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Quand une Norvégienne demande l’asile en Pologne

Temps de lecture : 6 minutes

Par Olivier Bault.

Pologne – Aujourd’hui en Europe, la liberté est à l’Est. La preuve par la Norvégienne Silje Garmo qui a demandé l’asile en Pologne.

La Pologne va-t-elle accorder l’asile à la Norvégienne Silje Garmo et à sa fille Eira de 16 mois qui fuient les services sociaux de leur pays ? Le ministre des Affaires étrangères Jacek Czaputowicz a depuis plusieurs mois déjà sur son bureau un avis favorable à la demande d’asile de la Norvégienne émis par l’Office des étrangers de Pologne. Après enquête et examen du dossier, ce dernier a confirmé que les droits fondamentaux de Mme Garmo sont menacés en Norvège dans la mesure où sa fille aînée Frøya, aujourd’hui âgée de presque 13 ans, lui a déjà été retirée sans respecter ses droits à une défense équitable et dans la mesure où l’Office de protection des droits des enfants (Barnevernet) norvégien cherche à lui enlever sans raison valable sa fille cadette. Pour obtenir l’asile en Pologne, l’avis favorable de l’Office des étrangers ne suffit cependant pas et c’est le ministre des Affaires étrangères – et donc le gouvernement – qui décide en dernier recours. La décision du ministre Czaputowicz aurait dû tomber en février, mais la maman norvégienne qui a trouvé refuge avec son deuxième enfant près de Varsovie a été informée d’un report du délai d’abord à la mi-avril puis à la fin mai. Pourtant, la réputation du Barnevernet n’est plus à faire en Pologne comme dans les autres ex-pays de l’Est qui ont une diaspora dans la riche monarchie pétrolière scandinave. Le gouvernement de Mateusz Morawiecki craindrait-il qu’octroyer l’asile à des citoyens norvégiens qui le méritent pourrait peser sur l’approvisionnement futur de la Pologne en gaz norvégien ? D’un autre côté, l’affaire de cette Norvégienne et les pratiques du Barnevernet sont très médiatisées en Pologne, et exposer Silje Garmo à être extradée et séparée de sa fille par les autorités norvégiennes, alors que les pédiatres et psychiatres polonais ont confirmé qu’il n’y avait aucune raison de retirer la garde de son enfant à cette mère, pourrait avoir des conséquences désastreuses pour l’image du PiS chez ses électeurs généralement très attachés aux droits des familles.

En date du 11 mai, un député du PiS préparait une interpellation parlementaire pour demander officiellement au ministre pourquoi il tarde tant à accorder l’asile à Mme Garmo et sa fille. Outre le soutien ouvert de plusieurs parlementaires polonais, Mme Garmo peut compter sur l’assistance de l’organisation d’avocats et juristes pro-vie et pro-famille Ordo Iuris qui l’a aidée à présenter sa demande d’asile. Ordo Iuris défendait déjà depuis plusieurs années les familles polonaises victimes des pratiques abusives du Barnevernet en Norvège et les avocats de l’ONG préparent aujourd’hui d’autres demandes d’asile de familles norvégiennes réfugiées en Pologne.

Silje Garmo a également reçu le soutien du député tchèque au Parlement européen Tomáš Zdechovský qui a écrit au ministre polonais. Tomáš Zdechovský s’intéresse de près aux pratiques du Barnevernet depuis qu’il a pris la défense de sa compatriote Eva Michaláková. Les deux enfants du couple Michalák ont été enlevés par les services norvégiens de protection des droits des enfants en 2011 et placés dans deux familles d’accueil différentes. À ce jour, Mme Michaláková n’a pas pu récupérer ses enfants bien que les tribunaux norvégiens n’aient pas confirmé les soupçons de violences sexuelles à l’origine de l’enlèvement des enfants par le Barnevernet. L’affaire a même été source de tensions diplomatiques entre la Norvège et la Tchéquie. De la même manière, la récupération rocambolesque d’une Polonaise de 9 ans, placée de force dans une famille d’accueil norvégienne, par le détective privé polonais Krzysztof Rutkowski et son exfiltration en Pologne avec l’aide du consul polonais ont causé en 2011 un incident diplomatique entre Oslo et Varsovie. La Norvège a bien tenté d’obtenir que la fillette lui soit renvoyée de force, mais la justice polonaise a refusé, au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, de céder aux demandes norvégiennes. Aujourd’hui encore, le consul de Pologne en Norvège aide régulièrement à l’évacuation d’urgence vers la Pologne de familles polonaises injustement menacées par le Barnevernet. Le même Rutkowski et son équipe ont également organisé la récupération d’un garçon né en Russie qui avait d’abord tenté d’obtenir l’aide des autorités russes par e-mail (auquel on lui avait interdit l’accès).

