Article paru dans le Magyar Nemzet le 9 juillet 2021.
Qui devrait et qui ne devrait pas être dans l’Union européenne : telle est la question.
De nos jours, si l’on demandait à des Hongrois moyennement cultivés, moyennement intéressés par le monde extérieur, ce qui leur vient à l’esprit quand on leur parle de la Hollande, il y a fort à parier que la plupart ne mentionneraient guère que le football, les tulipes et une marque de bière sur laquelle figure une étoile rouge. Puis ils citeraient encore les canaux, les moulins à vent, les filles de joie, et bien sûr la légalisation de la « fumette ». Les plus cultivés ajouteraient enfin Erasme, Rembrandt, Van Gogh, peut-être même, éventuellement, Thomas à Kempis, Hugo Grotius ou Johan Huizinga.
Mais ils sont bien sûr moins nombreux à savoir qui était Lamoraal, quatrième comte d’Egmont, dont nous célébrerons l’année prochaine le 500ième anniversaire. Il fut l’un des premiers chefs – et finalement un martyr – de la guerre de libération lancée dans les années 1560 par les Pays-Bas contre les Habsbourg espagnols qui les opprimaient, ce qui lui valut le drame romantique que Goethe lui a consacré – drame pour lequel Beethoven a composé en 1810 une musique d’accompagnement, en signe de protestation contre l’occupation de sa patrie par la tyrannie napoléonienne. Cette ouverture d’Egmont, qui passe pour l’hymne de la liberté, est le morceau qui a été le plus souvent entendu pendant la révolution de libération nationale hongroise de 1956, servant de musique de fond à la radio. Les Gars de Pest n’avaient probablement pas beaucoup entendu parler de cet aristocrate hollandais devenu héros de la liberté, mais le chef-d’œuvre musical du génial compositeur allemand unissait l’âme de ces deux peuples en armes pour leur liberté et leur indépendance.
Or le comte Egmont ne fut que le premier d’une série assez longue. Du fait de la réforme calviniste, les sept provinces protestantes des Pays-Bas ont tissé des liens très étroits avec la Transylvanie. C’est à cette époque que commence la pérégrination de masse des étudiants calvinistes hongrois vers les universités hollandaises : Utrecht, Groningen, Franeker, Leiden. À peine fondée, l’université de Harderwijk confère son premier doctorat à l’un des génies de l’histoire culturelle et pédagogique hongroise : le sicule János Apáczai Csere, qui avait compris aux Pays-Bas que c’est dans le cadre de leur combat de libération contre les Habsbourg catholiques d’Espagne que les Hollandais protestants avaient fondé toutes ces académies, car « c’est alors qu’ils s’étaient rendu compte que les armements qui se forgent dans les escoles sont plus importants que les boulets de canon ».
La Hollande a été l’un de ces pays où, des siècles durant, on a sans cesse imprimé de nouvelles éditions de la bible hongroise traduite par Károli, pour pouvoir la diffuser dans le monde de langue hongroise. Sur un mur du bâtiment principal de l’université d’Utrecht, à quelques mètres de la salle où a été fondée en 1579 la République unifiée de Hollande, on peut voir un bas-relief représentant un étudiant hongrois marchant de la Grande église réformée de Debrecen vers la tour de la cathédrale Saint-Martin d’Utrecht, et portant la légende suivante : In sanguine Christi conglutinati sumus (« Nous avons conflué dans le sang du Christ »). Cette solidarité s’est aussi exprimée en 1676, quand le commandant de la flotte hollandaise, l’amiral Ruyter, a libéré les prédicateurs protestants hongrois que le Vice-roi de Naples gardait prisonniers dans ses galères. Tout au fond de la Nouvelle église d’Amsterdam, sur la tombe de l’amiral Michiel de Ruyter, on voit toujours la couronne d’argent déposée par les Hongrois.
On ne se souvient guère aujourd’hui du 325ième anniversaire de la libération des galériens hongrois, en 2001, à l’occasion duquel Viktor Orbán avait, au cours d’une grande cérémonie, couronné la tombe de l’amiral Ruyter ; à l’époque, le gouvernement hollandais avait invité le Premier ministre hongrois et sa suite à un dîner de gala à La Haye. C’est alors le travailliste Wim Kok qui était à la tête de ce gouvernement hollandais de gauche libérale dont « le plus grand accomplissement » a été de faire adopter l’euthanasie et le mariage des personnes de même sexe. La Hollande est ainsi devenue le premier pays du monde à l’autoriser ; elle était alors de toute façon depuis longtemps une place forte de la communauté LGBT et de son idéologie, Amsterdam se vantant d’être la capitale gay de l’Europe.
