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Que faut-il savoir sur le remaniement ministériel polonais ?

Temps de lecture : 5 minutes

Pologne – Remaniement ministériel polonais : coup de volant à droite et en même temps à gauche.

Les discussions auront duré plusieurs mois au point de mettre à mal la coalition Droite unie réunissant le parti Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość, PiS) de Jarosław Kaczyński, le parti Entente (Porozumienie) de Jarosław Gowin et Pologne solidaire (Solidarna Polska) du ministre de la Justice Zbigniew Ziobro. Censé améliorer le fonctionnement du gouvernement de Mateusz Morawiecki en cette période difficile, le remaniement annoncé de longue date ramène finalement le nombre de ministres de vingt à quatorze et voit le chef du PiS entrer au gouvernement, en qualité de vice-premier ministre, à la tête d’un Comité pour la Sécurité de l’État chargé de chapeauter trois ministères : celui de la Défense, celui de l’Intérieur et celui de la Justice. Si le ministre de la Justice Zbigniew Ziobro reste à son poste, Kaczyński semble donc s’être donné le moyen de calmer les initiatives et la rhétorique droitières caractérisant depuis quelques temps le ministre et ses secrétaires d’État, ce qui avait, paraît-il, le don d’agacer le premier ministre Morawiecki plus porté sur l’économie et les finances. Kaczyński supervisera également deux ministres du PiS qui restent à leur poste mais ont parfois pu susciter de l’agacement par leur trop grande indépendance : le ministre de la Défense Mariusz Błaszczak et le ministre de l’Intérieur Mariusz Kamiński.

Quant à Jarosław Gowin, visage centriste de la coalition Droite unie qui avait démissionné au printemps de ses fonctions de vice-premier ministre et ministre de la Recherche et de l’Enseignement supérieur en raison d’un désaccord avec le PiS sur la date et la forme des élections présidentielles en période de pandémie, il revient au gouvernement en qualité de vice-premier ministre et ministre du Développement, du Travail et des Technologies. Son ancien ministère est fusionné avec celui de l’Éducation et sera dirigé par le nouveau ministre de l’Éducation et des Sciences Przemysław Czarnek. Avant même la cérémonie d’investiture du nouveau gouvernement du 6 octobre (après avoir été reportée d’un jour pour tester les participants au coronavirus, Czarnek s’étant avéré atteint de Covid-19), ce dernier s’était déjà attiré les foudres de la gauche en raison de son action passée de voïvode (préfet) de Lublin et de ses déclarations contre l’idéologie portée par le lobby LGBT. Conservateur et catholique sans complexes, Czarnek se défend de vouloir porter un combat idéologique dans l’enseignement, mais revendique le droit de s’opposer à l’offensive idéologique des organisations LGBT dans les écoles. Alors que le PiS se voit reprocher cinq ans d’inaction dans ce domaine, le nouveau ministre promet déjà de veiller à empêcher l’entrée des « éducateurs sexuels » du lobby LGBT dans les établissements scolaires et de rétablir la liberté d’expression et de recherche dans les universités polonaises qui, comme celles d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord, souffrent de plus en plus d’une véritable dictature idéologique imposée par une caste universitaire de gauche. Avec le non moins conservateur ministre des Affaires étrangères Zbigniew Rau (fondateur d’un Centre de recherche sur la pensée politique et juridique Alexis-de-Tocqueville), Przemysław Czarnek est le visage du virage à droite du nouveau gouvernement Morawiecki.

Mais ce nouveau gouvernement opère en même temps un virage à gauche avec la nomination à la tête du ministère de l’Agriculture de Grzegorz Puda, qui compte parmi les promoteurs d’une loi sur la protection des animaux qualifiée comme étant typiquement de gauche, voire d’extrême gauche, et à laquelle s’opposait le précédent ministre de l’agriculture Jan Krzysztof Ardanowski. Et c’est d’ailleurs ce qui lui a valu d’être remplacé et même suspendu en qualité de membre du PiS. Ce projet de loi sur la protection des animaux, proposé sans consultation préalable avec ses partenaires par le PiS, sous l’impulsion directe de Jarosław Kaczyński, était adopté à la mi-septembre à la Diète avec le soutien de l’opposition et malgré le vote contre des députés de Pologne solidaire et d’un groupe de députés du PiS ainsi que l’abstention de ceux d’Entente. Le PiS avait alors suspendu les négociations sur la composition du prochain gouvernement avec ses partenaires et la rupture avait semblé proche. Il était même question au PiS de gouvernement minoritaire, voire d’élections anticipées, chose difficile à comprendre pour les électeurs moins d’un an après le succès des élections législatives et moins de trois mois après celui des élections présidentielles.

