Un article d’Olivier Bault.
Cet article a été publié originellement sur Kurier.plus.
Selon les prévisions de la Commission européenne, la Pologne et la Hongrie auront la deuxième plus forte croissance de l’UE cette année, après Malte. La Commission a revu à la hausse ses prévisions pour la Pologne et la Hongrie où elle prévoit désormais un PIB en hausse de 4,4% en 2019. Déjà, les données Eurostat montrent que le PIB polonais a augmenté de 1,5% au premier trimestre 2019. C’était la troisième plus forte croissance trimestrielle de toute l’UE, après l’Irlande, à 2,4%, et la Croatie, à 1,8%. La Hongrie était troisième ex-aequo avec la Pologne, avec elle aussi une croissance de 1,5% au premier trimestre. À titre de comparaison, la croissance trimestrielle a été de 0,5% pour toute l’UE et de 0,4% dans la zone euro, dont la Hongrie et la Pologne ne font pas partie. Sur un an, entre le premier trimestre 2018 et le premier trimestre 2019, le PIB polonais a crû de 4,7%, ce qui était la sixième plus forte croissance de l’UE après l’Irlande (6,3%), la Hongrie (5,3%), la Roumanie (5,0%), la Bulgarie (4,8%) et Malte (4,9%). Pour l’ensemble de l’UE, la croissance au premier trimestre 2019 était de 1,5% sur un an, contre seulement 1% pour les 19 pays de la zone euro.
La production industrielle est elle aussi en forte croissance en Pologne et en Hongrie, à 5,1% et 6,1% respectivement entre mai 2018 et mai 2019, malgré la stagnation qui a affecté l’UE (+0,4%) et plus encore la zone euro (–0,5%) durant la même période.
Grâce à leur croissance économique soutenue, la Pologne et la Hongrie connaissent par ailleurs des taux de chômage historiquement bas, à des niveaux jamais atteints depuis la chute des régimes communistes en 1989. Calculé selon la méthodologie Eurostat, le chômage était en mai respectivement à 3,8% et 3,4% dans ces deux pays d’Europe centrale, contre 6,3% pour l’ensemble de l’UE et 7,5% dans la zone euro.
En même temps, et malgré des politiques sociales plus généreuses que sous les gouvernements précédents ainsi que d’ambitieux programmes de soutien aux familles destinés à relancer la natalité, les gouvernements conservateurs de droite en place depuis 2015 en Pologne et 2010 en Hongrie ont beaucoup réduit les déficits publics.
Ceci a pour conséquence une réduction significative de la dette publique qui, en 2018, ne représentait plus que 48,9% du PIB en Pologne et 70,8% du PIB en Hongrie.
À titre de comparaison, en 2018 le déficit des finances publiques équivalait à 0,6% du PIB en moyenne dans l’UE et à 0,5% du PIB dans la zone euro, avec une dette publique à 80% du PIB dans l’UE et 85,1% du PIB dans la zone euro.
Hongrie contre Grèce
Gouvernée par la coalition Fidesz-KDNP depuis 2010, après huit ans de coalition des socialistes et des libéraux, la Hongrie en particulier a parcouru un long chemin depuis 2008, quand elle avait été contrainte de se tourner vers le FMI deux ans avant la Grèce. C’était pendant la crise financière qui avait éclaté en 2007 et qui avait frappé très durement la Hongrie à cause de la mauvaise gestion des années antérieures. Dans un article intitulé « The rise and fall of Hungary » (L’ascension et la chute de la Hongrie) publié en 2008, le journal anglais The Guardian expliquait que la dette publique, alimentée notamment par le déficit record à 9,6% du PIB en 2006, une année électorale, était passée de 52% en 2001 à 66% en 2007 (contre 45% en Pologne et 29% en Tchéquie et en Slovaquie). Les dépenses publiques représentaient alors plus de 50% du PIB, soit bien plus que dans les autres pays d’Europe centrale, avec des impôts très élevés et un des taux d’emploi les plus bas en Europe. Le Guardian poursuivait ainsi : «Des États-membres de l’UE en Europe centrale, la Hongrie a été le plus durement frappé à cause de sa dette publique massive si largement entre des mains étrangères», et c’est pourquoi «il est devenu clair que, sans aide extérieure, le gouvernement pourrait avoir de gros problèmes pour financer ses dépenses. Il a été forcé de se tourner vers le FMI et a accepté des conditions en vertu desquelles, malgré l’économie en récession, il doit tailler dans ses dépenses et viser un déficit de 2,6% en 2009. Ainsi, alors que les grandes économies discutent de programmes onéreux pour dynamiser la croissance, la Hongrie doit se serrer la ceinture.»
En d’autres termes, au début de la crise financière, la Hongrie se trouvait dans une situation proche de celle de la Grèce à laquelle elle était souvent comparée.
