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Le 23 mars, Hongrois et Polonais célèbrent leur amitié millénaire

Temps de lecture : 5 minutes

Pologne/Hongrie – Le 12 mars 2007, le parlement hongrois a décrété la date du 23 mars comme « Journée de l’amitié polono-hongroise ». Ce projet fut accepté à l’unanimité. Quatre jours plus tard, une résolution similaire fut adoptée par acclamation par le parlement polonais.

Toute personne qui s’est intéressé de près ou de loin à l’histoire de l’Europe centrale a certainement entendu parler de cette fameuse amitié polono-hongroise. En effet, il est relativement difficile de trouver ailleurs en Europe deux nations ayant entretenu de si bonnes relations au cours des siècles, et ce malgré avoir longtemps partagé une frontière commune.

Bien entendu, certains conflits eurent inévitablement lieu. Mais étant donne leur rareté sur une période s’étendant sur un millénaire, nous nous pencherons ci-dessous sur quelques-uns des principaux épisodes de l’Histoire ayant soudé ces deux peuples au point qu’ils se considèrent mutuellement comme « frères ». Cette situation s’est confirmée au fil des siècles lorsque ces deux nations ont fait preuve d’actes de solidarité mutuelle les ayant ainsi considérablement rapprochées. Selon une étude de l’institut Századvég datant de juin 2019, les Hongrois ont une opinion positive (63%) voire très positive (23%) des Polonais.

L’histoire de ce bon voisinage (qui n’est aujourd’hui plus d’actualité étant donné l’existence d’un État slovaque indépendant entre les deux pays) commence au début du XIe siècle. Le premier roi de Hongrie, Saint Stéphane (ou Saint Étienne, les deux prénoms à l’étymologie identique étant utilisés pour traduire István), s’empare à cette époque des Carpates du Nord, territoire appelé alors Haute-Hongrie (Slovaquie actuelle). Cette manœuvre permet à son royaume d’établir une frontière commune avec son voisin du nord, le Royaume de Pologne.

En 1108, les souverains polonais et hongrois des deux pays établirent une alliance dans le but de repousser leur ennemi commun – à savoir les troupes de l’empereur allemand Henri V, qui planifia une expédition en Hongrie aux côtés des Tchèques. Cette alliance permit d’empêcher la conquête des territoires hongrois et de négocier une trêve avec le puissant voisin germanique. Au cours des décennies qui suivirent, Polonais et Hongrois combattirent côte à côte les envahisseurs Tatars ainsi que les chevaliers teutoniques. Outre la collaboration militaire, les dynasties hongroises et polonaises se mirent à tisser des liens familiaux et politiques.

L’approfondissement de ces relations continua tout au long du Moyen-Âge. C’est au XIVe siècle (en 1335 puis 1338) que les rois de Bohême (Tchéquie actuelle), de Pologne et de Hongrie se réunirent dans le château de la ville hongroise de Visegrád. Ses rencontres avaient pour objectif le développement d’une coopération régionale basée sur des intérêts communs. Ces réunions devinrent plus tard le symbole de la coopération historique rapprochée entre les pays d’Europe centrale dans le cadre du Groupe de Visegrád. Le rapprochement polono-hongrois se fit sentir dans les décennies qui suivirent par le biais d’unions personnelles. Ainsi, Louis Ier de Hongrie fut couronné roi de Pologne en 1370 et plus tard, en 1440, le Polonais Ladislas III Jagellon obtint officiellement le titre de souverain de Hongrie.

Un siècle plus tard, en 1526, eut lieu l’un des évènements les plus traumatiques de l’histoire hongroise, à savoir la bataille de Mohács. À cette occasion, les forces de l’Empire ottoman, menées par Soliman le Magnifique remportèrent une victoire écrasante sur les troupes de Louis II. La victoire des Ottomans entraîna la partition de la Hongrie entre l’Empire ottoman, les souverains Habsbourg d’Autriche et la principauté de Transylvanie. Près de deux mille soldats polonais furent alors présents dans les rangs hongrois.

Un demi-siècle plus tard, c’est le règne d’Étienne Báthory (1575-1586) en Pologne qui représenta une période particulière pour le développement des relations polono-hongroises. Báthory, en tant que prince de Transylvanie, réalisa même une union avec la République des Deux Nations (Pologne-Lituanie).

