction « postrévolutionnaire ».
L’Ukraine fait elle aussi face à des problèmes d’administration du pays ; marchant dans les pas de son prédécesseur Petro Porochenko, Volodymyr Zelensky continue à gouverner selon l’idéologie du Maïdan de 2014. Kiev s’efforce toujours plus de satisfaire non seulement les nationalistes ukrainiens, mais aussi les velléités de Washington, puisque son espoir est de s’appuyer sur un soutien américain pour faire face à la perte de popularité du Président Zelensky et de son parti (le « Serviteur du peuple »), ainsi qu’à la crise sanitaire et économique qui continue à frapper le pays. Or, parmi les exigences de Washington, il y a non seulement une soumission accrue de la justice à un contrôle « indépendant » exercé par la « société civile » – destiné, en pratique, à renforcer l’influence occidentale sur le maintien de l’ordre et sur les tribunaux –, mais aussi, selon certaines informations parues dans la presse, la volonté de faire rentrer au gouvernement les « réformateurs » évincés l’année dernière, ceux que l’on surnomme en Ukraine les Sorosyat (« poussins de Soros ») : des politiciens liés à l’Occident. La question est bien sûr de savoir si les oligarques locaux verront cela d’un bon œil.
Comptant sur le soutien de Washington, Zelensky a cependant déclaré aux oligarques une guerre dont la première victime est le député Viktor Medvedtchouk, leader du parti pro-russe Plateforme de l’Opposition – Pour la vie, principal challenger du parti au pouvoir, et un autre député du même parti, Taras Kozak, lesquels ont été placés sur une liste de sanctions, au terme d’une procédure qui a créé un précédent d’une légalité discutable. Récemment, les États-Unis ont aussi édicté des sanctions contre l’oligarque de Dnipro Ihor Kolomoïsky et sa famille – or, ces derniers temps, le pouvoir ukrainien a pris l’habitude de décalquer fidèlement les décisions américaines de ce genre. Le cas de Kolomoïsky a cependant ceci de particulier que son soutien médiatique a joué un grand rôle dans l’arrivée au pouvoir de Zelensky ; oser s’en prendre à cet oligarque devenu – quoiqu’il puisse difficilement être soupçonné d’amitiés pro-russes – un caillou dans la chaussure de Joe Biden et des réseaux Soros peut donc constituer, du point de vue de Washington, un test de loyauté auquel doit se soumettre le pouvoir ukrainien.
Néanmoins, la grande influence de cet oligarque au sein du parti au pouvoir et chez les députés de ses satellites parlementaires pourrait dissuader le gouvernement d’entrer avec lui dans un conflit ouvert, qui risquerait d’affaiblir encore le groupe parlementaire, déjà en pleine dislocation, du Serviteur du peuple, ce qui paralyserait, ou tout du moins compliquerait le travail législatif.
Vague de déstabilisation et risque de guerre
On voit donc qu’une vague de déstabilisation a balayé les provinces situées aux frontières de l’espace post-soviétique. La quête de pouvoir de forces souvent proches du réseau Soros a amené plusieurs pays au bord de profondes crises politiques. Les processus de crise affectant ces pays sont d’autant plus risqués qu’ils sont tous impliqués dans des conflits armés, gelés ou actifs. En Arménie, le gouvernement arrivé au pouvoir suite à une « révolution de couleur » a essuyé l’année dernière une cuisante défaite contre l’Azerbaïdjan ; dans ce cas précis, même en cas de changement de gouvernement, il est possible que les intérêts géostratégiques de la Russie empêchent tout retour de flamme – mais, dans les trois autres cas, il n’est pas impensable que des conflits réapparaissent ou s’aggravent.
Dans le gouvernement Gavriliţa non encore investi, mais qui a le soutien du Président Sandu, Viorel Cibotaru, qui, jadis ministre de la Défense, s’était fait connaître en montant au créneau contre la présence russe en République moldave du Dniestr, occuperait un poste de vice-premier ministre en charge de la réintégration de la Transnistrie. En Géorgie, l’opposition s’applique à toujours jouer la carte russe, en accusant le gouvernement du Rêve géorgien d’être pro-russe. En Ukraine, enfin, on observe, au cours des derniers mois, une aggravation des tensions sur le front oriental, ainsi qu’une surenchère dans l’échange, par médias interposés, de messages belliqueux entre les parties. Tout cela, sur fond de nouveau refroidissement des relations entre les États occidentaux et la Russie, peut sembler inquiétant, car il existe un risque non-nul que les crises politiques en cours dans ces pays ne débouchent sur des conflits armés locaux, voire internationaux.
András Kosztur
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Traduit du hongrois par le Visegrád Post