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Immigration vers l’UE en hausse, mais pas de relocalisation malgré le changement de camp (temporaire) de l’Italie

Temps de lecture : 9 minutes

Par Olivier Bault.

Cet article a été publié originellement sur Kurier.plus, le site de l’Institut Felczak de coopération polono-hongroise.

Union européenne – Salvini a, au moins pour le moment, échoué dans sa tentative pour déclencher de nouvelles élections en Italie. Des élections qui lui auraient sans nul doute permis de devenir le nouveau Premier ministre d’un gouvernement de coalition de droite dominé par la Ligue. L’ancien partenaire « anti-système » de la Ligue, le Mouvement 5 étoiles (M5S), est parvenu contre toute attente à former une coalition avec le Parti démocrate (PD) des anciens Premiers ministres Matteo Renzi et Paolo Gentiloni. Face aux sondages, les deux partis étaient prêts à tout pour éviter de nouvelles élections législatives. Ainsi, en septembre, l’Italie a changé de camp sur le front de l’immigration et elle a décidé, en même temps que Malte, de soutenir le nouveau plan franco-allemand pour la relocalisation des migrants. Combien de temps ce deuxième gouvernement Conte peut durer est une autre affaire, en particulier si l’immigration illégale continue de croître comme c’est le cas depuis la réouverture des ports italiens. Des tensions se font déjà sentir entre les partenaires de la nouvelle coalition puisque, confronté au rejet du plan franco-allemand par une majorité des pays de l’UE et aussi aux restrictions posées à ce plan de relocalisation par la France et l’Allemagne elles-mêmes, le M5S résiste aux appels du PD en faveur de politiques encore plus favorables aux immigrants illégaux. Pendant ce temps, l’immigration depuis la Turquie vers la Grèce augmente rapidement, et le spectre d’une nouvelle crise migratoire dans les Balkans pointe à nouveau à l’horizon, avec un président turc qui menace d’envoyer des millions de réfugiés vers l’Europe.

