Article paru dans le Magyar Nemzet le 16 avril 2021.
L’enjeu est énorme, et le combat qui nous attend est totalement déloyal
Quand j’ai entendu dire que la dispute entourant l’état de droit allait se poursuivre dans le cadre de l’OTAN, j’ai cru, avec le plus grand sérieux du monde, qu’il ne s’agissait que d’une sorte de blague, de plaisanterie du premier avril à retardement. Mais non, c’est bien réel. Une organisation militaire se fixe pour objectif de veiller au respect des minimums démocratiques par les Etats placés sous sa tutelle. Voilà un genre d’idée qui débouche généralement sur d’excellents résultats, non ? Lorsque des forces armées découvrent comment les gens devraient vivre, et leur donnent d’abord des conseils dans ce domaine, puis des ordres, et finissent par leur faire creuser une fosse avant de les exécuter à même cette fosse – pour peu que ces pauvres fous n’aient pas été capables de comprendre les principes de base de la démocratie.
Et pour parfaire l’ambiance, permettez-moi de vous citer le nom de la commission qui, au sein de l’organisation, aura pour charge d’examiner l’état de la démocratie : Centre d’Examen de la Capacité de Résilience Démocratique. Oui, je sais que citer les Monty Python est devenu un cliché, mais la dernière fois qu’on a rencontré ce genre de dénomination, énoncée avec un sérieux mortel, mais qui, chez toute personne sensée, ne peut provoquer que d’abord un rire nerveux, et ensuite l’effroi, c’est dans le film intitulé Vie de Brian – si déjà il est question d’organisations, de commissions et de vie politique.
Attila Mesterházy, vice-président de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN – qui prend le pluralisme politique tellement au sérieux que, il y a une ou deux semaines de cela, dans les studios de la chaîne Hír TV, il a expliqué, menaçant, au secrétaire d’Etat Tamás Menczer que, pour ce qu’il venait de dire, dans un bistrot, il se serait déjà fait casser la gueule (sic !) – a récemment exprimé toute la joie que lui inspirait la formation de cette commission. Selon ses propres termes : ce qui distingue l’OTAN de tout autre alliance défensive, c’est qu’elle a été créée précisément parce que ses fondateurs souhaitaient protéger le respect des valeurs fondamentales de la démocratie et protéger l’état de droit.
Mettons, pour l’instant, de côté le fait que depuis le début des années 1990, l’OTAN n’a plus vraiment de raison d’être – après tout, l’Union Soviétique a cessé d’exister, donc l’OTAN a gagné, hourra ! – mais savez-vous à quand remontent les derniers blablas d’indic à la Mesterházy, assortis de justifications aussi sérieuses et de telles mines de dévotion ? A l’époque de la constitution du Pacte de Varsovie. Et avant ? A l’époque du Komintern, quand les camarades communistes se faisaient la courte échelle, à grand renfort de boniments effrontément bidon, pour arriver au pouvoir. Cela vous surprend ? Mais souvenez-vous donc : au moment de sa fondation, le Pacte de Varsovie était explicitement censé être un pacte d’amitié, de coopération et d’entraide. Mais lorsque la Tchécoslovaquie a cherché à modifier le cours de choses sans tenir compte de normes démocratiques adéquates, le Pacte de Varsovie a militairement envahi le pays, et poliment expliqué à l’équipe Dubček que ce qui distingue le Pacte de Varsovie de tout autre alliance défensive, c’est qu’elle a été créée précisément parce que ses fondateurs souhaitaient protéger le respect des valeurs fondamentales de la démocratie et protéger l’état de droit. Echec et mat, camarades réformateurs !
Ah oui, certes, il y en avait qui disaient que tout cela n’est que mensonge et cynisme, et que la véritable raison d’être du Pacte de Varsovie était de perpétuer les dictatures communistes d’Europe de l’est. Allons bon. C’est comme si moi je prétendais que l’OTAN non plus ne croit pas à ces déclarations que cite Mesterházy ! Ou qu’éventuellement – juste par hypothèse – on supposait que, quand des organisations armées parlent beaucoup de démocratie et des mesures à prendre en faveur de la démocratie, cela voudrait dire qu’elles n’ont pas vraiment pour but la démocratie, mais uniquement le pouvoir et l’oppression.
Permettez-moi d’introduire ici un exemple haut en couleur de ce qu’il est loisible ou illicite de faire aux gens de bien et aux autocrates.
Quand il s’agit d’un homme politique influent au sein d’une infâme autocratie, il semble parfaitement normal de porter à la connaissance du public – avec, entre autres, l’aide de la meute nombreuse des journalistes « indépendants et objectifs », s’en donnant à cœur joie comme des roquets à la curée – où et comment il a fait la fête, avec qui, et ce qu’il a probablement dû y faire ou n’y pas faire. Circulez, il n’y a rien à voir.
