Tchéquie, Prague – Entretien avec Václav Klaus : « l’UE est une voie sans issue, et le Brexit pourrait ouvrir les yeux des gens en Europe », par Alimuddin Usmani et Joseph Navratil.
Joseph Navratil et Alimuddin Usmani se sont entretenus pour LaPravda.ch avec Václav Klaus, Premier ministre (1992-1998) et président (2003-2013) de la République tchèque, au sujet de l’immigration, de George Soros, du Groupe de Visegrád (V4) et du Brexit.
LaPravda : Nous sommes en compagnie de l’ancien président de la République tchèque, Václav Klaus. Monsieur le Président, merci de nous recevoir dans votre institut. En décembre 2015, l’éditeur Olympia a publié un livre que vous avez co-écrit avec Jiří Weigl. Le livre s’appelle : « Migration des peuples, Petit manuel de compréhension de la crise migratoire actuelle. »
Durant la première partie de l’entretien, nous souhaiterions aborder ce thème avec vous. Monsieur le Président, la République tchèque a, pour l’instant, été épargnée par la vague migratoire massive, contrairement à l’Allemagne ou à l’Autriche notamment. Pensez-vous que cela pourrait changer à l’avenir ?
Václav Klaus : Pour commencer je pense que ça pourrait changer très facilement, parce que, malgré les milliers de singularités existantes, l’avancement économique, social, culturel, et ainsi de suite, de la République tchèque est fortement comparable à ceux des pays vers lesquels les migrants affluent en masse. La raison pour laquelle les migrants ne viennent pas ici est uniquement due au fait qu’ils ne connaissent pas tellement le nom de la République tchèque. Je dis toujours que s’ils quittaient la première ville d’Allemagne pour s’installer à Karlovy Vary, s’ils passaient de Linz à České Budějovice ou de Sankt Pölten à Mikulov, ils constateraient que les différences de niveau de vie ne sont pas significatives. C’est pourquoi je crains, premièrement, que la situation ne finisse par se renverser. Mais, deuxièmement, je considère comme étant encore plus important le fait que cette force destructrice, que représente la migration, agit dans tous les sens du terme de manière significative. La migration détruit actuellement déjà l’Europe, y compris la République tchèque, parce qu’elle permet à l’Union européenne de dicter aux 28 pays membres des choses qu’elle ne se serait jamais permises par le passé. Tout cela a déjà métamorphosé l’Europe et cela nous atteint à présent et de manière quotidienne.
LB : Que pensez-vous de la proposition de l’UDC qui vise à ne plus accueillir de réfugiés en Suisse mais plutôt à gérer des camps de réfugiés à proximité des zones de conflit ?
Václav Klaus : Ce sont pour moi des propositions constructivistes pour lesquelles j’ai du mal à imaginer que quelqu’un puisse arriver à les réaliser avec succès. Mais bien entendu que toute initiative sur place, non pas sur les lieux de conflits mais sur les lieux depuis lesquels on migre, est la bienvenue. C’est évidemment mieux que de prendre des migrants chez nous.
LB : Parmi les migrants, il y a un fort pourcentage d’hommes jeunes qui n’ont pas l’intention de venir pour travailler. Certains critiques de l’immigration utilisent le mot « parasitisme ». Est-ce, selon vous, un terme approprié ?
Václav Klaus : Je n’ai encore jamais entendu le mot « parasitisme ». Nous n’utilisons pas ce terme chez nous. Je ne sais pas comment je pourrais le commenter. C’est évidemment un terme un peu exagéré mais, d’un autre côté, on peut assurément spéculer sur le fait que les gens ne viennent pas chez nous en tant que force de travail, ils viennent pour d’autres raisons. Si une partie des gens vient dans le but d’une vie sans travail, pour une extraction des aides sociales, très généreuses en Europe, d’autres viennent pour des intentions politiques ou bien même dans un but purement aventurier. Tout cela est possible alors je garderais le mot « parasitisme » pour d’autres circonstances.
LB : L’année dernière, le milliardaire américain George Soros a écrit pour le « Project Syndicate » son plan en cinq points, de résolution de la crise migratoire. Selon lui, l’Union européenne doit prendre ses responsabilités concernant l’insuffisance de sa politique d’asile, qui a débouché sur une crise politique. Quel est votre avis sur George Soros ?
Václav Klaus : Mon avis sur Monsieur Soros n’a absolument pas changé depuis un quart de siècle, il est constant. Monsieur Soros incarne le mal. Tout ce qu’il dit est mauvais, tout ce qu’il fait est mauvais. La citation fait partie de ces phrases prononcées par Soros. En ce sens, j’ai toujours oeuvré à ce que ses institutions ne s’implantent pas ici en République tchèque. Je n’ai jamais pu empêcher la constitution de petits laboratoires d’idées, mais il n’a jamais pu les transformer en instituts universitaires reconnus par le droit tchèque, il y a plus de vingt ans je me suis opposé à cela, ce qui l’a rendu furieux. Il est parti du côté de Budapest, ils doivent donc subir cette présence permanente que nous n’avons heureusement pas. Cela ne veut toutefois pas dire qu’il n’utilise pas d’autres voies pour étendre son influence en direction de la République tchèque.
LB : Monsieur le Président, pour ce qui concerne la défense, ne pensez-vous pas que le groupe V4 n’est que le « pantin » de l’Otan et des Etats-Unis, qui pourrait servir de bouclier à l’encontre de la Russie ?
