Pologne – Le mercredi 15 septembre, une manifestation avait lieu non loin du bâtiment de la Diète polonaise. Cette manifestation varsovienne organisée à l’appel de Konfederacja (Confédération, alliance des nationalistes et libertariens à la Diète) faisait suite aux manifestations réussies dans plusieurs villes de province, notamment à Katowice et à Toruń, pour protester contre les annonces de possible ségrégation vaccinale avec vaccination forcée de certains groupes sur le modèle français. La cible de la manifestation, c’était un projet de loi préparé par le ministère de la Santé qui permettrait, entre autres choses, aux employeurs de connaître l’état de vaccination contre le Covid-19 de leurs salariés.
La manifestation n’a pas attiré les foules escomptées. Seules quelques centaines de personnes avaient répondu à l’appel, et les meneurs de Konfederacja n’ont pas caché une certaine déception, même si le peu d’enthousiasme suscité par leur appel était peut-être, au moins en partie, la conséquence d’une victoire. Le projet de loi incriminé, qui devait être débattu jeudi, avait en effet été retiré de l’ordre du jour de la Diète la veille de la manifestation. C’est entre autres la députée du PiS Anna Siarkowska, notoirement hostile aux restrictions sanitaires, qui avait informé de la chose sur son compte Twitter tard dans la soirée.
Outre sa disposition donnant aux employeurs un accès aux informations sur la vaccination de leurs employés et les autorisant à en tirer des conséquences pour l’organisation du travail, le projet de loi en question, dont on ne sait pas quand il sera finalement débattu (et s’il le sera un jour), aurait permis aux services sanitaires (Sanepid) d’infliger des amendes pouvant atteindre 30 000 zlotys (environ 6.600 €) pour dissimulation d’informations, par exemple sur l’identité des personnes avec lesquelles on a été en contact au cours des derniers jours. Une autre disposition donnerait aux inspecteurs sanitaires le pouvoir d’imposer avec effet immédiat des quarantaines pouvant durer jusqu’à 30 jours en cas de « suspicion de contamination ». Autre point controversé, aucune indemnisation ne pourrait être réclamée par la famille du défunt en cas de décès consécutif à la vaccination. Le projet de loi donnerait en outre plus de pouvoirs aux autorités en matière de programmes de vaccination et de vaccination obligatoire, y compris en ce qui concerne les mineurs.
Ce projet de loi a peut-être été retiré pour éviter la grosse manifestation crainte par le gouvernement s’il on en croit la quantité de policiers déployés mercredi autour du parlement. Mais une autre raison possible pourrait être liée à des tractations discrètement entamées par le PiS avec… Konfederacja. La majorité parlementaire du groupe PiS est en effet devenue très fragile, et le soutien des onze députés nationalistes et libertariens pourrait être d’un grand secours. Un tel soutien impliquerait assurément de renoncer au projet de loi du ministre de la Santé et à des restrictions sanitaires trop strictes, le groupe Konfederacja ayant lui-même déposé, à titre préventif, un projet de loi contre la ségrégation sanitaire.
D’après les fuites dans la presse polonaise, c’est le ministre de l’Éducation et des sciences Przemysław Czarnek, considéré comme un représentant de l’aile la plus conservatrice du PiS, qui aurait été chargé de jeter des ponts entre le PiS et Konfederacja. Il aurait invité à dîner Krzysztof Bosak, leader nationaliste et candidat à l’élection présidentiel l’année dernière, ce que semblait confirmer vendredi le vice-ministre de la culture, du patrimoine national et du sport Jarosław Sellin, en affirmant qu’il n’y avait pas de raisons de ne pas conduire des discussions avec un leader politique qui avait obtenu un score non négligeable (6,78 %) à l’élection présidentielle et qui appartient à un groupe politique représentant une portion de l’électorat polonais. Un accord avec Konfederacja – qui reste encore très hypothétique – impliquerait probablement aussi un durcissement de l’attitude vis-à-vis de Bruxelles et le renoncement à certaines parties du projet économique post-pandémique du PiS, notamment en ce qui concerne les augmentations d’impôts.
Konfederacja est en effet une alliance plus conservatrice que le PiS en matière sociétale mais aussi plus souverainiste et plus libérale en économie. À la Diète, c’est le seul groupe qui prend aujourd’hui la défense des libertés civiques contre les restrictions sanitaires puisque les libéraux et la gauche appellent au contraire à plus de restrictions.
Si le PiS a été violemment critiqué par les leaders de Konfederacja à la manifestation du 15 septembre, certains intervenants n’ont pas manqué de rappeler en se moquant que les libéraux et la gauche étaient encore pire puisqu’ils demandent des restrictions plus répressives encore, « parce que sinon on va tous mourir ». À la manifestation de mercredi, Robert Winnicki, président du Mouvement national, l’aile nationaliste de Konfederacja, s’est réjoui de la victoire que constitue le retrait, au moins pour le moment, du projet de loi répressif du ministre de la Santé, mais il a assuré que « la bataille sera longue » tout en exprimant l’espoir qu’il serait possible d’infléchir la politique du PiS.
Le lendemain de la manifestation, un incident a eu lieu à la Diète quand le cinéaste Grzegorz Braun, député de Konfederacja, après une intervention à la tribune où il avait dénoncé les dizaines de milliers de morts causés selon lui par la politique sanitaire du ministre de la Santé Adam Niedzielski (dans la mesure où l’accès au système de santé a été rendu très difficile pendant de longs mois) ainsi que la hausse inquiétante du nombre de suicides chez les adolescents après une année d’école à distance. Avant de retourner à sa place, Braun s’est adressé au ministre Niedzielski qui était présent et lui a dit : « Vous finirez pendu ! » Si Braun se défend en assurant qu’il ne s’agissait pas d’une menace mais d’une prévision à prendre au sens figuré, dans la mesure où le ministre devrait selon lui être jugé et recevoir la peine maximale prévue par le code pénal polonais, ces propos ont été condamnés de toutes parts et lui ont valu la plus forte sanction financière que la Diète soit en mesure de lui infliger. La présidente de la Diète a informé le parquet de l’incident mais Braun bénéficie de l’immunité parlementaire dans l’exercice de ses fonctions de député.
Le député du PiS Anna Siarkowska, tout en condamnant la violence du propos, a toutefois tenu à rappeler sur Twitter que le ministre Adam Niedzielski, qu’elle accuse pour l’occasion d’hypocrisie, n’avait pas réagi quand, il y a quelques temps, le professeur Andrzej Horban, chef du conseil médical chargé de conseiller le gouvernement Morawiecki en matière de lutte contre la pandémie, avait assuré dans les médias que s’il avait un couteau et qu’il savait s’en servir, il l’utiliserait volontiers contre Siarkowska et contre un autre député après leur intervention dans un foyer pour enfants pour y empêcher une série de vaccinations forcées contre le Covid-19.
Un secrétaire d’État au cabinet du Premier ministre a exigé vendredi l’exclusion de Grzegorz Braun par son groupe. Les députés de Konfederacja vont-ils demander l’exclusion du professeur Horban par le Conseil médical en échange ? Il est permis de rêver. Mais ces deux exclusions feraient sans nul doute redescendre un peu la température du débat en matière de politique sanitaire en Pologne…