Par Ladislav Zemánek.
Tchéquie – Les élections législatives en Tchéquie se sont tenues vendredi et samedi. Et le résultat est pour le moins surprenant. Nous assistons au triomphe d’un homme qu’on appelle déjà parfois le Trump tchèque ou le Berlusconi tchèque. Nous assistons à une débâcle historique de la gauche. Un véritable tremblement de terre électoral a eu lieu.
Une victoire écrasante a été remportée par l’ANO («Oui»), dirigée par un milliardaire charismatique et ancien vice-Premier ministre et ministre des Finances Andrej Babiš. Son mouvement, fondé en 2011 en réponse à ce qu’il qualifiait de politiques insatisfaisantes menées par les partis politiques «traditionnels», s’est présenté comme une force protestataire et dynamique avec un esprit anti-politique dont le but est d’anéantir la corruption et de mettre fin à l’establishment prétendument corrompu. Babiš, avec son mouvement, a réussi à convaincre les électeurs qu’ils représentent un réel changement malgré le fait que Babiš et l’ANO ont participé au gouvernement tchèque depuis les élections de 2013. Selon les derniers sondages de l’opinion publique, l’ANO semblait perdre du soutien, ce qui s’explique simplement par la campagne anti-Babiš de la part des autres partis et de certains médias, mais aussi en premier lieu les accusations de la police contre Babiš lui-même et contre le vice-président du parti Jaroslav Faltýnek pour fraude présumée aux subventions européennes.
L’ANO est en position de force en Tchéquie et peut donc théoriquement choisir ses partenaires de coalition relativement librement. En effet, l’ANO a remporté 29,64% des voix et 78 sièges sur les 200 de la Chambre des députés. Huit autres partis ont réussi à dépasser le seuil des 5% pour entrer dans la chambre basse, ce qui est un nombre record. Le parti démocratique civil (ODS), libéral-conservateur, a remporté 11,32% et 25 sièges, renforçant ainsi sa position par rapport aux dernières élections où il a subi une défaite écrasante avec seulement 7,72% (20,22% en 2010, 35,38% en 2006). Jamais auparavant l’écart entre le vainqueur de l’élection et le deuxième parti n’a été si important. L’ODS est devenu le parti de droite le plus fort, suivi par les « Pirates » qui sont entrés au Parlement pour la première fois, avec en outre un succès étonnamment élevé (10,79% et 22 sièges). Ils ont surtout récolté des voix dans les grandes villes et parmi les jeunes qui ont voté pour une politique pro-européenne, libérale-libertaire et cosmopolite. Leurs priorités de programme sont l’amélioration de l’éducation et la promotion de la gouvernance électronique ainsi que du référendum populaire.
Ce même référendum populaire qui forme la pierre d’angle du programme de « Liberté et démocratie directe » (SPD), dirigé par Tomio Okamura qui doit sa popularité à une politique ouvertement populiste, attaquant les migrants, l’UE et l’Islam. Le SPD a annoncé vouloir organiser un référendum sur la sortie de l’UE et parle de bannir complètement la soi-disant « idéologie islamique ». Le mouvement d’Okamura est un mouvement de protestation et anti-establishment, basé sur le principe du leadership. Beaucoup de leurs opinions sont considérées comme difficilement acceptables. Ils ont obtenu 10,64% et 22 sièges. Néanmoins, si l’on compare avec les forces populistes ou nationalistes dans d’autres pays européens, les résultats de leurs homologues tchèques ne sont pas si élevés.
La cinquième position est occupée par le Parti communiste de Bohème et Moravie (KSČM) qui a enregistré son pire résultat depuis l’émergence de la République tchèque indépendante en obtenant 7,76% des voix et 15 sièges (14,91% en 2013). Par le passé, les communistes bénéficiaient du soutien de ceux qui n’étaient pas satisfaits de l’évolution post-communiste, de l’adhésion à l’UE et à l’OTAN, etc. Cependant, cette fois-ci, un nombre important de cet électorat s’est porté sur l’ANO de Babiš. Le même sort est partagé par les sociaux-démocrates (ČSSD) qui ont remporté les dernières élections en obtenant 20,45%, alors que cette fin de semaine ils ont chuté à seulement 7,27%, ce qui représente 15 sièges. Depuis la fin des années 1990 et pour la décennie suivante, les sociaux-démocrates et les libéraux-conservateurs de l’ODS ont été les acteurs politiques les plus importants, alternant l’un avec l’autre la place de premier parti tchèque. La chute de ces deux partis à l’ombre d’une montée considérable de l’ANO est perçue comme un déclin des partis démocratiques traditionnels de gauche et de droite et signe l’avènement d’une métamorphose du parlementarisme tchèque. Rappelons les résultats des élections des sociaux-démocrates des dernières années : 20,45% en 2013, 22,08% en 2010, 32,32% en 2006, 30,20% en 2002, 32,31% en 1998 et 26,64% en 1996. Quant au ČSSD, il est donc revenu la situation au début des années 1990, lorsque leur soutien a fluctué autour de 7%.
La limite de cinq pour cent a également été dépassée par un autre parti traditionnel, à savoir l’Union chrétienne démocrate – Parti populaire tchécoslovaque (KDU-ČSL, 5,8% et 11 sièges), ainsi que le TOP09 libéral-conservateur, fortement pro-européen (5.31 % et 6 sièges), dont le soutien a considérablement chuté, et, enfin, par un parti appelé «Maires et Indépendants» avec une orientation libérale et pro-européenne.
En résumé, ces élections ont apporté beaucoup de surprises. Et beaucoup d’autres peuvent être apportés par le développement post-électoral. Le président Miloš Zeman jouera probablement un rôle important. Il est probable qu’il profitera de l’occasion pour renforcer sa position avant les prochaines élections présidentielles qui se tiendront en janvier 2018. De nos jours, de nombreux politiciens parlent d’une menace contre la démocratie tchèque, mettant en garde contre l’autocrate Babiš, le nationaliste Okamura, les communistes, et « la marionnette de Poutine » Zeman. Il est vrai que sous certaines conditions, le climat politique, l’ordre constitutionnel et l’orientation de la politique étrangère de la Tchéquie pourraient changer. Néanmoins, le futur Premier ministre Andrej Babiš a souligné dans son premier discours post-électoral que sa position était pro-UEe et pro-OTAN. Il semble alors que les démocrates qui refusent de coopérer avec l’ANO en se référant aux accusations de la police et aux manières autocratiques de Babiš pourraient bien le pousser dans les bras des populistes d’Okamura et des communistes, provoquant ainsi la situation dont ils ont le plus peur.
La scène politique tchèque est devenue extrêmement fragmentée, ce qui n’atteste pas une démocratie parlementaire stable et développée. Il existe de nombreuses variables, de nombreux acteurs politiques imprévisibles et de nombreux scénarios possibles, allant de la poursuite du gouvernement en place (ANO, ČSSD et KDU-ČSL) à la modification du régime constitutionnel. Une chose est sûre : la première session de la chambre basse nouvellement élue sera convoquée dans les 30 jours après les élections.