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Pologne – Guerre ouverte entre le président de la cour des comptes et le gouvernement Morawiecki

Temps de lecture : 4 minutes

Pologne – Le conflit entre le président de la cour des comptes polonaise (Najwyższa Izba Kontroli, NIK) et le gouvernement Morawiecki s’envenime avec la demande, par le ministre de la Justice (qui est aussi Procureur général) d’une levée de l’immunité de Marian Banaś. « C’est une situation très difficile pour notre camp, » a reconnu l’eurodéputé du PiS Ryszard Czarniecki fin juillet. « Marian Banaś était un des nôtres, il a exercé des fonctions importantes dans l’administration. Ce conflit ne nous aide pas. »

Pour obtenir la levée de l’immunité du président de la NIK, il faut la majorité absolue à la Diète, soit 231 voix. Le groupe PiS, où siègent les députés du PiS et des trois autres petits partis de la coalition Droite unie, détient 232 sièges, mais il n’est pas sûr qu’il puisse compter sur le soutien de tous les membres de sa coalition sur ce vote. L’opposition votera massivement contre la levée de l’immunité car, comme le remarquait l’hebdomadaire conservateur Do Rzeczy dans son numéro du 19 juillet, Banaś est l’opposant le plus efficace en ce moment. À la tête de la Plateforme civique (PO), Donald Tusk qualifie même le président de la NIK de témoin repenti auquel il faut assurer une protection politique.

Secrétaire d’État au ministère des Finances pendant les gouvernements du PiS en 2005-2007 et en 2015-19, directeur des Douanes, directeur de la nouvelle administration fiscale nationale (Krajowa Administracja Skarbowa, KAS) de 2017 à 2019, à la tête de laquelle il a supervisé avec succès l’unification des services fiscaux et douaniers qui a contribué à fortement améliorer le taux de collecte des impôts et taxes, et notamment de la TVA, sous les gouvernements du PiS, Marian Banaś, qui est aussi ceinture noire et entraîneur de karaté à ses heures perdues, a été quelques mois ministre des Finances en 2019 avant d’être nommé à la tête de la cour des comptes (NIK) la même année.

Peu après sa nomination à la tête de la NIK, il s’est trouvé visé par une enquête du Bureau central anticorruption (CBA) concernant ses déclarations de patrimoine. Il a refusé de se plier aux appels à la démission venant de son propre camp, clamant son innocence et assurant que l’enquête était motivée politiquement. Depuis, la NIK, qu’il dirige, multiplie les contrôles et rapports hautement critiques des politiques menées par le gouvernement Morawiecki.

En mai 2021, la cour des comptes a publié un rapport, présenté en conférence de presse, soulignant le caractère illégal de certaines décisions prises, y compris par le Premier ministre Mateusz Morawiecki, pour organiser des élections présidentielles entièrement par correspondance en mai 2020 (ces élections ont finalement été reportées et se sont déroulées de manière traditionnelles). Ce faisant, il a mis en cause la légalité des dépenses budgétaires engagées à cette fin, qui sont estimées à 70 millions de zlotys (env. 15 millions d’euros).

Ce mercredi 4 août, la cour des comptes a présenté en conférence de presse son nouveau rapport concernant le « Fonds de la Justice », normalement destiné à indemniser les victimes de crimes et délits. La NIK fait état de nombreuses irrégularités dans la manière dont sont dépensées les sommes affectées à ce fonds et a appelé le bureau central anticorruption (CBA) à contrôler « en particulier les mécanismes générateurs de corruption mis à jour ». Le projet de rapport de la NIK avait fait l’objet d’une réponse détaillée du ministre de la Justice Zbigniew Ziobro qui a rejeté, dans un document de 100 pages, l’ensemble du rapport de la NIK. Celle-ci, en retour, a rejeté toutes les réserves du ministre qui est, en tant que Procureur général, à l’origine de la demande de levée d’immunité du président de la NIK.

Parallèlement, le parquet mène une enquête sur des allégations de fraude fiscale du fils de Marian Banaś qui a été brièvement arrêté le 23 juillet à son retour de vacances, à l’aéroport et en présence de sa famille avant de se voir présenter les chefs d’inculpation à son encontre puis relâché.

Dans un entretien avec la télévision TVN24 après sa libération, Jakub Banaś, qui est aussi le « conseiller social » de Marian Banaś à la NIK, a expliqué que la nomination de son père à la tête de la cour des comptes polonaise avait été une décision personnelle du leader du PiS Jarosław Kaczyński contre l’avis du ministre de la Justice Zbigniew Ziobro et du ministre de l’Intérieur Mariusz Kamiński.

Réagissant à l’arrestation de son fils et à sa mise en examen, Marian Banaś a assuré que cela n’aurait aucun impact sur le travail de la NIK et il a fait remarquer que cette arrestation avait eu lieu au lendemain de la présentation du rapport, critique lui aussi, de la cour des comptes sur l’exécution du budget 2020.

Marian Banaś et la NIK sont aussi très actifs sur Twitter, avec des messages qui peuvent parfois surprendre par leur caractère politique ressemblant à ceux d’un parti d’opposition. Début juillet, l’institution dont l’objectif est normalement uniquement de contrôler la bonne utilisation des deniers publics avait même organisé une conférence sur la « Transparence des finances publiques comme fondement de la reconstruction de l’économie après la pandémie », où le gouvernement Morawiecki en a encore pris pour son grade, notamment pour sa propension à créer des fonds spéciaux pour masquer une partie du déficit budgétaire.

Alors, incorruptible ou erreur de casting, ce président de la cour des comptes polonaises ? Si les accusations de déclarations patrimoniales frauduleuses à son encontre ont été inventées de toutes pièces, on peut se demander quel intérêt avait le PiS à monter un dossier contre l’homme qu’il venait de nommer à la tête de cette institution, avant même que cet homme ait eu le temps de démontrer sa trop grande indépendance. Inversement, s’il s’agit d’une grosse erreur de casting, ce ne serait pas une première pour Jarosław Kaczyński qui est même un peu spécialiste en la matière.

Nommé par la Diète pour 6 ans, le président de la NIK ne peut pas être révoqué avant la fin de son mandat, et l’institution a un programme de contrôles encore très fourni pour cette année. Sur le plan personnel, Marian Banaś a annoncé qu’il écrivait un livre sur les coulisses de son travail dans les gouvernements du PiS en 2005-07 et 2015-19. Cela risque d’être chaud !