Ce pays où, du XVIe siècle au milieu du XXe siècle, la foi en Dieu – avant tout sous la forme d’un calvinisme du quotidien – imprégnait de part en part la vie des familles et des villages, le système scolaire, la culture, la science et les arts, et même la vie de l’État, ne ressemble plus aujourd’hui à cette Hollande de « l’âge d’or », ou alors tout au plus à « ses décors de carton-pâte » (l’expression appartient à Huizinga). Et encore, même ces décors s’effritent, comme l’a montré un exemple des plus mesquins datant de l’année dernière : obtempérant devant les exigences des activistes du mouvement BLM, on a retiré de la circulation le carrosse doré de la famille royale hollandaise, car, sur l’un de ses flancs, une peinture représente des noirs exprimant, par des révérences et des cadeaux, leur adoration d’une femme blanche – scène qui rappelle l’époque coloniale de la Hollande. Laquelle continue visiblement jusqu’à nos jours à remplir les Hollandais d’un complexe de frustration et de culpabilité, auquel le maire d’Amsterdam a donné libre cours il y a une semaine, quand, dans le discours qu’il a tenu à l’occasion de l’anniversaire hollandais de l’abolition de l’esclavage, il a demandé pardon au nom de sa ville pour sa participation au commerce hollandais des esclaves.
C’est, bien entendu, compréhensible, sachant que, jusqu’à très récemment (jusqu’au milieu du XXe siècle), la petite Hollande a possédé l’un des plus grands empires coloniaux du monde, ce qui revient à dire que sa légendaire richesse et son exceptionnel bien-être ne découlent pas uniquement du travail acharné de ses braves citoyens, mais aussi de l’exploitation des peuples lointains qu’ils avaient subjugués. Le maire d’Amsterdam a donc demandé pardon pour l’esclavage, tandis que le Premier ministre libéral du pays, lors du dernier sommet de l’Union, déclarait que la Hongrie n’aura pas sa place dans l’UE si elle ne renonce pas à ses lois anti-pédophilie, car il juge inacceptable le traitement qu’elle réserve à la communauté LGBT, raison pour laquelle il faudrait « agenouiller » les Hongrois. En sa qualité de diplômé d’histoire, Mark Rutte sait bien (même s’il ne l’admettra bien entendu jamais) qu’il se comporte avec très exactement le même cynisme et la même brutalité que les colons et esclavagistes de feu la Compagnie néerlandaise des Indes orientales et de feu la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales, mais hélas, il est loin d’être seul dans son cas. Ce politicien – pianiste amateur à la ville – s’est contenté de donner le la au chœur des hurlements de hyènes qui a culminé mercredi au « cénacle » de la racaille qui domine le Parlement européen – chœur auquel la présidente allemande de la Commission s’est hélas aussi jointe, pour sa plus grande honte.
Ces pseudo-libéraux, qui se prennent pour des démocrates et des progressistes, ces agents au service des forces obscures du nouveau totalitarisme mondialiste – dans leurs efforts en vue de dépasser même les Übermensch du nazisme et les « gens d’un type bien spécial » (pour citer Staline définissant les communistes) du bolchevisme – pensent s’être trouvé de nouvelles colonies dans les États d’Europe centrale. J’ai bien peur qu’ils ne fassent fausse route. Mais, quelque légitime que puisse être par ailleurs notre colère, nous aurions tort de la diriger contre le peuple hollandais (ou d’ailleurs contre quelque peuple que ce soit).
Car pour nous, le peuple hollandais, ce n’est pas ce « mec de Hollande » qui, de la coupe amère de la bêtise, de l’orgueil et de la haine, déverse sur nous ses fleurs du mal, ni ses patrons, amis et partenaires d’affaires, mais – par exemple – cette Aletta van de Maet immortalisée par un splendide poème de Lajos Áprily, qui a épousé Apáczai à Utrecht et l’a suivi en Transylvanie. Ou cet Abraham Kuyper, célèbre théologien et pasteur calviniste devenu Premier ministre décédé il y a un siècle, dont les filles, après la conclusion du traité de Trianon, ont pendant des années organisé la prise en charge en Hollande de milliers d’enfants pauvres de la Hongrie amputée et des territoires séparés du corps national. Ou encore Erasme de Rotterdam, l’un des esprits les plus brillants de l’Europe renaissante, dont le désir le plus fervent était que même les enfants du peuple lisent quotidiennement l’Écriture sainte.
Et, naturellement, le comte d’Egmont, qui, grâce à Beethoven, établit une passerelle éternelle entre l’âme de ces deux peuples en armes pour la liberté, de ces deux peuples qui refusent l’agenouillement. Tel est notre message : espérons qu’il soit entendu, à La Haye, à Bruxelles, à Strasbourg, à Berlin, à Paris, et aussi de l’autre côté de l’océan.
Sándor Faggyas
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Traduit du hongrois par le Visegrád Post