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Scissions au gouvernement polonais après l’arrêt de la CJUE sur le mécanisme « d’État de droit »

Temps de lecture : 5 minutes

Pologne – En 2020, le ministre polonais de la Justice Zbigniew Ziobro et son parti Solidarna Polska (Pologne solidaire), membre de la coalition Droite unie conduite par le PiS et indispensable à sa fragile majorité à la Diète, avaient menacé de sortir du gouvernement si le premier ministre Mateusz Morawiecki acceptait le nouveau mécanisme de conditionnalité, ou mécanisme d’État de droit, voulu par l’UE. Après le Conseil européen de juillet 2020, où le principe d’un tel mécanisme conditionnant les dépenses du budget 2021-2027 et du plan de relance NextGenerationEU au respect de « l’État de droit », puis après le Conseil européen de décembre 2020, où c’est la version convenue par la présidence allemande du Conseil avec le Parlement européen, étendant la conditionnalité aux « valeurs européennes », qui avait prévalu, Ziobro avait critiqué le premier ministre avec des paroles si dures que les Polonais se demandaient si la coalition allait pouvoir se maintenir. Mais le ministre avait finalement décidé de rester au gouvernement, tout en mettant en garde contre les conséquences futures de ce nouveau mécanisme que la Pologne avait renoncé à bloquer pour ne pas retarder la réception des fonds européens promis au titre du budget pluriannuel et du plan de relance.

L’une des garanties obtenues par Mateusz Morawiecki et son homologue hongrois Viktor Orbán au sommet de décembre 2020 concernait justement la promesse que le nouveau  « Règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union » ne serait pas appliqué avant sa validation par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) si la Pologne et la Hongrie décidaient de le porter devant les juges de Luxembourg, ce qu’elles ont fait en mars 2021.

Sans surprise, la CJUE a validé ce nouveau mécanisme malgré les doutes qu’il suscite quant à sa compatibilité avec les traités signés et ratifiés selon la procédure démocratique par chaque État membre. Pour justifier sa décision, la CJUE a souligné que la procédure prévue dans le règlement instituant ce nouveau mécanisme « ne peut être engagée que dans le cas où il existe des motifs raisonnables de considérer non seulement que des violations des principes de l’État de droit ont lieu dans un État membre,

mais surtout que ces violations portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte, d’une manière suffisamment directe, à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers ».

C’est d’ailleurs en échange d’une telle assurance, confirmée par une déclaration des 27 au Conseil européen de décembre 2020, que les premiers ministres polonais et hongrois avaient accepté de lever leur veto pour l’adoption du budget pluriannuel 2021-27 de l’UE et du plan de relance NextGenerationEU.

Le problème, c’est qu’avant même la validation de ce mécanisme par la CJUE, la Commission l’utilise déjà pour exiger de la Pologne qu’elle revienne sur ses réformes de la justice et de la Hongrie qu’elle abroge sa loi de juin 2021 qui a interdit la propagande LGBT auprès des mineurs. Dans le cas de la Pologne, la Commission argumente que l’absence d’indépendance de la justice (aux yeux de la Commission) ne permet pas de garantir une supervision adéquate de l’utilisation des fonds, et ce alors que la Pologne fait pourtant partie des bons élèves de l’UE en matière d’utilisation transparente et conforme aux règles de ces fonds et de lutte contre la corruption. L’autre raison avancée par la Commission pour retenir les fonds prévus pour la Pologne, c’est le jugement d’octobre du Tribunal constitutionnel polonais qui a affirmé la primauté de la Constitution polonaise sur les jugements de la CJUE dans les domaines où les traités n’ont pas transférés de compétences à l’UE (en l’occurrence il s’agit ici justement de l’organisation de la justice). Dans le cas de la Hongrie, la Commission avance officiellement des motifs liés aux problèmes de corruption qui n’auraient pas été résolus par Budapest tout en faisant savoir officieusement que c’est cette loi de protection des mineurs qui lui pose en réalité problème.

