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« Tout cela n’est qu’un jeu politique, qui n’a rien à voir avec le droit »

Le Magyar Nemzet est le principal quotidien imprimé de Hongrie. Fondé en 1938, le Magyar Nemzet (Nation hongroise) est un journal de référence pour les conservateurs et est sur une ligne proche du gouvernement de Viktor Orbán.

Temps de lecture : 5 minutes

Article paru dans le Magyar Nemzet le 3 juin 2021.

« Dans l’une des affaires judiciaires les plus complexes de l’histoire de l’Union européenne, on demande une procédure accélérée, alors que dans une simple affaire de procédure, la décision se fait attendre pendant trois ans ? Qu’est devenue la sécurité juridique ? » – demande Judit Varga, se confiant à Magyar Nemzet, qui l’a interrogée sur les questions d’état de droit actuellement à l’ordre du jour de l’Union. À propos de la décision rendue publique aujourd’hui par la Cour de justice de l’Union européenne, la ministre de la Justice a déclaré qu’elle tranchait un procès dont, jusqu’à présent, les champions de l’état de droit n’ont pas même pris connaissance. « Moi-même, à chaque audience à laquelle j’ai été convoquée en rapport avec la procédure d’article 7, j’ai déclaré que ma présence, tant qu’il n’y a pas de décision de justice, ne devrait même pas être requise » – affirme-t-elle, ajoutant qu’il « est pour le moins problématique que ce soit justement au fonctionnement des institutions de l’Union européenne que fasse défaut le respect de ces principes de l’état de droit que sont l’honnêteté des procédures et la sécurité juridique. »

« Il s’agit d’une décision prononcée en résolution d’un procès dont, jusqu’à présent, les champions de l’état de droit n’ont pas même pris connaissance. »

– c’est ainsi que Judit Varga, se confiant à Magyar Nemzet, a réagi à l’annonce du rejet, jeudi, par la Cour de justice de l’Union européenne du recours introduit par la Hongrie, par lequel le gouvernement hongrois attaquait à Luxembourg la légalité du vote ayant conduit à l’adoption du rapport Sargentini. (Comme on le sait, c’est à l’automne 2018 que le Parlement européen a donné son feu vert au rapport associé au nom de Judith Sargentini, une collection d’exagérations critiques hostile à la Hongrie. Au moment du vote, les abstentions n’ont pas été ajoutées au total des votes exprimés, ce qui a rendu possible l’adoption du rapport, c’est-à-dire l’obtention de la majorité des deux tiers nécessaire à l’activation de la procédure d’article 7. C’est alors que le gouvernement hongrois s’est tourné vers la Cour de justice de l’Union, évoquant une irrégularité procédurale – n.d.l.r.)

D’après notre ministre de la Justice, la résolution adoptée il y a presque trois ans par le Parlement européen, et la procédure d’article 7 – dite « procédure sur l’état de droit » – lancée en conséquence, sont contradictoires par bien des aspects. « Jusqu’à présent, cette procédure d’article 7 s’est déroulée sans que les institutions européennes et la gauche européenne ne semblent avoir connaissance du procès en cours devant la Cour de justice de l’Union européenne.

Parmi ces champions de l’état de droit, pas un seul ne s’est préoccupé de l’existence d’un État-membre soulevant une question pertinente en rapport avec la procédure. Moi-même, à chaque audience à laquelle j’ai été convoquée en rapport avec la procédure d’article 7, j’ai déclaré que ma présence, tant qu’il n’y a pas de sentence judiciaire, ne devrait même pas être requise.

Dans tout état de droit qui se respecte, on part du principe qu’aucun arrêt ne peut être exécutoire en l’absence d’une décision de justice ayant force de loi » – a précisé la ministre pour montrer le caractère contradictoire de ces procédures. « Or, en l’occurrence, il y avait une question de fond concernant la situation de fait : peut-on seulement parler d’un rapport Sargentini admissible de droit ? La procédure d’article 7 a-t-elle seulement été légitimement lancée ? ».

Apories factuelles

Commentant spécifiquement la décision rendue, Judit Varga relève, là aussi, des erreurs factuelles. « Quand un eurodéputé décide de participer à un vote, il a trois possibilités : il peut voter pour, contre, ou s’abstenir. En observant cela avec un minimum de bon sens, on peut se demander : à quoi bon cette troisième option de la machine à voter, si l’abstention – à en croire la Cour – n’est pas considérée comme un vote exprimé ?