Ardanowski était un des ministres les mieux notés du gouvernement Morawiecki, très apprécié pour ses compétences et très populaire dans le monde rural. Il se dit qu’il a beaucoup contribué à la victoire électorale du président Andrzej Duda en juillet et aussi aux très bons résultats du PiS dans les campagnes lors des dernières élections européennes et législatives. Dans les grandes lignes, ce qui est reproché à ce projet de loi sur la protection des animaux, outre qu’elle prévoit d’interdire les animaux de cirque, c’est qu’elle interdira les exportations de viandes halal et cachère alors que celles-ci compte pour une part importante des exportations de viande polonaises, et aussi qu’elle prévoit l’interdiction de l’élevage des animaux pour leur fourrure dans un délai d’un an seulement après l’entrée en vigueur de la loi, ce qui laisse peu de temps aux éleveurs pour se reconvertir dans d’autres activités. Dans sa première version adoptée à la Diète, le projet de loi donnait aussi la possibilité aux organisations de défense des animaux d’intervenir chez les gens et de leur confisquer leurs animaux. Ardanowski réclame au minimum le retrait de cette capacité donnée aux ONG, l’abandon de l’interdiction des exportations de viandes issues de l’abattage rituel et une période de transition suffisamment longue, avec des compensations proportionnées, pour les éleveurs d’animaux à fourrure. Le projet de loi est soutenu par les libéraux et la gauche et a contre lui le parti agraire PSL (qui voit là l’occasion de récupérer l’électorat rural perdu au profit du PiS) et les nationaux-conservateurs de la Confédération (Konfederacja). Dans ces conditions, il sera très probablement adopté au Sénat avant d’être, sans doute, quelque peu modifié à la Diète suite aux discussions entre le PiS et le parti Pologne solidaire de Ziobro.

Qu’est-ce qui a motivé ce projet de loi soutenu par Jarosław Kaczyński ? On sait le chef du PiS grand amoureux des animaux et le leader du Forum des Jeunes du PiS, Michał Moskal, qui a porté ce projet, avait déclaré dans un entretien, avant la présentation surprise de ce projet à la Diète, que le PiS devait s’ouvrir aux jeunes notamment par une offensive sur le front de l’écologie et de la défense des animaux. Pour Moskal, il faut considérer la guerre culturelle comme perdue de toute façon et la division droite-gauche n’a plus vraiment de sens aujourd’hui. Ce jeune conseiller d’arrondissement de Varsovie, âgé de 26 ans, est depuis quelques mois directeur du cabinet de Kaczyński.

Le leader du PiS semble ainsi chercher à ratisser large, trop large peut-être, pour asseoir la domination du PiS dans le paysage politique polonais dès le début de l’actuelle période de trois ans sans nouvelles élections, commencée après la présidentielle de juin-juillet dernier. À moins d’élections anticipées malgré tout, car il reste une inconnue : que va-t-il advenir des quinze députés du PiS, dont l’ancien ministre de l’Agriculture, suspendus après le vote du projet de loi sur la protection des animaux ? La Droite unie dispose de 235 sièges de députés sur 460 à la Diète (dont 17 députés d’Entente et 19 de Pologne solidaire, tous élus sur les listes du PiS et membres du groupe PiS à la Diète), soit une majorité de cinq sièges. Sans ces quinze députés du PiS, plus de majorité absolue.  Et même si ces quinze députés sont rapidement réintégrés dans les rangs, à moins d’une refonte majeure du projet de loi actuellement porté par Kaczyński en personne, le PiS risque gros en s’aliénant le monde rural polonais.