Certes, en 2007, l’année où a éclaté la crise financière, la Hongrie avait un déficit budgétaire de 5% du PIB contre 6,7% pour la Grèce, et la dette publique hongroise était à 65,5% du PIB contre 103% pour la dette grecque. La Grèce était néanmoins un pays nettement plus riche que la Hongrie en 2007, avec un PIB par habitant de 22.700€, soit 86% de la moyenne de l’UE, contre 10.400€ par habitant en Hongrie, soit 39% de la moyenne de l’UE.
Les graphiques ci-dessus montrent le PIB nominal par habitant en euros. Un calcul du PIB en termes de parité du pouvoir d’achat (PIB-PPA), qui prend en considération le pouvoir d’achat des gens chez eux, dans la monnaie de leur pays, montre que les Hongrois sont en fait devenus plus riches que les Grecs pendant la période qui s’est écoulée depuis la crise financière de 2007-2008. Les graphiques Eurostat ci-dessous font apparaître le PIB-PPA par habitant en Hongrie et en Grèce en pourcentage de la moyenne de l’UE.
Contrairement à la Grèce, quand la crise financière de 2007-08 a éclaté, la Hongrie n’avait pas adopté l’euro et avait donc toujours sa propre monnaie. Elle avait originellement prévu d’adopter l’euro en 2007 ou 2008, mais en raison des importants déficits de la première décennie du XXIe siècle et du ralentissement consécutif à l’introduction de mesures d’austérité par le premier ministre Ferenc Gyurcsány, après les élections de 2006, les critères de Maastricht n’étaient pas respectés. Un premier projet de plan pour l’adoption de l’euro fut malgré tout présenté en 2008. Mais ensuite, après la victoire écrasante de la coalition Fidesz-KDNP aux élections de 2010, le premier ministre Viktor Orbán déclara d’abord en 2011 que la Hongrie n’était pas encore prête et qu’elle ne pourrait pas adopter l’euro avant 2020. Ensuite, en 2013, il annonça que l’adoption de l’euro ne se ferait pas tant que le PIB par habitant hongrois n’aurait pas atteint 90% de la moyenne de la zone euro. C’est très similaire à ce qu’ont déclaré les dirigeants du parti Droit et Justice (PiS) en Pologne, et qui a été redit par le premier ministre Mateusz Morawiecki en janvier dernier, à savoir que la Pologne rejoindra la zone euro quand les Polonais auront des revenus proches de ceux des Allemands.
Ainsi, à la différence de la Grèce qui n’avait plus sa propre monnaie, la Hongrie n’a pas eu à mettre en œuvre les plans d’austérité drastiques imaginés à Bruxelles par une troïka constituée de la Banque centrale européenne (BCE), la Commission européenne et le Fonds monétaire international (FMI). La gestion à distance par la troïka a fait perdre à la Grèce plus du quart de son PIB tandis que sa dette publique atteignait le niveau historiquement élevé de 181% l’année dernière, avec un chômage en légère baisse mais toujours à 18% de la population active.
À moins d’abandonner l’euro, la Grèce devra probablement « galérer pendant les années 2020 et jusqu’au début des années 2030 en restant au bord de l’insolvabilité sous la tutelle d’un commissaire étranger », pour reprendre les termes du journal anglais The Telegraph l’année dernière, dans un article qui citait les propos suivants d’un expert du FMI : « Quand la crise a commencé en 2010, la dette représentait 120% du PIB. Huit ans plus tard, c’est 180% et l’économie grecque a été réduite du quart. Le résultat n’aurait pas pu être pire et le problème n’a absolument pas été résolu. »
Pendant ce temps, après que le gouvernement d’Orbán eut annulé les mesures imposées à la Hongrie par le FMI, en 2013 tout le solde restant de la dette liée au prêt de 2008 a été remboursé en avance au FMI. En outre, pendant la crise financière, le cours du forint hongrois a pu fluctuer librement en fonction de la situation économique et financière du pays, ce qui a donné à ses entreprises un avantage compétitif au moment où elles en avaient le plus besoin. Un avantage utile en tant de crise auquel la Grèce avait définitivement renoncé lorsqu’elle était passée à l’euro en 2001.
La Pologne a rattrapé la Hongrie
Si la Pologne était dans une bien meilleure situation financière que la Hongrie et la Grèce en 2007, après deux ans de gouvernements de coalition dirigés par le PiS, et avec les libéraux de la Plateforme civique (PO) qui sont arrivés au pouvoir cette année-là aux côtés du PSL, pour une période qui allait durer jusqu’en 2015 (après une nouvelle victoire électorale sous Donald Tusk en 2011), les fluctuations de la monnaie nationale ont aussi beaucoup aidé l’économie polonaise après la crise financière de 2007-2008.
En 2007, le gouvernement de Donald Tusk avait en réalité fait de l’adoption de l’euro l’un de ses objectifs stratégiques, et une feuille de route vers l’euro a même été élaborée en octobre 2008, avec l’intention de remplacer le zloty polonais par la monnaie européenne dès 2011. Le président Lech Kaczyński et le parti Droit et Justice (PiS) étaient contre l’idée de fixer une date pour le passage à l’euro. Le leader du PiS Jarosław Kaczyński estimait qu’adopter l’euro dans ce délai était « très risqué » et conduirait inévitablement à un appauvrissement de la société polonaise. Avec la crise financière et la détérioration des finances publiques, en 2009 il était devenu clair que la Pologne n’adopterait pas l’euro à l’échéance prévue. Par la suite, Tusk a abandonné l’idée de fixer un délai pour le passage à l’euro car les sondages faisaient ressortir une nette majorité de Polonais en faveur de conserver la monnaie nationale.