Lors de ce vote au PE en 2018, il y avait des eurodéputés qui approuvaient la position du gouvernement hongrois, mais qui, pour des raisons de politique intérieure, ont préféré appuyer sur le bouton ‘abstention’, plutôt que de voter ‘non’. C’est la liberté du mandat de représentation qui a été violée, dans la mesure où ces derniers ont été amenés à ‘contribuer’ contre leur volonté au succès de la motion de l’équipe Sargentini »

– affirme la ministre, qui refuse de voir un hasard dans le fait que, la veille de ce vote, l’eurodéputée écologiste Sargentini ait elle-même encouragé les eurodéputés à aller boire un café plutôt que de participer au vote. « Il est certain qu’elle avait peur de ces abstentions, dont elle savait bien qu’elles compromettaient les chances de succès de sa motion. »

Entre temps, la querelle de l’état de droit s’est enrichie d’une nouvelle procédure judiciaire : cette fois-ci, c’est le Parlement européen qui envisage de porter plainte contre la Commission européenne, car les eurodéputés estiment que cette dernière s’est mise dans l’illégalité en négligeant d’appliquer, lors de son entrée en vigueur au premier janvier, l’ordonnance instituant le mécanisme de conditionnalité. Or la Hongrie et la Pologne ont attaqué devant la Cour de justice de l’Union européenne le règlement qui dicte ce système de conditions en matière d’état de droit – option que consignait déjà l’accord des chefs d’État et de gouvernement passé en décembre dernier.

Une guerre typiquement bruxelloise

Interrogée sur ce point, la ministre nous a répondu en soulignant que le Conseil européen, qui rassemble les chefs d’État et de gouvernement, est l’organe suprême de l’Union, à qui doit revenir le dernier mot, sans compter que la présidente de la Commission européenne s’est elle aussi portée garante du respect de l’accord de décembre dernier.

« On assiste à un conflit de pouvoir typiquement bruxellois. La question est : qui est maître à bord ? Les États-membres, ou le Parlement européen ?

Or la réponse ne fait aucun doute. Dans l’accord politique passé en décembre dernier, le Parlement européen n’a d’ailleurs joué aucun rôle, étant donné que les traités ne lui confèrent aucune légitimité à cette fin. Cela n’empêche pas les députés de la gauche libérale de menacer à présent la Commission, c’est-à-dire l’un des protagonistes effectifs de cette négociation. Et, comme, dans cette affaire, le PE réclame à la Cour de justice de l’Union européenne une procédure accélérée, une sentence en la matière pourrait être rendue dans quelques jours. Là aussi, en tout état de cause, il y a une contradiction :

tandis que, dans l’affaire Sargentini, la décision s’est fait attendre pendant presque trois ans, dans l’affaire du mécanisme de conditionnalité de l’octroi des ressources européennes, le Parlement européen réclame une procédure accélérée d’à peine six mois.

Plaçons ces deux questions en regard l’une de l’autre : Dans l’une des affaires juridiques les plus complexes de l’histoire de l’Union européenne, on demande une procédure accélérée, alors que dans une simple affaire de procédure, la décision se fait attendre pendant trois ans ? Qu’est devenue la sécurité juridique ? Il est pour le moins problématique que ce soit justement au fonctionnement des institutions de l’Union européenne que fasse défaut le respect de ces principes de l’état de droit que sont l’honnêteté des procédures et la sécurité juridique. Quoi qu’il en soit, je veux croire que la Cour prendra une décision impartiale dans son examen de la demande de procédure accélérée. Ce cas montre bien pourquoi nous ne pouvons pas nous faire d’illusions : si jamais les pouvoirs du PE devaient à l’avenir être accrus – comme l’exigent la gauche européenne et les eurodéputés de l’opposition hongroise –, nous avons là un bon exemple du genre d’abus qu’il ferait en permanence de tels pouvoirs.

Pour eux, tout cela n’est qu’un jeu politique, qui n’a rien à voir avec le droit. »

Nous n’avons rien à dire à Jourová

Confrontée aux propos récents de Věra Jourová, pour qui rien ne sert d’attendre la décision de la Cour, étant donné que Bruxelles pourra commencer des procédures d’état de droit dans quelques mois, Judit Varga nous répond qu’elle accorde peu d’autorité à l’opinion politiquement influencée de la commissaire Jourová, qui montre un parti pris dans cette affaire.

« J’ai trop d’estime pour la Commission européenne et sa présidente pour confondre les propos de Věra Jourová avec le point de vue collégial des commissaires. Je n’accorde pas une grande valeur à sa parole, dans la mesure où il est évident qu’elle fait une fixation sur la Hongrie. »

Judit Varga en a profité pour confirmer que Jourová aurait beau multiplier les propos extrémistes, le gouvernement hongrois n’a pour autant aucune intention de la réinviter à la table des négociations : ses relations diplomatiques avec la commissaire Jourová restent suspendues. « À quiconque ose, depuis une position censée être indépendante, appeler la Hongrie une démocratie malade, et mépriser ostensiblement les Hongrois, à ce genre de personnes, nous n’avons rien à dire. »

Tamara Judi (Bruxelles)

Traduit du hongrois par le Visegrád Post