Qu’une équipe de télévision, au débotté, se joigne spontanément à la patrouille de police qui passait spontanément par là – cela aussi passe comme une lettre à la poste. Que, sans plus se soucier de ce droit à la vie privée dont on nous abreuve en général jusqu’à la nausée, ces images spontanément tournées passent en boucle dans les médias pendant des jours et des jours – on ne verra rien à y redire non plus. Ensuite, il se passe des mois et des mois. Et aucun autre nom ne fuite. Rien de plus naturel ! Il est parfaitement compréhensible qu’on ne mette devant ses responsabilités que celui qui appartient à un peuple délinquant.
On ne voit vraiment pas où serait le problème. Après tout, à en croire les autorités compétentes et les formateurs d’opinion autorisés, on a procédé de façon tout à fait correcte.
Oui mais voilà : s’agissant, en revanche, du fils de Joe Biden, Hunter, on nous a appris dès l’automne dernier que les activités privées sont sacro-saintes et intouchables, car enfin, nous vivons dans un état de droit. Il n’est pas convenable de parler des hautes et basses œuvres qu’il a exécutées en Ukraine avec l’aide de papou. Il est préférable de ne pas remettre sur le tapis le fait que l’une des personnalités de première ligne de la guerre contre la drogue aux Etats-Unis a un descendant dont les dents ont littéralement pourri du fait de ses abus de méthamphétamine. On ne saura rien de ce laptop que Hunter Biden a oublié dans un atelier de réparation, que les autorités américaines ont ensuite saisi, et dont – allez savoir comment – on a ensuite perdu la trace jusqu’en novembre. Alors qu’il contient de tout – à commencer par des preuves d’actes en rapport avec l’exercice de la prostitution.
Voilà bien un sujet sur lequel une presse responsable ne pouvait pas écrire pendant la campagne présidentielle américaine. Ni d’ailleurs après la campagne. Et pour peu que quelqu’un s’avise malgré tout de le faire, il se retrouve banni des réseaux sociaux, les articles disparaissent et leur auteur reste stigmatisé à vie. Non mais, qu’est-ce qu’il s’imaginait ? S’en prendre au caractère sacro-saint de la vie privée pour tenter d’influencer crapuleusement l’actualité politique !
Parlons clairement : rien ne me préoccupe moins que les menues turpitudes de Hunter Biden. Ce qui, en revanche, me met hors de moi – quoique cette expression corresponde de moins en moins à la réalité : il serait plus exact de dire que je le constate avec résignation –, c’est que, quand il s’agit d’une personnalité de droite, du camp conservateur, il n’y a rien de sacré, les règles sont suspendues et les coutumes ne comptent pas ; la seule règle applicable, c’est l’ordre qui a été donné de la détruire, coûte que coûte – alors même que les héros et les mercenaires du progressisme pourront toujours dormir du sommeil du juste, même quand l’un d’entre eux, en plein délire narcotique, oublie au bout de quelques jours l’existence même de son ordinateur.
Telles sont les règles de ce nouveau monde. Les gens de bien ne peuvent ni se tromper, ni pécher ; et si cela leur arrivait quand même, eh bien, nous ne le saurons pas. Ne serait-ce que parce que Jeffrey Epstein, incapable de maîtriser ses remords, s’est suicidé. Ce sont des choses qui arrivent !
Et, toujours comme apanage de ce nouveau monde : quand l’OTAN expose des projets qui, considérés objectivement, ont vraiment une sale gueule, les grands de ce monde n’ont plus qu’à hausser les épaules avec désinvolture, et à vous répondre en ricanant de toutes leurs dents : « C’est la démocratie, camarade ! »
Cela fait longtemps qu’on réitère cette plaisanterie : si le gouvernement hongrois avait fait ci ou ça, les casques bleus seraient déjà à la frontière autrichienne, tandis qu’Angela Merkel entrerait dans Budapest à la tête des troupes des Etats-Unis d’Europe. A la réception officielle, elle aurait peut-être même droit à un canapé, à la Von der Leyen. Mais, même en comparant à tout ce que nous avons subi par le passé, les perspectives de 2022 deviennent assez sombres, quand on comprend – sans même parler du fait qu’on nous tire aussi constamment dessus sur un autre terrain d’opération : Facebook, où pendant quelques heures la semaine dernière la visibilité des pages de la plupart des dignitaires du gouvernement a été réduite à une fraction de ses valeurs habituelles – qu’en plus de l’UE et de l’Amérique, cette fois-ci, l’OTAN aussi compte s’ingérer dans nos élections.
J’imagine que tout le monde aura compris à quel point l’enjeu est énorme, et à quel point le combat sera déloyal ?
Voilà pourquoi il est réellement important que nous n’ayons de cesse de mettre le doigt dans la plaie. Car eux se fichent bien de savoir si nous avons avec eux un désaccord de un ou de quatre-vingt-dix-neuf pour cent : ils veulent notre peau. N’oublions donc jamais d’alimenter leur furie.
Kristóf Trombitás
journaliste et animateur d’émissions télévisées
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Traduit du hongrois par le Visegrád Post