Article paru dans le Magyar Nemzet le 21 mai 2021.
Péter Sztáray : La présidence hongroise va mettre à l’ordre du jour ce que l’Occident voudrait mettre en sourdine
– Nous allons tenter de mettre à profit la présidence hongroise en vue de promouvoir, dans le cadre du Conseil de l’Europe, les droits des minorités nationales, afin d’offrir un soutien marqué aux communautés hongroises vivant au-delà de nos frontières actuelles – déclare Péter Sztáray, secrétaire d’Etat en charge de la politique de sécurité au sein du ministère des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, dans cette interview accordée à Magyar Nemzet au premier jour de la présidence tournante de la Hongrie à la tête du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, organisme sis à Strasbourg et rassemblant 47 Etats européens en vue de promouvoir l’état de droit, les droits de l’homme et la démocratie. Il répond à nos questions sur les relations magyaro-ukrainiennes, sur l’extension de l’UE dans les Balkans occidentaux, et sur le double discours de l’Europe de l’ouest.
– L’une des priorités de la présidence hongroise du Conseil de l’Europe sera de faire avancer la défense des minorité nationales. Concrètement, à quelle sorte de soutien les hongrois du Bassin des Carpates vivant au-delà de nos frontières actuelles, par exemple, peuvent-ils s’attendre ?
– Le Conseil de l’Europe est l’une des organisations européennes les plus importantes quand il s’agit de garantir les droits des minorités nationales. Après le rejet par la Commission du Minority SafePack (initiative citoyenne européenne en faveur de la défense des minorités autochtones – n.d.l.r.), nous avons décidé de tenter de mettre à profit cette présidence hongroise en vue de promouvoir, dans le cadre du Conseil de l’Europe, les droits des minorités nationales, afin d’offrir un soutien marqué aux communautés hongroises vivant au-delà de nos frontières actuelles. On ne peut pas envisager de politique étrangère hongroise sans une politique de la nation hongroise. Nous allons organiser quatre conférences consacrées à ce sujet : deux en Hongrie et deux à Strasbourg. Leur objectif sera d’inventorier les diverses situations observables en Europe dans le domaine du respect des droits des minorités nationales. D’autre part, nous nous demanderons aussi comment il serait possible d’avancer dans ce domaine, étant donné que le Conseil de l’Europe a aussi un rôle normatif.
– Parmi les minorités hongroises, ce sont probablement les hongrois de Subcarpatie qui ont le plus besoin d’aide, étant donné que le pouvoir ukrainien a porté atteinte à ses droits linguistiques, et que les autorités d’Etat briment systématiquement les hongrois et leurs leaders, tandis que ces derniers sont aussi victimes des menaces d’organisations nationalistes. A votre avis, dans l’avenir immédiat, la relation magyaro-ukrainienne a-t-elle des chances de sortir de l’ornière – ce qui améliorerait aussi la situation des hongrois de Subcarpatie ?
– Il est vrai que depuis septembre 2017 – moment de l’adoption par le Parlement ukrainien de la loi sur l’enseignement – nous avons observé un recul des droits des minorités nationales dans divers domaines – et notamment de leurs droits linguistiques et éducatifs. Il est de l’intérêt du gouvernement hongrois, comme de celui de la communauté de Subcarpatie, de trouver avec l’Ukraine un accord ou un autre en vue de rétablir ces droits, car,
si le pouvoir central venait à faire pression dans encore plus de domaines sur cette minorité, ses représentants et ses institutions éducatives, elle pourrait très vite se trouver dans l’impasse.
