Article paru dans le Magyar Nemzet le 29 mai 2021.
Ce qu’on remarque dans les manifestations en cours – explicitement hostiles à Israël et favorables aux Palestiniens – , c’est qu’elles ne rassemblent pas uniquement des migrants qui viennent d’arriver dans le pays, mais très régulièrement aussi des immigrés déjà nantis de passeports autrichiens, issus de familles vivant souvent depuis deux, trois, voire quatre générations en Autriche – a déclaré à Magyar Nemzet , à propos de la vague de manifestations de ce mois de mai à Vienne, Benjamin Nägele, secrétaire général de la Confédération des Communautés Juives d’Autriche. A en croire ses propos, l’antijudaïsme fédère, au côté des islamistes, des extrémistes de gauche et de droite, qui protestent aussi contre les mesures sanitaires, relativisant au passage la Shoah.
– Comment vous et les vôtres avez-vous vécu en Autriche ces dernières semaines, marquées par des manifestations anti-Israël déclenchées par le conflit en cours au Moyen-Orient ?
– Ce n’est pas la première fois que nous vivons ce genre de choses. L’antisémitisme n’a en réalité jamais quitté ni Vienne, ni l’Autriche. On le voit, bien entendu, revigoré par chaque nouvelle escalade du conflit qui fait rage au Moyen-Orient, non seulement en Europe, mais aussi dans le monde entier. Nous autres y réagissons bien sûr avec une sensibilité à fleur de peau – d’autant plus que, en tant que membres de communautés juives, nous avons avec la région concernée des liens très personnels et affectifs. Beaucoup d’entre nous ont des membres de leur famille ou des amis qui y vivent, et pour lesquels ils éprouvent une réelle inquiétude. Cependant, c’est justement cette expérience qui nous a appris que l’instrumentalisation de ce conflit ne prend jamais fin, et n’a de cesse d’identifier israéliens et juifs. On rend les communautés juives responsables de ce qui se passe au Moyen-Orient, ce qui débouche encore et toujours sur des manifestations d’antisémitisme telles qu’on en voit hélas aussi à Vienne. C’est ainsi qu’on assiste à l’apologie d’organisations terroristes islamistes comme le Hamas, ou encore à une relativisation permanente de la Shoah. Il est bien naturel que notre sentiment de sécurité en souffre. Nous avons pris des mesures, sensibilisé au problème les membres de notre communauté, et bien sûr radicalement renforcé les mesures appelées à garantir notre sécurité, en étroite collaboration avec les autorités.
– Combien de juifs vivent aujourd’hui en Autriche ?
– Notre confession rassemble à peu près 7800 membres à Vienne, et un total d’un peu plus de huit mille dans toute l’Autriche. Notre communauté juive est caractérisée par une grande diversité interne : la vie juive orthodoxe, par exemple, jouit d’une certaine visibilité dans les rues de Vienne. Dans le quartier juif, on perçoit naturellement comme un risque de conflit le fait que ces manifestations anti-Israël traversent effectivement de part en part le centre de la ville, et défilent à proximité immédiate de cultes israélites.
– Récemment, les autorités représentatives de la communauté de Vienne ont d’ailleurs conseillé à ses membres d’éviter les environs de la Mariahilfer Strasse, où une manifestation anti-Israël devait se tenir. Serait-ce cela, à Vienne, la nouvelle normalité ? Que les bourgeois restent chez eux, parce que la rue appartient aux extrémistes ?
– A la fin de l’année dernière, une attaque terroriste s’est produite juste devant le Stadttempel (principale synagogue d’Autriche – n.d.l.r.), où une attaque avait déjà eu lieu en 1981. Depuis lors, bien entendu, la sécurité est devenue un sujet des plus importants pour nous. Cela fait déjà bien des années que nous préparons les membres de la communauté à l’imminence de manifestations. Il peut s’agir de manifestations islamistes ou propalestiniennes, en faveur d’un boycott d’Israël, ou à l’appel de radicaux de droite, ou encore – un cas réellement fréquent au cours de l’année écoulée – de manifestations hostiles au gouvernement et à ses mesures sanitaires. Ces dernières donnent en effet elles aussi régulièrement lieu à l’expression de sentiments antisémites, par exemple lorsque les manifestants, se présentant comme des victimes, relativisent la Shoah. On parle donc d’une palette composée d’éléments hétéroclites, de radicaux de gauche et de droite, aussi bien que d’islamistes. J’ajouterais néanmoins que nous n’avons jamais appelé les gens à rester enfermés chez eux – c’est là une rumeur que les médias ont, malheureusement, laissé enfler.
– L’Autriche a une population musulmane d’à peu près 700 000 personnes. Susanne Raab, ministre de l’Intégration appartenant au Parti Populaire, a déclaré qu’on assiste à « l’importation en Autriche de conflits étrangers ». Seriez-vous disposé à souscrire à l’idée qu’en accueillant des gens issus de zones de conflit, on importe en même temps qu’eux leurs problèmes – et notamment celui de l’antisémitisme ?
– L’antisémitisme n’est pas exclusivement un phénomène des toutes dernières années, ou une conséquence de la crise des migrants : il était déjà présent auparavant. Ce qu’on remarque, c’est que les manifestations explicitement hostiles à Israël et favorables aux Palestiniens ne rassemblent pas uniquement des migrants qui viennent d’arriver dans le pays, mais très régulièrement aussi des immigrés déjà nantis de passeports autrichiens, issus de familles vivant souvent depuis deux, trois, voire quatre générations en Autriche. J’aimerais aussi attirer l’attention sur le fait que ce genre de manifestations bénéficie de la participation de gens qui – de nationalistes turcs comme les Loups Gris jusqu’aux sympathisants du Hamas, en passant par les radicaux de droite – n’ont qu’un seul point commun : ce qui les unit, c’est l’opposition à Israël, et avant tout la haine des juifs européens.
– Qu’attendez-vous des autorités autrichiennes ? Comment l’Etat pourrait-il se montrer plus efficace dans la protection de ses citoyens ?
– Ce mot est le plus important : protection. Aussi bien la protection des droits fondamentaux et des valeurs démocratiques qui sont les nôtres, que celle de notre intégrité physique. Je pense que l’un et l’autre sont d’une grande importance pour une société démocratique. Ce que nous attendons – et avons d’ailleurs obtenu – des autorités locales, c’est d’entretenir avec nous une collaboration des plus étroites. Le niveau de la sécurité entourant la communauté juive, et plus généralement la ville de Vienne, est incroyablement élevé. Vienne est bel et bien l’une des villes les plus belles et les plus sûres du monde, une ville où, en tant que communauté juive, nous nous sentons extrêmement bien.
László Szőcs
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Traduit du hongrois par le Visegrád Post