Les liens tissés entre les deux pays ne cessèrent d’être approfondis dans les siècles qui suivirent. Les échanges culturels s’intensifièrent de telle sorte que des dances folkloriques hongroises se firent populaire en Pologne tandis que des plats traditionnels polonais étaient préparés chez leur voisin magyar. Bien que le polonais et le hongrois soient des langues totalement différentes, certains mots et expressions demeurent identiques dans les deux langues jusqu’aujourd’hui.

Réalisons maintenant un bond dans le temps pour nous pencher sur le milieu du XIXe siècle. C’est à ce moment que les contacts polono-hongrois atteignirent leur apogée. En 1848, à l’occasion du Printemps des peuples, les Hongrois se soulevèrent contre la domination des Habsbourg dans leur pays. Cette vague de contestation fut alors activement soutenue par les Polonais qui, eux aussi, étaient à cette époque sous la domination de puissances étrangères. Il convient de souligner que les commandants polonais jouèrent un rôle extrêmement important au sein de l’armée hongroise. Le plus célèbre d’entre-deux demeure le légendaire général Józef Bem.

Les Hongrois n’oublièrent pas le soutien polonais dans leur lutte pour la liberté. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la Pologne réapparut sur la carte de l’Europe après 123 ans d’occupation russe, allemande et autrichienne. Ce recouvrement d’indépendance ne la mit cependant pas à l’abri d’un nouveau danger mortel : l’Union Soviétique. De son côté, la Hongrie sortait perdante du conflit mondial et se vit amputée de deux tiers de son territoire et trois quarts de sa population à l’occasion du Traité de Trianon, autre énorme traumatisme ayant secoué la nation hongroise et pouvant être ressenti jusqu’aujourd’hui. Or, malgré cette tragédie qui frappa la Hongrie, celle-ci organisa le transport de plusieurs dizaines de milliers de munitions pour aider les troupes polonaises à repousser l’Armée Rouge en 1920. Certains observateurs affirment que sans cette aide de dernière minute, la victoire polonaise n’aurait peut-être pas été possible.

La Deuxième Guerre mondiale montra également l’intensité des liens d’amitié magyaro-polonais. Bien que formellement alliée à l’Allemagne nazie, la Hongrie fut toujours réticente à s’attaquer à la Pologne. Les autorités hongroises refusèrent notamment de laisser passer les trains allemands en route vers la Pologne. Sommé par Hitler d’attaquer les troupes polonaises, le Premier ministre hongrois Pál Teleki lui rétorqua que « l’Allemagne est notre allié mais les Polonais sont nos amis et on ne tire pas sur ses amis ». De nombreux soldats hongrois soutinrent même le grand mouvement de résistance polonais à l’occasion de l’Insurrection de Varsovie, et ce au péril de leur vie. De nombreux civils et officiers polonais purent fuir à travers la Hongrie.

Les Polonais firent preuve de leur reconnaissance à ce courageux soutien quelques années plus tard, à l’occasion de l’Insurrection de Budapest en 1956. Ce soulèvement anti-soviétique fut brutalement écrasé par l’URSS. C’est alors que des dizaines de milliers de Polonais s’organisèrent pour faire parvenir un maximum de nourriture et de médicaments à leurs frères méridionaux. Cette action de solidarité fut marquée par d’innombrables dons de sang en provenance des principales villes polonaises. Plusieurs centaines de litres de sang furent ainsi envoyés à destination de la capitale hongroise.

Depuis lors, les deux pays ont simultanément rejoint le « monde libre » en 1989 avant d’intégrer l’OTAN (1999), l’UE (2004) et l’espace Schengen (2007). Aujourd’hui, les gouvernements conservateurs hongrois et polonais soulignent l’importance de cette amitié millénaire. D’une part, les deux pays collaborent de manière rapprochée dans le cadre de leur politique régionale (Groupe de Visegrád, Initiative des Trois Mers, Via Carpatia,…). D’autre part, les dirigeants polonais et hongrois font front commun face à l’idéologisation et la fédéralisation de l’Union européenne dans le cadre de l’interminable conflit autour du concept d’état de droit.

Derrière la dimension romantique de cette amitié, les intérêts politiques et régionaux sont là pour assurer qu’elle durera encore longtemps.

Polak, Węgier, dwa bratanki, i do szabli, i do szklanki!
Lengyel, magyar – két jó barát, együtt harcol, s issza borát
Polonais et Hongrois sont deux frères qui combattent et boivent ensemble !

Dicton populaire commun aux deux pays.