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La fin de la crise parlementaire en Pologne après presque un mois d’occupation de la Diète par une partie de l’opposition

Temps de lecture : 5 minutes

Par Olivier Bault.

Pologne – Pendant toute la durée de la pause de Noël entre les sessions du parlement polonais, du 17 décembre au 10 janvier, des députés des deux partis libéraux-libertaires (le PO dont Donald Tusk était le chef avant son départ pour Bruxelles et Nowoczesna, un parti créé avant les élections de 2015) se sont relayés pour continuer leur occupation 24h/24 de la salle plénière de la Diète, c’est-à-dire de la chambre basse du parlement polonais.

Ces députés affirmant défendre la démocratie se sont par moment attirés les moqueries des Internautes, par exemple quand ils publiaient sur les réseaux sociaux les photos du réveillon de Noël. Mais ce qui a le plus fait rire tous ceux qui ne considèrent pas que la démocratie est menacée, qui sont malgré tout largement majoritaire à en croire le faible nombre de protestataires devant la Diète et les sondages qui s’obstinent à prévoir une nette victoire du PiS en cas de nouvelle élection, c’est une photo prise avec un téléphone dans un avion. Le 30 décembre, Ryszard Petru, le chef de Nowoczesna, clamait que la situation était dramatique et que, même s’il n’était pas de garde pour la Saint-Sylvestre (il avait déjà passé le réveillon de Noël à la Diète), il était de tout cœur avec les députés dont c’était le tour.

Le 31 décembre, un appel vidéo adressé à la nation du leader de Nowoczesna, ce riche libéral-libertaire considéré en Pologne comme le candidat des banques, un peu comme Macron en France, circulait sur Internet. Le même jour, il était photographié à son insu avec une députée de son parti dans un avion à destination du Portugal où les deux responsables politiques se rendaient pour une petite escapade privée. Les deux sont mariés, mais pas ensemble, et voici la photo qui a fait le buzz sur les réseaux sociaux :

Ryszard Petru et Joanna Schmidt

Petru a eu beau présenter ses excuses à son retour du Portugal pour sa maladresse, il a mis ses amis politiques dans l’embarras, car cela faisait un peu tache par rapport au dramatisme de ses propos de la veille.

Plus grave encore, la situation de Mateusz Kijowski, le leader du KOD, ou « comité de défense de la démocratie ». Deux médias pourtant plutôt éloignés du PiS (le quotidien Rzeczpospolita appartenant à un homme d’affaires proche du PO et le site Onet.pl, qui appartient au germano-suisse Axel Springer et au groupe TVN, très anti-PiS) ont appris à leurs lecteurs le 4 janvier que M. Kijowski, qui affirmait jusqu’ici ne rien gagner au titre de son militantisme pour le KOD, avait touché par l’intermédiaire de son entreprise d’informatique 91.000 zlotys depuis un an.

C’est l’équivalent de plus de 20.000 € payés avec l’argent collecté lors des manifestations du KOD. Pour Kijowski, c’était le remboursement partiel du coût de services d’informatique réels, mais plusieurs voix provenant du KOD ont mis en doute la réalité de ces services et le KOD a commandé un audit interne de ses finances. Le journal Gazeta Wyborcza, qui s’est quasiment transformé depuis un an en organe de presse du KOD, a joint sa voix aux appels à la démission de Mateusz Kijowski, mais celui-ci refuse et était toujours présent avec un micro à la mini-manifestation du KOD devant le parlement le 11 janvier, jour de l’ouverture d’une nouvelle session de la Diète et du Sénat.

Mateusz Kijowski

L’opposition libérale-libertaire (PO + Nowoczesna + KOD) exigeait que soient publiés les enregistrements vidéos de toutes les caméras de la salle où s’était déroulé le vote du budget le 16 décembre (la salle plénière étant alors bloquée par les députés d’une partie de l’opposition qui occupaient la tribune et le fauteuil du président de la Diète). C’était chose faite le 4 janvier dernier, ce qui a également quelque peu affaibli le discours de cette opposition qui se qualifie elle-même de « totale », car il est devenu évident que le quorum était atteint et que les députés de l’opposition avaient eu toute liberté d’entrer dans cette salle pour participer aux votes.

Pour Paweł Kukiz, le leader du deuxième plus gros parti d’opposition, Kukiz’15 (réunissant des conservateurs et des nationalistes), il est évident, même s’il avait auparavant violemment critiqué la forme, que le vote du budget s’est déroulé dans les règles. Rappelons aussi que le PSL, ancien allié du PO au sein de la coalition qui a gouverné la Pologne de 2007 à 2015, a cessé de participer à l’occupation de la salle plénière de la Diète dès avant les fêtes de Noël.

Après son retour du Portugal, Ryszard Petru, de Nowoczesna, a enfin fait une proposition constructive pour mettre fin à la crise parlementaire, ce qui a causé des scissions entre les deux partis protestataires, le PO refusant d’emblée tout compromis. Cette proposition était que le Sénat, dominé par le PiS, adopte certains amendements de l’opposition afin que le budget revienne à la Diète et puisse ainsi faire l’objet d’un nouveau vote, cette fois dans des conditions normales. Mais quand le PiS a accepté le compromis proposé, M. Petru semble avoir changé d’avis, affirmant qu’il fallait que le président Andrzej Duda porte le vote du 16 décembre devant la Cour constitutionnelle pour que celle-ci se prononce sur sa légalité.

Une procédure qui rendrait le budget 2017 provisoire pour encore plusieurs mois et que le PiS, fort de sa majorité absolue, refuse. Jaroslaw Kaczynski explique aussi ne pas vouloir créer un dangereux précédent par lequel des partis minoritaires au parlement pourraient s’arroger le droit de bloquer les votes de la majorité en violant le règlement du parlement et la constitution polonaise (qui ne prévoit pas la possibilité de bloquer physiquement les votes au parlement).

Le parti Nowoczesna a néanmoins cessé le blocage de la salle plénière de la Diète avant le retour des députés, laissant les députés du PO désormais seuls. Ceux-ci, intraitables, continuaient d’occuper seuls la tribune de la Diète le mercredi 11 janvier, jour d’ouverture de la nouvelle session du parlement polonais, encouragés par leur ex-leader Donald Tusk devenu président du Conseil européen. Celui-ci affirmait en effet le 11 janvier dans une interview que si le PiS ne faisait pas marche arrière, il prenait le risque que la légalité du budget 2017 soit mise en cause et menace l’attribution des fonds européens. N’ayant une nouvelle fois pas réussi à mobiliser la rue pour défendre sa cause, l’opposition libérale-libertaire faisait ainsi de nouveau appel à Bruxelles.

Le 12 janvier, le PO décidait enfin de mettre fin à son occupation de la tribune de la Diète, promettant d’autres formes de protestation et aussi de porter le vote du budget du 16 décembre devant la Cour constitutionnelle. Le matin, le ministre de l’Intérieur Mariusz Błaszczak avait rappelé dans une interview à la radio que, dans la loi polonaise, bloquer les votes de la Diète était passible de 10 ans de prison et qu’il était envisagé d’engager des poursuites contre les députés coupables de ce délit d’atteinte à la démocratie. Après la fin de cette crise parlementaire hors du commun, le leader du PiS Jarosław Kaczyński a annoncé que son parti allait travailler sur une modification du règlement de la Diète de manière à y introduire des sanctions de nature à dissuader de tels comportements à l’avenir.