Grâce à sa croissance ininterrompue, quoique ralentie, pendant la crise financière, la Pologne, qui était jusqu’ici le pays le plus pauvre du V4, a même pu rattraper la Hongrie en termes de PIB nominal par habitant.
Cette constatation vaut aussi en termes de parité de pouvoir d’achat en pourcentage de la moyenne des 28 :
Après la Grèce, le Portugal est le prochain pays de la zone euro que la Pologne et la Hongrie vont très probablement dépasser en termes de PIB par habitant calculé selon la parité de pouvoir d’achat :
L’euro a surtout bénéficié à l’Allemagne au détriment des autres pays de la zone euro
La crise financière de 2007-2008 et ses conséquences pour la Grèce ne sont pas les seules raisons de penser que la Pologne et la Hongrie ont eu raison de ne pas rejoindre la zone euro. Le transfert de souveraineté accompagnant l’adoption de la monnaie européenne a bien sûr des implications politiques, ce qui est devenu très visible avec le rejet l’année dernière par la Commission européenne du projet de budget italien à cause d’un déficit équivalant à 2,4% du PIB, tandis que la même Commission européenne a ensuite accepté le dépassement par la France de la barre des 3% du PIB en invoquant parmi d’autres raison le fait que le président Emmanuel Macron « reste un ferme partisan de l’Union européenne ». Mais même si on laisse de côté la question des conséquences politiques de l’attribution de pouvoirs supplémentaires à Bruxelles, force est de constater que l’appartenance à la zone euro a jusqu’ici surtout bénéficié à l’Allemagne et a nui à la plupart des autres pays.
C’est particulièrement criant à la lumière de la production industrielle. Tandis que la part de l’industrie dans l’économie est restée stable en Allemagne, elle s’est fortement réduite en France, en Italie et en Espagne. Selon les données Eurostat, sur la période 1995-2015, la part de la production industrielle dans le PIB de la France a chuté de 26,6%, tandis que la baisse était de 21,3% en Italie et de 15,9% en Espagne. Sur la même période, la part de l’industrie dans le PIB polonais a augmenté de 8,2%, et en 2016 l’industrie (hors BTP) comptait pour 25,6% du PIB en Pologne, 25,9% en Hongrie, 25,8% en Allemagne, 19,4% en Italie, 17,7% en Espagne et seulement 13,4% en France. Ainsi, au sein de la zone euro, l’Allemagne a encore accru sa domination industrielle antérieure, et nombreux sont les économistes qui estiment que la monnaie unique est une cause majeure de ce déséquilibre.
S’exprimant en mai 2017 à une conférence organisée au Parlement polonais par le Mouvement politique chrétien européen (ECPM), l’économiste britannique Michael Schluter, ancien consultant de la Banque mondiale, estimait à environ 160 milliards d’euros par an le transfert de richesse des pays du sud de la zone euro vers ceux du nord.
Une étude publiée cette année pour le 20e anniversaire de l’euro par le think-tank allemand Centrum für Europäische Politik est venue confirmer que la monnaie unique avait fait des gagnants et des perdants parmi les huit pays couverts (Allemagne, Pays-Bas, Belgique, France, Espagne, Portugal, Italie et Grèce). Selon ses auteurs, l’Allemagne a été le premier gagnant de l’introduction de l’euro, la monnaie unique ayant ajouté 1893 milliards d’euros à son PIB entre 1999 et 2017, soit un gain net de 23.116€ par habitant. Les Pays-Bas sont le deuxième gagnant avec un gain net de 21.003€ par habitant grâce à l’euro. Chose étonnante, les Grecs sont supposés avoir eux aussi bénéficié de l’euro, même si c’est très peu, avec un gain de 190€ par habitant. L’économiste Matthias Kullas explique cela par le fait que la Grèce s’est beaucoup enrichie entre 2001 et 2010 grâce à l’adoption de l’euro. Tous les autres pays étudiés ont été perdants. En termes de PIB par habitant, sur la période 1999-2017 la perte s’est montée à 5.031€ en Espagne, 6.370€ en Belgique, 40.604€ au Portugal, 55.996€ en France et 73.605€ en Italie.
PIB par habitant selon la parité de pouvoir d’achat (UE = 100)
Les données mises en relief par cette étude expliquent peut-être pourquoi c’est l’Italie, et non la Grèce, qui est aujourd’hui suspectée de préparer une possible sortie de l’euro. La perspective d’une nouvelle crise de l’euro déclenchée par l’Italie est une raison de plus pour que des pays comme la Pologne et la Hongrie n’envisagent pas d’adopter la monnaie unique européenne dans un avenir proche.
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