Le nouveau plan de relocalisation franco-allemand rejeté par le Conseil

En juillet, quelques jours seulement après que les 28 avaient échoué à se mettre d’accord sur un plan d’action commun au Conseil Justice et Affaires intérieures d’Helsinki, le président français Emmanuel Macron, à la sortie d’une réunion informelle d’une « coalition des pays de bonne volonté » à Paris, annonçait que 14 pays, y compris le duo franco-allemand, avaient convenu de participer à un nouveau mécanisme de relocalisation automatique dont la vocation était de remplacer le défunt mécanisme de relocalisation obligatoire. Cependant, il a été aussi dit que seuls 8 de ces pays avaient accepté de participer « activement » à cette redistribution automatique : la France, l’Allemagne, la Finlande, le Luxembourg, le Portugal, la Lituanie, la Croatie et l’Irlande. Les six autres pays n’ont même pas été nommés. À ce stade, l’Italie et Malte proposaient un plan concurrent qui mettait l’accent sur la protection des frontières extérieures de l’UE au lieu de se concentrer sur la relocalisation des demandeurs d’asile récupérés en Méditerranée. Le Premier ministre maltais, Joseph Muscat, annonçait pour septembre une nouvelle réunion dans la capitale de son pays, La Valette, entre les ministres de l’Intérieur de France, d’Allemagne, d’Italie et de Malte. Lorsque cette réunion a eu lieu le 23 septembre, l’Italie avait déjà un nouveau gouvernement et Salvini n’était plus ministre de l’Intérieur et vice-Premier ministre. À La Valette, les quatre pays ont donc semblé se mettre d’accord sur le plan de redistribution franco-allemand puisqu’ils ont signé une « déclaration d’intention conjointe sur une procédure d’urgence contrôlée – engagements volontaires des États membres en faveur d’un mécanisme de solidarité temporaire prévisible ». Néanmoins, les Français et les Allemands ont insisté pour que ce plan de relocalisation rebaptisé « mécanisme de solidarité temporaire » ne s’applique qu’aux immigrants illégaux susceptibles d’obtenir l’asile. Or seule une minorité des immigrants débarqués dans les ports italiens répondent à ce critère. En outre, le plan franco-allemand ne concernait que les immigrants illégaux débarqués par les navires des ONG et des marines européennes, à l’exclusion de ceux qui font la traversée avec les moyens fournis par les passeurs, comme c’est le cas par exemple pour une partie des immigrants arrivant depuis la Tunisie sur l’île italienne de Lampedusa. Dès après la réunion de La Valette, l’opposition italienne estimait donc que le gouvernement Conte II s’était fait avoir et n’avait en réalité pas obtenu grand-chose de nouveau. Pour empirer les choses, juste avant la présentation de ce plan aux autres pays de l’UE lors du Conseil qui devait se tenir à Luxembourg le 8 octobre, le ministre allemand de l’Intérieur, Horst Seehofer, a prévenu que le plan convenu à La Valette ne s’appliquerait qu’à la condition que l’immigration illégale n’augmente pas trop. Si le nombre d’immigrants venait à s’accroître fortement, a prévenu Seehofer, alors le nouveau plan de relocalisation serait suspendu car il n’avait pas pour but de devenir un facteur d’attraction de plus. Une telle possibilité est en fait prévue dans le dernier paragraphe de la déclaration conjointe de La Valette, mais en le réaffirmant à haute voix juste avant le Conseil de Luxembourg, Seehofer a rendu les Italiens furieux et a en même temps implicitement reconnu le bien-fondé d’un des principaux arguments avancé contre la relocalisation depuis 2015 par le Groupe de Visegrád (aussi appelé V4 : Pologne, Tchéquie, Slovaquie et Hongrie), à savoir que la relocalisation des immigrants dans toute l’UE risque de devenir un facteur d’attraction supplémentaire pour l’immigration illégale. Dans un tel contexte, les menaces de sanctions financières du président Macron, formulées après la réunion de juillet à Paris et après celle de septembre à La Valette contre les pays qui refuseraient de participer à ce mécanisme franco-allemand « volontaire », ne paraissaient pas très sérieuses. Et il semble d’ailleurs qu’elles n’aient pas été prises au sérieux à la réunion du 8 octobre à Luxembourg. En effet, seuls trois pays ont apporté leur soutien actif au plan adopté le 23 septembre par l’Allemagne, la France, l’Italie et Malte : l’Irlande, le Luxembourg et le Portugal. Cinq autres pays – la Croatie, la Slovénie, la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie – ont accepté le principe d’avoir à accueillir une part des migrants, mais ils ont refusé que ce soit automatique.

Pour ce qui est des autres pays, les quatre pays du Groupe de Visegrád, l’Autriche et le Danemark ont maintenu leur opposition à tout mécanisme de relocalisation. La Finlande, qui préside ce semestre les travaux du Conseil et dont le ministre de l’Intérieur avait participé à ce titre à la réunion du 23 septembre à La Valette, n’a pas souhaité s’engager sur des quotas. La Suède se considère exonérée de l’obligation de solidarité invoquée par la France, l’Allemagne, l’Italie et Malte en raison du nombre élevé d’immigrants qu’elle a déjà accueillis sur son territoire. L’Espagne s’estime elle aussi exonérée du fait de l’afflux d’immigrants illégaux arrivant directement sur son territoire par le Maroc. De leur côté, la Grèce, la Bulgarie et Chypre ont protesté contre l’accord de La Valette parce que celui-ci s’applique uniquement aux immigrants débarqués sur l’île de Malte et en Italie, et pas aux immigrants arrivant en Europe depuis la Turquie.

