Par Nicolas de Lamberterie.
Tchéquie : le Premier ministre Andrej Babiš soutient Orbán et désavoue sévèrement ses députés européens – une illustration de la jeunesse du groupe de Visegrád 2.0
Tchéquie – L’adoption du rapport Sargentini contre la Hongrie (contestée par le gouvernement hongrois en raison du mode de calcul de la majorité requise des 2/3) a provoqué des vagues politiques tout au long de la semaine dans plusieurs partis politiques en Europe. On pense ainsi aux Républicains en France, dont seulement 3 des 20 élus ont voté contre le rapport Sargentini, ce dont les concurrents politiques de LR à droite (Nicolas Dupont-Aignan ; le Rassemblement National) se servent comme argument en vue de la campagne des européennes qui s’ouvre.
Mais la ligne de fracture s’est en réalité vu dans toute l’Europe, et pas uniquement d’ailleurs au sein des élus du PPE. C’est notamment le cas en République Tchèque.
Babiš règle ses comptes
Peu après l’adoption du vote, l’analyse proposée par le Visegrád Post du comportement des députés selon leur groupe politique, leur pays ou l’orientation de leur gouvernement, montrait qu’un certain nombre d’élus dont les partis sont souvent identifiés comme des alliés de Viktor Orbán (en raison de positionnements concordants sur la crise migratoire notamment) ne s’étaient pas rangés du côté du Premier ministre hongrois.
Parmi les défections étonnantes, celles des élus européens du parti tchèque ANO 2011 du Premier ministre Andrej Babiš, homme d’affaires milliardaire que l’on pourrait qualifier de libéral-populiste. Ses eurodéputés siègent toutefois dans le groupe ALDE présidé par Guy Verhofstadt, adversaire déclaré de Viktor Orbán et partisan de l’Europe libérale-libertaire et de l’ouverture des frontières.
En raison du positionnement hostile à l’immigration et aux quotas, le vote des eurodéputés du parti d’Andrej Babiš a pu surprendre. Rapidement, des commentaires sont apparus sur ce vote en République Tchèque, d’autant que sur un total de 21 eurodéputés tchèques il y a tout de même eu 10 votes contre le Rapport Sargentini (dont ceux des élus du Parti communiste) pour 1 abstention, 1 absent lors du vote, et 9 votes pour.
En 2014, l’ANO 2011 a obtenu 4 députés européens : Pavel Telička (également vice-président du Parlement européen), Petr Ježek, Dita Charanzová, Martina Dlabajová. En 2018, s’ils siègent toujours tous au groupe ALDE, deux ont quitté le parti d’Andrej Babiš : Pavel Telička et Petr Ježek.
Rapidement, le Premier ministre Andrej Babiš s’est exprimé pour réaffirmer son soutien à Viktor Orbán. Louant l’action d’Orbán pour son action contre l’immigration illégale et le respect des règles (défense des frontières extérieures de l’Union) : « Nous sommes alliés et le V4 fonctionne ».
Il s’est nettement désolidarisé du vote des députés européens de l’ANO, précisant qu’ils ne seraient plus élus dans un an, se désolant de leur vote mais précisant que leur vote n’engage qu’eux.
Parmi les autres élus européens de Tchéquie ayant voté le rapport Sargentini, on trouve Miroslav Poche du Parti social-démocrate tchèque (ČSSD). Le ČSSD est le partenaire minoritaire de coalition gouvernementale de l’ANO. Miroslav Poche était pressenti pour occuper le poste de Ministre des Affaires étrangères au sein du gouvernement Babiš : « M. Poche ne sera pas ministre, c’est un débat futile » a commenté Babiš.
Une démonstration que le groupe de Visegrád 2.0 est encore jeune
Pour rappel, le groupe de Visegrád créé en 1991 avait atteint en 2004 l’ensemble de ses objectifs initiaux avec l’intégration de ses membres (Hongrie, Slovaquie, Tchéquie, Pologne) dans l’OTAN et l’Union européenne. Son utilité et son activité étaient réduites, d’autant que des tensions persistaient en son sein (en particulier entre la Hongrie et la Slovaquie sur la question de la minorité hongroise de Slovaquie, avec de ponctuelles montées en tensions souvent créées de façon artificielle dans des stratégies politiques).
Ce n’est qu’en 2015 que le groupe de Visegrád est réapparu sur le devant de la scène avec la crise migratoire et la volonté de l’Union européenne d’instaurer un système de répartition par quotas des migrants dans l’ensemble des pays de l’Union européenne.
Cette soudaine prise de conscience d’intérêts communs entre les pays d’Europe centrale a ainsi réactivé un groupe de Visegrád peu ou prou oublié et délaissé, et qui connait une mutation encore en gestation pour devenir une sorte de syndicat de défense des intérêts de ces pays économiquement exploités au sein de l’Union européenne (en premier chef par l’Allemagne).
Au-delà de la sensible question migratoire – qui n’est au demeurant en l’état que relative puisque les migrants dans leur quasi-unanimité ne sont pas désireux de s’installer dans les pays d’Europe centrale à salaires modestes – le groupe de Visegrád s’est également mobilisé sur la question de la qualité des produits de l’industrie agro-alimentaire distribués dans leurs pays (souvent de qualité moindre, et de prix au moins égal).
Pour revenir à la situation tchèque évoquée plus haut, il faut se rappeler que la dernière élection européenne en date a eu lieu en mai 2014, donc avant la crise migratoire de 2015 et la réactivation de Visegrád.
Les eurodéputés de ces pays ont donc été élus avant 2015, ce qui peut expliquer qu’un certain nombre d’entre eux agissent en dehors des directives politiques de leurs partis quant à la volonté de solidarité politique entre les chefs de gouvernement des pays du V4, ou que leur fidélité politique soit davantage acquise au groupe parlementaire dans lequel ils siègent qu’aux directives nationales.
L’élection européenne de 2019 pourrait donc constituer un moment de mise en adéquation de la composition des délégations des partis au Parlement européen et la volonté des partis politiques nationaux qui les désignent pour siéger à Bruxelles. Dans d’autres cas, ce sera aussi l’heure où les masques tomberont définitivement.