Au cours des douze derniers mois, notre ministre des Affaires étrangères Péter Szijjártó a régulièrement rencontré son homologue ukrainien, s’efforçant de trouver des points d’accord permettant de sortir nos relations de l’ornière. Certains de ces points relèvent de la coopération pratique – par exemple les investissements infrastructurels et routiers à caractère transfrontalier –, mais il n’est pas moins important que nous puissions avancer aussi sur la question des droits des minorités nationales. De ce point de vue, la semaine passée a été d’une grande importance, du fait de la réunion à Budapest de la commission mixte sur l’enseignement, au sein de laquelle de nombreuses questions font l’objet d’un dialogue constructif. Nous voulons croire que ce dialogue débouchera sur des résultats. Tout cela nous porte à l’optimisme, mais nous sommes encore loin de trouver une solution à long terme, permettant une réelle détente, aux problèmes des hongrois de Subcarpatie.
– Le véto hongrois bloque le rapprochement entre l’OTAN et l’Ukraine, en raison de la situation des hongrois de Subcarpatie. La Hongrie a-t-elle ainsi réussi à mettre l’Ukraine sous pression, de façon à la motiver à rechercher une solution ?
– Je voudrais souligner qu’avant septembre 2017, la Hongrie était l’un des soutiens les plus solides de ce rapprochement euro-atlantique de l’Ukraine, que ce soit sur la question de l’exemption de visas ou sur celle des accords passés avec l’UE. Malheureusement, nous serons contraints de bloquer par véto la convocation des réunions de la Commission OTAN-Ukraine, aussi bien au niveau ministériel qu’à celui des chefs d’Etat et de gouvernement, tant que l’Ukraine ne rétablira pas les droits précédemment garantis à ses minorités. Comme il est de l’intérêt de la Hongrie que l’Ukraine soit un pays stable, qui se développe, je pense que, du moment qu’il existe une volonté politique en ce sens – et, de notre côté en tout cas, cette volonté existe –, les négociations pourront être poursuivies, et porter leurs fruits.
– Ces derniers temps, l’Ukraine a surtout été confrontée à des défis de politique de sécurité : recrudescence des combats dans l’est du pays, concentration de troupes russes sur la frontière ukrainienne, puis retrait de ces mêmes troupes. Et entre temps, politiquement, les Etats-Unis exercent une forte pression sur les autorités ukrainiennes. Comment ces facteurs risquent-ils d’influencer l’avenir des relations magyaro-ukrainiennes ?
– L’Etat ukrainien est dans une situation incertaine, du fait du conflit pourrissant qui s’est déclaré sur ses territoires orientaux, et de l’annexion de la péninsule de Crimée par la Russie. Depuis 2014, la Hongrie, à de nombreuses tribunes et sous diverses formes, n’a pas cessé de manifester sa solidarité avec l’Ukraine, et nous avons à diverses reprises réaffirmé notre soutien à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Nous pensons néanmoins que cette situation difficile dans laquelle l’Ukraine se trouve ne justifie pas l’amputation des droits des minorités dans le cadre d’un processus de nation-building accéléré. Ces deux questions doivent être traitées séparément. Voilà bien pourquoi la Hongrie, au sein de l’OTAN, est en faveur d’une coopération de terrain avec l’Ukraine, sans pour autant soutenir le principe d’une intégration institutionnelle de cette dernière à l’alliance.
– C’est aussi en partie pour des raisons de politique de sécurité que la région des Balkans occidentaux est d’une grande importance pour la Hongrie. Cette dernière milite activement en faveur d’une adhésion la plus rapide possible à l’Union européenne des pays candidats de cette région, afin d’y assurer un maximum de stabilité, mais le processus d’extension semble actuellement bloqué. Ces pays pourraient-ils se détourner de l’Europe ?
– Du point de vue des intérêts hongrois, il est d’une importance primordiale que les pays des Balkans occidentaux soient les plus nombreux possible à adhérer aux organisations euro-atlantiques, le plus vite possible, car c’est de cette manière que nous pourrons stabiliser la région à long terme. Qu’on remonte à plusieurs décennies ou à plusieurs siècles, on trouvera suffisamment de conflits pour étayer l’idée selon laquelle
toute instabilité des Balkans occidentaux a – entre autres – des répercussions sur notre sécurité à nous.
