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La CJUE incite les juges polonais à se rebeller contre la démocratie parlementaire et à ne reconnaître que son autorité

Temps de lecture : 4 minutes

Pour la deuxième fois en peu de temps, une décision de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) entraîne une saisine du Tribunal constitutionnel polonais auquel il sera demandé de définir les limites de la souveraineté nationale.

Pologne – Le premier ministre polonais a en effet annoncé mercredi qu’il allait saisir les juges constitutionnels polonais après un nouvel empiétement inédit de la justice européenne sur les prérogatives nationales. Pour Mateusz Morawiecki et son gouvernement, la jurisprudence de la cour constitutionnelle ne laisse aucun doute sur le fait que la constitution nationale est au-dessus du droit européen, et la Pologne ne saurait donc reconnaître un verdict des juges de Luxembourg qui remet en cause l’ordre constitutionnel polonais.

La Cour de Justice de l’UE a effectivement récidivé mardi en encourageant une deuxième fois les juges polonais à la rébellion contre les lois votées par le Parlement. Des lois qui, à la lumière du droit polonais, ne peuvent être invalidées que par le Tribunal constitutionnel. Mais la CJUE l’entend d’une autre oreille.

En effet, à propos de la procédure de nomination des juges par le Président de la République de Pologne sur proposition du conseil national de la magistrature (KRS), les juges européens ont décidé mardi que c’est au juge polonais de s’interroger pour savoir si cette procédure de nomination est conforme au droit européen et, s’il décide que ce n’est pas le cas, de ne pas reconnaître comme valide la loi régulant cette procédure de nomination. Ceci impliquerait bien sûr de ne pas reconnaître la validité des nominations effectuées sous le régime de cette loi et donc des décisions de justice prises par les juges nommés sous le régime de cette loi.

Pour le ministre de la Justice Zbigniew Ziobro, « aucun responsable politique ne peut accepter ce jugement » car l’accepter reviendrait à affirmer que « la Pologne cesse d’être un État souverain et perd tous les attributs d’un État indépendant et libre de ses décisions ». C’est pourquoi le ministre, qui est aussi procureur général, a assuré mardi : « au vu de ses motifs qui ordonnent de ne pas tenir compte du tout de l’ordre juridique national, des lois et même de la constitution, bien évidemment je ne reconnais pas ce jugement et je ne le reconnaîtrai jamais ».

La CJUE répondait à des questions qui lui avaient été posées par la Cour supérieure administrative polonaise (NSA) en novembre 2018 et juillet 2019 à propos de sa capacité d’examiner des recours de candidats malheureux à une procédure de nomination à des postes de juges de la Cour suprême (la cour de cassation polonaise). En vertu des lois polonaises actuelles, en vigueur après les réformes introduites par le PiS et notamment après un amendement introduit en 2019, il n’existe aucune possibilité de recours contre la décision du KRS de ne pas recommander au président de la République un candidat à la Cour suprême.

C’est conforme à la constitution polonaise qui précise simplement, à son article 179 : « Les juges sont nommés par le Président de la République sur demande du Conseil national de la magistrature, pour une durée indéterminée. »

Mais la CJUE estime que l’absence de possibilité de recours serait une violation de l’Article 19, par. 1, alinéa 2, du Traité sur l’Union européenne où il est dit que « les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union. »

En quoi la protection juridictionnelle des candidats malheureux est-elle ici en cause et pourquoi la CJUE a-t-elle estimé qu’il s’agissait d’un domaine couvert par le droit de l’Union, alors que l’organisation du système judiciaire est une compétence nationale ? La lecture du communiqué de presse de la CJUE ne nous apprend rien de nouveau par rapport au conflit qui oppose Bruxelles à Varsovie depuis la victoire de la coalition menée par le parti Droit et Justice (PiS) aux élections de 2015. En gros, le raisonnement en vigueur à Bruxelles est le suivant : puisque « la protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union » exige une justice impartiale et indépendante, la Commission européenne doit pouvoir dicter les modalités d’organisation des systèmes judiciaires nationaux et la CJUE doit pouvoir statuer en dernier recours pour ces questions.

Voir à ce sujet :
« L’attaque de la Commission européenne contre la réforme de la justice en Pologne: résumé, chronologie et enjeux »

Une fois de plus, l’article 4 du Traité sur l’UE est passé à la trappe par les juges de Luxembourg, toujours prompts à interpréter les traités européens dans le sens d’une fédéralisation de l’Union européenne. L’article 4 nous dit pourtant que « toute compétence non attribuée à l’Union dans les traités appartient aux États membres ».

Bien entendu, ce qui est appliqué aujourd’hui uniquement à la Pologne et à la Hongrie pourra l’être aux autres États membres à l’avenir une fois cette jurisprudence consolidée.

Mais surtout, la CJUE, en donnant au NSA polonais le droit de décider de lui-même s’il doit ou non appliquer les lois sur la justice votées par le parlement dominé par le PiS – un droit qu’il n’a pas en vertu de la constitution polonaise – cherche visiblement à semer l’anarchie dans le droit polonais en incitant les juges militants qui usent et abusent du mécanisme de la question préjudicielle (question posée à la CJUE par une cour nationale pour savoir comment interpréter le droit européen) pour demander à la justice européenne de statuer sur les lois nationales qui leur déplaisent.

De la même manière, dans un jugement rendu en novembre 2019, la Cour de justice avait déclaré que c’était à la juridiction de renvoi (celle qui avait envoyé des questions préjudicielles), en l’occurrence à la Chambre du travail et des assurances sociales près la Cour suprême polonaise, « de vérifier si le KRS offre ou non des garanties suffisantes d’indépendance à l’égard des pouvoirs législatif et exécutif ». Dans les tribunaux ordinaires, quelques juges polonais politiquement engagés s’étaient saisis de ce jugement pour refuser de reconnaître la validité des jugements rendus par des juges nommés après la réforme du KRS de 2017. Cela avait contraint le parlement à voter en janvier 2020 une nouvelle loi réformant le régime disciplinaire des juges afin de pouvoir sanctionner plus durement ces comportements hors-la-loi. Ceci a bien entendu été pour la Commission européenne un motif suffisant pour… saisir à nouveau la CJUE contre la Pologne.