Par Olivier Bault.
Pologne – À Varsovie, les auditions se poursuivent devant la commission parlementaire chargée d’enquêter sur les restitutions frauduleuses, par la ville, de biens immobiliers. Ces restitutions ont causé de nombreux drames pour les habitants et commerçants expulsés d’immeubles « rendus » à des cabinets d’avocats spécialisés ou autres escrocs se faisant passer, grâce à des services municipaux incompétents, complaisants ou corrompus, pour les ayant-droit des héritiers des anciens propriétaires d’avant les nationalisations de la fin de la Deuxième guerre mondiale. L’un de ces drames, c’est celui de Jolanta Brzeska, une habitante assassinée en 2011 par la mafia des « reprivatisations ».
Sa fille témoignait mardi devant la commission d’enquête parlementaire. Elle a parlé de la crainte permanente dans laquelle vivait sa mère, qui avait décidé de se battre pour elle-même et pour les autres locataires. Son corps carbonisé fut retrouvé le 7 mars 2011, six jours après sa disparition, dans un bois du sud de Varsovie. La fille de la victime a donc rappelé mardi l’attitude curieuse des juges, extrêmement favorables au bénéficiaire de l’immeuble restitué du 9 de la rue Nabielaka qui ne se présentait pas aux audiences et qui n’avait à en subir aucune conséquence. Elle a aussi rappelé l’indifférence de la mairie sourde aux appels à l’aide des habitants. Mais plus encore que le sort de ce bien immobilier et l’assassinat d’une de ces habitantes qui avait osé résister au « Système », ce qui choque, c’est l’attitude de l’État polonais à l’époque où l’actuel président du Conseil européen Donald Tusk était premier ministre et où le parquet était en théorie indépendant. Malgré l’évidence, les enquêteurs ont d’abord « pensé » à un suicide, avant que l’enquête ne soit finalement close en avril 2013. Seul élément de consolation pour la Plateforme civique (PO) de Donald Tusk : la décision de restitution de l’immeuble de la rue Nabielaka datait de janvier 2006, quand Lech Kaczyński (PiS) était président de la Pologne et avait justement laissé sa place de maire de Varsovie à un commissaire nommé par le gouvernement en attendant les prochaines élections municipales. Car si les choses ne se sont pas arrangées depuis que l’actuelle maire Hanna Gronkiewicz-Waltz est aux commandes de la ville, le problème des « reprivatisations » sauvages, lié à l’incapacité du parlement polonais à légiférer dans ce domaine depuis maintenant 27 ans, existait déjà avant elle.
Le 19 août 2016, le ministre de la Justice Zbigniew Ziobro (PiS), devenu procureur général suite à une des premières réformes du PiS qui a regroupé les deux fonctions, rouvrait l’enquête sur l’assassinat de Jolanta Brzeska. C’est ainsi que le parquet s’est aperçu que la première enquête avait été littéralement sabotée : hypothèse de l’homicide non envisagée (!), fouilles approximatives de l’endroit où le corps avait été retrouvé (un promeneur y a retrouvé plus tard des morceaux de vêtements de la victime), enregistrements de vidéosurveillance non réquisitionnés à temps, etc. C’est pourquoi, parallèlement à la nouvelle enquête, une procédure disciplinaire a été engagée contre les procureurs qui avaient eu à superviser l’enquête de 2011-2013. Mardi, le vice-ministre de la Justice Patryk Jaki, qui préside les travaux de la commission d’enquête parlementaire, a exprimé devant la fille de Jolanta Brzeska sa honte pour ce qu’avait fait l’État polonais.
Et pourtant, les institutions européennes et les grands médias étrangers n’ont commencé à s’inquiéter pour le respect de l’État de droit en Pologne qu’après la victoire du PiS aux élections d’octobre 2015. Cherchez l’erreur…