L’OTAN a déjà intégré trois Etats de la région, ce qui constitue une réussite considérable. En revanche, le processus d’adhésion à l’UE s’est ralenti. Il serait bon que la possibilité d’engager des négociations d’adhésion soit donnée aussi à l’Albanie et à la Macédoine du Nord avant la fin de la présidence portugaise de l’UE. Et il est tout aussi important que les négociations déjà en cours avec le Monténégro et la Serbie s’accélèrent. Bien entendu, les pays candidats doivent remplir les conditions que l’UE leur impose, mais leur adhésion correspond aussi à un objectif stratégique : la stabilité et la sécurité de la région ne seront vraiment garanties à long terme que lorsque ces pays auront effectivement adhéré. Si on ne leur propose pas de perspectives claires, leurs sociétés ne s’engageront pas vraiment en faveur de l’intégration, et il existe un risque de voir d’autres acteurs développer leur influence dans la région. Si l’UE rate ce train, elle aura agi à l’encontre de ses propres intérêts.
– Autre facteur, qui n’a rien de secondaire non plus du point de vue de la sécurité et de la stabilité des Balkans occidentaux : le fait que la pression migratoire s’est à nouveau intensifiée sur la route des Balkans. La Hongrie a, elle aussi, constaté une augmentation des passages de frontière illégaux – rapportés à la même période de l’année dernière. On attend toujours une solution européenne commune à ce problème. Dans une telle situation, que peut faire la Hongrie ?
– C’est la Hongrie qui a reconnu le fait que la principale et la plus dure des menaces actuelles est celle de l’immigration. Elle aussi a vu des masses importantes tenter de traverser son territoire hors de tout contrôle. Nous en avons tiré les conclusions qui s’imposent, et c’est la raison pour laquelle nous avons construit le système de défense qui assure efficacement la sécurité de nos frontières méridionales. Cependant, cela ne suffit pas. Il faut faire avancer les lignes de défense, en vue de quoi nous travaillons en étroite coopération avec les pays des Balkans occidentaux, tout en nous efforçant, à travers Hungary Helps et d’autres programmes du même type, de venir aussi en aide aux pays de départ, de façon à y créer des conditions qui incitent plutôt à rester au pays qu’à émigrer.
Le plus important pour nous, en matière d’immigration, c’est que l’acceptation des migrants ne soit pas obligatoire. C’est un projet qui refait surface régulièrement, mais que nous avons jusqu’à présent réussi à tenir en échec.
La solidarité peut prendre d’innombrables formes. C’est par exemple à nous qu’incombe la défense des frontières sud-sud-est de la zone Schengen, tâche à laquelle nous consacrons des ressources non-négligeables. Au prix d’une volonté politique suffisamment claire, il est possible d’arrêter l’immigration incontrôlée : nous l’avons prouvé sur la frontière terrestre, tout comme Matteo Salvini, à l’époque où il était ministre de l’Intérieur en Italie, l’a prouvé dans le cas des frontières maritimes.
– Autre priorité de la présidence hongroise, en rapport avec l’immigration : le dialogue des religions. Ce sujet est maintenant tout particulièrement d’actualité, compte tenu du fait qu’en France, des généraux et d’autres officiers ont récemment adressé une lettre ouverte au président Emmanuel Macron pour le mettre en garde contre le danger de l’islamisme et le risque de guerre civile, alors même qu’on assiste, à l’occasion du conflit israélo-palestinien, à une multiplication des incidents antisémites dans divers pays d’Europe occidentale. Ce sont là des problèmes dont l’Europe centrale est exempte. Comment la Hongrie peut-elle contribuer à ce dialogue ?
– L’une des questions les plus actuelles est de savoir comment organiser une coexistence des religions permettant à chacun de vivre selon ses propres convictions sans que cela se fasse au détriment des adeptes d’une autre religion. En Europe, on assiste à des incidents extrêmement graves et inquiétants, que, pour notre part, nous aimerions nous épargner. C’est donc là une question que nous souhaiterions mettre à l’ordre du jour, en amenant certains pays à se rendre compte qu’il s’agit d’un problème réel, qu’il n’est pas possible de balayer sous le tapis.