Václav Klaus : Il y a ici un peu trop d’assertions dans une seule phrase. Je peux difficilement répondre à cette question. L’idée selon laquelle le V4 se définirait comme un groupe spécifique ou comme une sorte de rejeton particulier de l’Otan fait partie d’une grande exagération, rien de tel n’a été imaginé par quelqu’un du groupe de Visegrad. Voilà pour ce qui concerne la première partie de votre question. Pour la deuxième partie, il faut dire que le V4 a été, pendant un quart de siècle, une organisation en sommeil, qui se contentait de rencontres. Je ne minimise pas l’importance des rencontres, où les personnes dialoguent, c’est une chose importante. Durant les dix années de ma présidence, j’ai pris le soin de participer de manière assidue aux sommets européens du V4. Je considérais tout cela comme un bon espace de communication. Mais cela n’a rien donné de plus. Le groupe de Visegrad ne s’est jamais retrouvé au premier plan, hormis le moment où il a mis en place Accord de libre-échange centre-européen (ALECE). J’avais considéré que c’était quelque chose de significatif à un moment où, peu après la chute du communisme, l’Europe de l’Ouest n’était pas tellement prête à faire du commerce avec nous. C’était une action importante. Depuis lors, il n’y a rien eu de significatif pour le V4.
LB : Pensez-vous alors que cette structure pourrait se renforcer ?
Václav Klaus : Je vais vous répondre. Le groupe V4 a émergé aux yeux des gens, notamment en Europe de l’Ouest, parce qu’il a une position commune en ce qui concerne les migrants. Cela lui a permis de se regrouper autour d’un sujet. Un quart de siècle après la création d’ALECE, il a de nouveau trouvé un sujet commun. C’est une bonne chose, nous l’avons cherché jusqu’à présent, en vain. Le groupe V4 n’était pas disposé à consentir à ce que j’ai toujours attendu de lui, à savoir que grâce à son expérience historique, il pourrait avoir des exigences vis à vis de l’Union européenne, afin que cette dernière agisse autrement . Il y avait toujours un gouvernement qui était d’accord avec moi mais jamais les quatre en même temps. Le fait qu’ils aient enfin trouvé un sujet commun me fait très plaisir mais je ne m’attends pas à une véritable extension. C’était une partie de la question, vous avez également fait allusion à la Russie, il me semble.
LB : Oui, nous voulions savoir si le V4 pourrait être utilisé comme un bouclier contre la Russie.
Václav Klaus : Je ne sais pas, je ne ressens pas le besoin de m’attaquer à la Russie, c’est futile et inutile. Je respecte la Russie, je respecte le fait qu’elle mène sa propre politique, qui est évidemment différente de la notre ou de celle de tout autre pays voisin. Je ne suis pas en faveur d’une alliance CONTRE quelqu’un, j’ai toujours fait en sorte que nous n’agissions pas ainsi. En outre, je pense qu’au sein du V4 actuel, il n’y a aucun espace pour cela. Une telle alliance pourrait être conclue entre la Pologne et les pays baltes mais elle n’a pas sa place au sein du V4 contre la Russie. Elle ne trouve certainement pas sa place en Slovaquie, ni dans la Hongrie actuelle, et la République tchèque est, en ce sens, fortement dans la retenue. Je ne parle pas seulement des sites internet dissidents, mais également de la politique tchèque mainstream. Je ne vois donc pas quelque chose dans ce sens, je ne vois pas qui pourrait le souhaiter ou le vouloir.
LB : Nous nous approchons du référendum sur le Brexit. Pouvez vous faire un commentaire sur l’attentat de Londres contre une députée ?
Václav Klaus : Ce sont deux choses différentes. Si nous voulions laisser croire que cet attentat a eu lieu à cause du Brexit ou bien qu’il a été arrangé dans le but d’influencer le scrutin, alors nous pourrions lier ces deux événements. Je préfère en parler comme deux sujets différents. Ce que je souhaiterais est une chose, à savoir que le référendum s’achemine vers une sortie éventuelle de la Grande-Bretagne de l’Union européenne. Ce que je crois qu’il va se passer en est une autre. Ce lundi, nous allons publier notre point de vue officiel sur plusieurs pages sur le Brexit, où nous allons prendre soin d’expliquer en détails notre position. Il ne reste que quelques petites mises au point à faire. Tout d’abord, nous supposons que les électeurs britanniques ne vont pas quitter l’UE. C’est notre pronostic analytique. La puissance de l’establishment médiatique et politique est conséquente, même en Grande-Bretagne. La trahison de Cameron envers les électeurs britanniques et les adhérents de son propre parti a malheureusement été un succès. Je pense donc que le Brexit n’aura pas lieu. Ce que je souhaite est une autre chose, à savoir si c’est ou non désirable. Je pense que l’Europe en aurait grandement besoin. Cela représenterait le renforcement d’un signal, il existe déjà des dizaines de signaux mineurs autour de nous. Ce signal nous dit que ce qui se passe avec l’Europe est mauvais et cela pourrait avoir pour effet d’ouvrir les yeux de nombreuses autres personnes en Grande-Bretagne et ailleurs en Europe. Cela permettrait peut-être de dévoiler le caractère insupportable de cette étape supplémentaire de l’Union européenne qui se poursuit à l’heure actuelle. En Suisse alémanique, lorsque je parle avec les gens, j’utilise le mot « Sackgasse ». Une voie sans issue.
Je parle donc d’une voie sans issue, je crois vraiment que l’Europe actuelle se trouve, « grâce » à l’Union européenne, dans une voie sans issue. Plus tôt l’Europe s’en rendra compte, mieux ce sera. Ce résultat en faveur du Brexit, d’après moi, pourrait avoir un effet catalyseur désirable sur les événements.
Article publié originellement sur La Pravda.ch.
Entretien réalisé mi-juin 2016 par Alimuddin Usmani et Joseph Navratil.
Vidéo de l’entretien :