Une autre affaire qui avait fait du bruit, c’était l’enlèvement en 2015 par le Barnevernet des cinq enfants d’une famille chrétienne pentecôtiste roumano-norvégienne, les Bodnariu, pour cause de « radicalisation et endoctrinement chrétien » selon les motifs donnés à la famille (d’après cette dernière), officiellement pour cause d’allégations de « punitions corporelles » (en Norvège, même administrer à un enfant une fessée ou lui donner une simple tape sur la main sont des pratiques interdites). Cette fois-là, c’est avec la Roumanie que la Norvège s’est trouvée dans une posture délicate, et cette affaire à en outre suscité une vague de manifestations devant les ambassades norvégiennes dans le monde. Les Bodnariu ont eu plus de chance que les Michalák : dans leur cas les autorités norvégiennes ont fini par céder à la pression internationale et ont restitué les enfants à leurs parents. Pour les jeunes Michalák âgés aujourd’hui de 8 et 13 ans, les contacts avec la mère sont toujours extrêmement limités et surveillés et même le grand-père tchèque des deux enfants n’a pas eu le droit de les revoir une dernière fois avant de mourir en septembre dernier. Dans d’autres cas, le Barnevernet a nui aux relations de la Norvège avec des pays qui vont de la Lituanie à l’Inde en passant par la Russie. Huit affaires concernant les abus des services sociaux norvégiens sont actuellement devant la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg et pourraient donc valoir des condamnations à la Norvège pour ses atteintes au droit au respect de la vie privée et familiale.

La particularité de Silje Garmo, c’est qu’elle est Norvégienne et qu’elle a fui son pays en emportant avec elle, puis en accumulant avec l’aide de l’organisation polonaise Ordo Iuris, un certain nombre de preuves des pratiques illégales et abusives du Barnevernet, ce qui explique peut-être l’acharnement particulier avec lequel les autorités norvégiennes la poursuivent. Si elle obtient l’asile en Pologne, ce sera la première fois depuis la Deuxième guerre mondiale qu’un citoyen de ce pays habitué à donner des leçons de droits de l’homme aux autres obtiendra l’asile dans un autre pays européen.

Les pressions internationales s’accumulent donc sur le gouvernement norvégien qui avait promis de s’attaquer à la réforme nécessaire de son système de protection de l’enfance mais qui n’a toujours rien fait. Le 27 avril, la Commission des affaires sociales, de la santé et du développement durable de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté un rapport préparé par Valeriu Ghiletchi, vice-président du parlement de Moldavie. Ce rapport, très critique vis-à-vis des abus du Barnevernet et de ses atteintes aux droits des enfants et des familles, avait été commandé au parlementaire moldave à cause de l’affaire Bodnariu. Il appelle la Norvège et les autres États membres du Conseil de l’Europe à retrouver un meilleur équilibre entre l’intérêt de l’enfant tel qu’il peut être perçu par les services de l’État et la nécessité de respecter, sauf absolue nécessité, le droit des enfants à ne pas être séparés de leurs parents contre leur volonté.

Le fait est que si la Norvège commet sans doute les pires violations dans ce domaine au nom d’une conception totalitaire de l’éducation des enfants, avec un État qui prend le pas sur les parents, d’autres pays en Europe, notamment en Europe occidentale, suivent la même voie. C’est le cas en Allemagne avec le Jugendamt, qui fonctionne sur le même modèle que le Barnevernet norvégien où la « protection » des enfants relève des municipalités, et dont les abus fait régulièrement la Une des médias polonais en raison de l’importance de l’émigration polonaise dans ce pays, ce qui, depuis l’arrivée du PiS au pouvoir, suscite des interventions régulières du gouvernement polonais auprès des autorités allemandes. Mais c’est aussi le cas d’autres pays, y compris de la France, dont les citoyens pourraient aussi vouloir demander l’asile dans l’ex-Europe de l’Est, généralement plus respectueuse de l’autonomie des familles par réaction à l’expérience du communisme, si la Pologne crée un précédent en accordant l’asile à Silje Garmo et sa fille. Et c’est peut-être ce que craint le gouvernement polonais car cela ne manquera pas de créer des tensions avec les pays d’origine de ce nouveau type de réfugiés.

Profitant de son statut consultatif auprès du Conseil économique et social de l’ONU, l’ONG pro-famille polonaise Ordo Iuris n’agit d’ailleurs pas uniquement en Norvège mais également dans d’autres pays européens. Elle est par exemple intervenue récemment auprès du Haut-Commissaire aux droits de l’Homme de l’ONU en faveur du petit Alfie Evans qu’un hôpital britannique avait, malgré l’opposition de ses parents mais avec le soutien des tribunaux, privé de soins pour accélérer sa mort. Pour son combat contre les pratiques du Barnevernet et son action en faveur des familles en Pologne et en Europe, l’organisation juridique polonaise Ordo Iuris a reçu cette année le prix de la défense des familles de la Coalition chrétienne de Norvège (KKN).