– Il n’est pas certain que l’Europe de l’ouest voie comme un problème ce qui en est un du point de vue hongrois.
– L’Europe s’adonne à un double discours. Dans l’esprit du politiquement correct, beaucoup ont l’impression que de tels problèmes doivent être mis en sourdine. Mais si on regarde autour de soi dans une ville d’Europe de l’ouest, on se retrouve confronté aux problèmes découlant de l’immigration, couronnés par une flambée d’antisémitisme. Le conflit israélo-palestinien, par exemple, s’exporte en Europe de l’ouest, au point qu’on y assiste à des marches antisémites, au cours desquelles des drapeaux israéliens sont brûlés. Ce qui est pour nous inacceptable.
En comparaison de ce qui se passe en Europe de l’ouest, la Hongrie est un havre de paix.
Dans ces pays qui se classent eux-mêmes parmi les démocraties les plus développées, on commet des crimes d’une gravité inimaginable ici. Cela aussi, nous comptons profiter de notre présidence pour le montrer. Outre la promotion du dialogue entre les religions, nous avons aussi parmi nos priorités le projet de faire admettre à l’Europe la réalité de la persécution des chrétiens, très fréquente dans le monde, mais dont la presse mainstream se fait très peu l’écho.
– A propos de ce double discours que vous mentionnez : ces dernières années, le Conseil de l’Europe, à travers son organe consultatif, la Commission de Venise, a à plusieurs reprises condamné la Hongrie dans des affaires d’état de droit et de droits de l’homme. Quelles sont les relations de la présidence hongroise avec la direction du Conseil de l’Europe ?
– Le contact personnel est excellent. Péter Szijjártó a rencontré à plusieurs reprises la secrétaire générale Marija Pejčinović Burić, la commissaire aux droits de l’homme Dunja Mijatović, le président de l’Assemblée parlementaire Rik Daems et le président de la Cour européenne des droits de l’homme Róbert Ragnar Spanó. Nous nous sommes méticuleusement préparés à entretenir avec eux des relations les plus étroites possible, et même si des divergences de vues se présentent, à réussir à en parler. Nous nous sommes efforcés de faire comprendre aux dirigeants du Conseil de l’Europe l’importance qu’il y aurait à parler avec nous des problèmes dont ils pourraient pressentir l’apparition. Nous sommes en mesure de leur dire la réalité de la situation. Par le passé, hélas, nous avons vécu des situations dans lesquelles
nos partenaires, à partir d’information superficielles, influencés par des sources partisanes, ont décidé d’actions qui ne correspondaient pas à la réalité de la situation effective en Hongrie.
Notre ministre des Affaires étrangères Péter Szijjártó, ainsi que la ministre de la Justice Judit Varga, informent régulièrement le Conseil de l’Europe de la réalité de la situation hongroise. Il convient de poursuivre ce travail et de dissiper les rumeurs et les accusations politiquement motivées qui surgissent régulièrement.
– Parmi les priorités de la présidence hongroise, on trouve aussi la défense des intérêts de la jeune génération. En quoi est-il nécessaire d’accorder une attention particulière à cette question ?
– Notre gouvernement attache une importance extraordinaire à la question de savoir comment vivront les prochaines générations, or le Conseil de l’Europe fournit une plateforme adéquate à la discussion des sujets afférents à cette question. Il ne s’agit pas seulement des jeunes, mais aussi de l’avenir des familles et des opportunités offertes aux communautés roms du point de vue de l’égalité des chances. Il s’agit d’un paquet de mesures complexe, qui présente aussi une grande importance du point de vue du bien-être européen à long terme, étant donné que c’est de nos enfants que dépendra le visage de l’Europe qu’ils devront créer, et la direction dans laquelle ils décideront de poursuivre son développement. La présidence hongroise du Conseil de l’Europe fournira entre autres une bonne occasion de faire avancer cet agenda.
Zoltán Kottász
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Traduit du hongrois par le Visegrád Post