Le Groupe de Visegrád campe sur ses positions

Au Conseil Justice et Affaires intérieures de Luxembourg, la position de la Pologne est restée inchangée : une politique européenne commune doit se concentrer sur la protection des frontières extérieures et sur la coopération avec les pays d’origine des immigrants. La décision d’accueillir ou non des immigrants ne peut être prise qu’au niveau national. La position de la Hongrie était similaire. Le ministre de l’Intérieur hongrois Sándor Pintér a rappelé à ses partenaires européens que la vraie question était de protéger les frontières extérieures de l’UE. Avant le sommet de Luxembourg, le porte-parole du Fidesz avait prévenu qu’un système de quotas de migrants constituerait une menace pour les villes et les États d’Europe. Est-ce une affirmation exagérée ? Pas si l’on réfléchit aux conséquences potentielles à long terme de l’immigration extra-européenne, notamment à la lumière des récentes déclarations d’Emmanuel Macron faites dans le contexte de la vague de critiques contre le polémiste Éric Zemmour pour ses propos dénonçant la « colonisation » et « l’islamisation » de la France suite à des décennies d’immigration de masse. Le chef de l’État français s’est en effet inquiété du fait que la France était en train de connaître « une forme de séparatisme » de la part de certaines communautés, et qu’il fallait être prudent dans le choix des mots pour ne pas pousser le pays vers la « guerre civile ». L’idée qu’une guerre civile est désormais possible dans la France multiculturelle n’est pas tout à fait nouvelle. Le prédécesseur de Macron, le socialiste François Hollande, et l’ancien ministre de l’Intérieur de Macron, Gérard Collomb, ont eux aussi en leur temps laissé entendre que la France approchait le point de non-retour. Il n’est donc pas surprenant que les quatre pays du Groupe de Visegrád ne souhaitent pas s’engager dans cette même voie!

De fait, comme ses homologues polonais et hongrois, le ministre de l’Intérieur tchèque a dit à Luxembourg que son pays s’opposait au nouveau plan de relocalisation franco-allemand car un tel mécanisme inciterait un plus grand nombre de migrants à tenter leur chance pour venir illégalement en Europe, ce qui en retour entraînerait la nécessité d’imposer aux pays membres des quotas d’immigrants toujours plus importants. La position du ministre de l’Intérieur slovaque ne différait pas non plus de celle de ses partenaires du V4 : « Nous pouvons aider les pays affectés par l’immigration, que ce soit dans les camps de détention ou les centres pour demandeurs d’asile, mais nous ne sommes pas en faveur d’accroître la pression migratoire sur la route de la Méditerranée ou à travers les Balkans. »

L’immigration illégale en hausse : l’urgence d’une politique d’immigration de style australien

En septembre, pour la première fois cette année, le nombre d’immigrants traversant la Méditerranée centrale était en hausse par rapport au même mois de 2018, avec 2.499 arrivées en septembre 2019 en Italie contre 947 en septembre 2018. Pour la période allant du 1er janvier au 14 octobre 2019, les chiffres totaux restent en baisse, avec 8.395 arrivées contre 23.370 pour toute l’année 2018. Ceci pourrait toutefois changer maintenant que les navires des ONG sont de retour en Méditerranée centrale et que les ports italiens sont à nouveau ouverts, et alors que le gouvernement Conte II a décidé de retirer son soutien financier à l’action du gouvernement libyen de Tripoli contre les passeurs et contre les départs depuis les côtes libyennes. Cette coopération avec Tripoli avait été mise en place par le gouvernement PD de Gentiloni pendant l’été 2017, après le fort recul de la gauche aux élections locales italiennes justement à cause des questions d’immigration.

Après une année catastrophique en 2018, le gouvernement socialiste du Premier ministre Pedro Sánchez a finalement décidé de revenir à la politique de son prédécesseur de centre-droit, Mariano Rajoy. Sánchez a ainsi promis en janvier 2019 de réduire l’immigration illégale de moitié cette année. Le gouvernement espagnol semble en passe d’honorer cette promesse, avec 24.508 arrivées (19.750 par voie de mer et 4.758 par voie de terre dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, frontalières du Maroc) du 1er janvier au 13 octobre 2019, contre 65.383 sur l’ensemble de l’année 2018. Les méthodes mises en œuvre pour y parvenir consistent notamment à éviter les patrouilles actives près des côtes du Salvamento Marítimo, l’autorité espagnole de sauvetage en mer, à empêcher les navires des ONG de naviguer dans la zone et à renforcer la coopération avec le Maroc. La réouverture des ports italiens, qui avait été demandée par l’Espagne, devrait contribuer à réduire encore plus l’afflux d’immigrants illégaux en Espagne, ce qui ne changera malheureusement rien pour l’Europe dans son ensemble.