La réalité, c’est que la Commission dispose désormais d’un instrument de chantage puissant pour faire avancer l’intégration européenne sans passer par un nouveau traité.

Furieux, le ministre de la Justice polonais Zbigniew Ziobro est reparti à la charge contre le premier ministre Mateusz Morawiecki, qui jouit du plein soutien du président du parti Droit et Justice (PiS) Jarosław Kaczyński. Dès la publication de l’arrêt de la CJUE mercredi, Ziobro a convoqué une conférence de presse où il a parlé d’une « erreur très grave », d’une « erreur politique historique du premier ministre Morawiecki qui a donné son approbation au sommet de Bruxelles en 2020 à l’adoption d’un règlement qui sert à exercer un chantage économique sur la Pologne et à nous priver de notre souveraineté, ne serait-ce que dans le domaine de la justice ou des valeurs ». Et le ministre a rappelé que ce chantage était déjà exercé sur les collectivités locales polonaises ayant adopté des résolutions sur les droits de la famille et contre la propagation de l’idéologie LGBT dans les écoles.

« Il s’agit, en quelque sorte, d’une date historique. Une date sombre dont on se souviendra et qui sera inscrite dans les livres d’histoire. Mais ce n’est pas la fin de la bataille pour la liberté de la Pologne dans l’Union européenne et pour une Union européenne libre »,

a ajouté le leader du parti Solidarna Polska.

Vendredi, les médias polonais informaient que le ministre avait demandé la convocation d’un conseil des ministres sous la direction du président Andrzej Duda pour discuter de ce jugement de la CJUE, car, selon le ministre de la Justice, « la menace que font peser les organes de l’UE est réelle ».

Mercredi, le premier ministre Mateusz Morawiecki avait réagi en ces termes sur son profil Facebook : « J’ai défendu et défendrai toujours le droit de la Pologne à l’autodétermination et la primauté de la Constitution polonaise sur le droit communautaire dans les domaines de compétences non déléguées à l’UE. L’arrêt injuste à notre avis de la Cour de justice de l’Union européenne ne change rien à cet égard.

Toutefois, je ne peux accepter que ce jugement soit utilisé à des fins de populisme politique et de présentation mensongère de la situation. »

Dans un entretien avec le site de l’hebdomadaire Do Rzeczy, le député Janusz Kowalski, du parti de Zbigniew Ziobro, a estimé que les règles du nouveau mécanisme de conditionnalité « vont être utilisées comme instrument de chantage si des pays comme la Pologne ou la Hongrie ne poursuivent pas un programme politique libéral et de gauche ». Après ce nouvel échec de la Pologne devant la CJUE, le député appelle à la démission du ministre des Affaires européennes Konrad Szymański, qui avait milité auprès du premier ministre et du président du PiS pour que la Pologne lève son veto en décembre 2020 et accepte la version du règlement sur le mécanisme de conditionnalité préparée par la présidence allemande avec le Parlement européen.

Quant à Jarosław Kaczyński, il s’est dit « déçu que de telles déclarations, comme celles du ministre Zbigniew Ziobro, soient faites publiquement ». « Cela ne sert pas notre cause commune, c’est-à-dire la préservation de notre souveraineté », a déclaré le leader du PiS qui ne prévoit toutefois pas un éclatement de la coalition car « au sein de la Droite unie,

nous avons eu des points de vue différents sur différentes questions, mais sur la souveraineté polonaise, nous avons le même point de vue. »

Néanmoins, sans attendre le jugement de la CJUE, le ministre de la Justice Zbigniew Ziobro avait annoncé le 23 décembre dernier qu’il saisissait le Tribunal constitutionnel sur la compatibilité avec la Constitution polonaise du mécanisme européen de conditionnalité. C’est mercredi, le jour de la publication de l’arrêt de la CJUE, que la cour constitutionnelle polonaise a tenu sa première audience à ce sujet.