Pendant ce temps, la Grèce est redevenue la principale porte d’entrée vers l’Europe, avec 50.720 arrivées du 1er janvier au 13 octobre 2019, contre 32.494 de janvier à décembre 2018, et les îles grecques sont à nouveau submergées par la crise migratoire. Ces derniers mois, les dirigeants turcs ont menacé à plusieurs reprises de permettre à des millions de migrants de passer en Europe par la Turquie. On ne peut donc pas exclure la possibilité d’une répétition de la situation de 2015, quand des centaines de milliers d’immigrants illégaux ont traversé les Balkans vers le nord. Déjà, le Premier ministre grec Kyriákos Mitsotákis met la pression sur ses partenaires européens pour réintroduire un système de quotas obligatoires pour la redistribution des migrants, et il voudrait des sanctions européennes contre les pays qui refusent de prendre leur part d’immigrants. Or il ne faut pas oublier que, comme l’a dit le directeur de Frontex lui-même dans une déclaration aux sénateurs français faite en juin 2016, la très forte réduction du nombre d’arrivées par la route de la Méditerranée orientale au début de l’année 2016 était due au « double effet de la fermeture des frontières sur la route des Balkans et de l’entrée en vigueur, le 20 mars, de l’accord passé entre l’UE et la Turquie ». La fermeture des frontières nationales dans les Balkans était consécutive, par effet dominos, à la fermeture des frontières de l’Autriche en février 2016, peu avant l’accord signé en mars avec la Turquie. L’UE fait maintenant pression sur la Turquie pour préserver cet accord, et la Grèce a promis d’accélérer la gestion des demandes d’asile tout en transférant une partie des immigrants illégaux vers le continent. Néanmoins, un plan prévoyant la relocalisation d’un nombre significatif d’immigrants actuellement bloqués en Grèce aurait un effet similaire à la réouverture des frontières sur la route des Balkans. Or, comme l’a implicitement reconnu en 2016 le directeur de Frontex Fabrice Leggeri, ceci contribuerait à accroître à nouveau le nombre d’immigrants, venant ainsi aggraver l’effet du retrait d’Ankara de l’accord UE-Turquie. La raison en est simple : la plupart des migrants qui atterrissent sur les îles grecques ou traversent la frontière terrestre entre la Turquie et la Bulgarie souhaitent aller plus au nord, vers des pays comme l’Allemagne, la Suède, la France ou le Royaume-Uni. C’est aussi vrai pour nombre de migrants arrivant en Italie depuis la Libye, la Tunisie ou l’Algérie, ou encore en Espagne depuis le Maroc. Comme en Italie, il ne s’agit dans la plupart des cas pas de vrais réfugiés mais de gens à la recherche d’une vie meilleure. La Grèce est maintenant confrontée à « un problème d’immigration et pas de réfugiés », a ainsi affirmé récemment le porte-parole du gouvernement grec.

Tandis que le ministre de l’Intérieur allemand Horst Seehofer se prononce en faveur de la relocalisation des immigrants dans les pays de l’UE pour éviter une vague d’arrivée plus importante encore qu’en 2015, le premier ministre hongrois adopte une approche différente puisqu’il promet, dans un entretien pour la télévision hongroise Hír TV, que la Hongrie utilisera la force à sa clôture frontalière s’il le faut pour repousser « ces énormes masses de gens [qui] arriveront à la frontière méridionale de la Hongrie » si la Turquie « ouvre ses portes » comme elle a menacé plusieurs fois de le faire : « Si la Turquie fait partir des centaines de milliers de migrants en plus de ceux-ci [en plus des 90.000 déjà sur la route des Balkans], alors il nous faudra utiliser la force pour protéger la frontière hongroise et je ne souhaite à personne que nous ayons à le faire. »

Comme en 2015, c’est donc sur la route de la Méditerranée orientale que la situation est la plus instable et pourrait dégénérer rapidement. Pour qu’une politique européenne commune puisse fonctionner, elle ne doit pas se fonder sur la relocalisation des immigrants illégaux, qu’il s’agisse de vrais réfugiés ou d’immigrants économiques, mais sur des méthodes comme celles mises en œuvre par l’Australie dans le cadre de son Opération Frontières souveraines. Cette opération lancée en 2013 a en effet permis à l’Australie de mettre un terme à l’immigration illégale par la mer et aux noyades de migrants. La nécessité de transposer les solutions australiennes en Europe est défendue depuis des années par les dirigeants polonais et hongrois. Il semble malheureusement que beaucoup dans l’UE ne veulent pas vraiment mettre fin à l’immigration illégale en provenance d’Afrique et du Moyen-Orient.

 

 

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