Article paru dans le Magyar Nemzet le 20 septembre 2021.
Afin de pouvoir assister la Hongrie dans un épanouissement économique durable, nous analysons en permanence les modèles de réussite observables au niveau de l’économie mondiale. Nous accordons une attention toute particulière aux résultats de la Corée du Sud, d’Israël, de Dubaï, de Singapour, des villes prodiges de Chine, de la Pologne et des Pays Baltes. Nous nous sommes rendu compte que les miracles économiques européens de l’après-guerre (Bavière, Baden-Württemberg, France, Italie du Nord, Autriche, Suisse, Scandinavie, Catalogne) ne constituaient plus des exemples à suivre en matière de développement – la raison en étant que même ces régions jadis gagnantes ne parviennent plus – à quelques exceptions près – à tenir tête aux USA et à l’Asie orientale en matière de résultats économiques.
Or il existe, très près de chez nous, un exemple que nous avions déjà repéré, mais aussi perdu de vue par la suite : la Tchéquie. Au centre de notre programme économique de 2010 – couronné de succès entre-temps –, nous avions placé la création d’un million d’emplois nouveaux en Hongrie. Pour déterminer cet objectif, nous nous étions alors basés sur le niveau d’occupation de la main d’œuvre observable en Tchéquie, qui dépassait le nôtre de presque 1,2 millions d’emplois.
Cependant, le modèle économique tchèque a encore d’autres leçons à nous administrer, si bien que la poursuite d’une comparaison des situations tchèque et hongroise est justifiée. Nous y procéderons suivant trois points de vue :
- Quels sont les avantages du modèle tchèque, et comment pourrions-nous rattraper notre retard ?
- Où trouvons-nous dans le modèle hongrois, comparativement au modèle tchèque, des avantages dont la supériorité est encore susceptible d’accroissement ?
- Parmi les possibilités futures en cours de formation, quelles sont celles qui pourraient rendre le modèle hongrois encore plus rapide et plus efficace que le modèle tchèque ?
Le passé a une très forte influence sur nos possibilités présentes et à venir. Comme nous ne pouvons rien changer au passé, nous ne pouvons changer que l’avenir, ce pourquoi il nous faut prendre dès maintenant les mesures qui s’imposent. Les propriétés du passé exhibent, de plus, une caractéristique curieuse : on dirait qu’elles fonctionnent selon la logique de « l’intérêt cumulé ».
La situation démographique en fournit un exemple. En 1990, la population des deux pays était encore presque la même : 10,4 millions d’habitants dans les deux cas. Aujourd’hui, la Tchéquie affiche un avantage démographique de 900 000 habitants. Le solde migratoire étant le même, cet avantage est dû à deux facteurs : une plus forte natalité tchèque, et une mortalité hongroise bien plus élevée. Au cours des trois dernières décennies, la Tchéquie a enregistré dans les 200 000 naissances de plus, et plus de 700 000 décès de moins que la Hongrie. Or l’avantage démographique acquis par les Tchèques fonctionne selon la logique de « l’intérêt cumulé », car un nombre plus élevé de femmes en âge d’accoucher, combiné à un taux de fécondité plus élevé (de 1,71 – le troisième ex aequo de l’UE), produit un nombre plus élevé de naissances. Chez nous, en dépit de la forte croissance que nous avons réussi à lui insuffler, ce taux n’est encore que de 1,55 (dépassant ainsi, néanmoins, légèrement le taux moyen de 1,53 enregistré dans l’Europe des 27), si bien que l’écart de population entre les deux pays ne fait que s’approfondir. La Tchéquie a déjà atteint les 110 000 naissances par an, soit 15 000 de plus qu’en Hongrie.
Quand on examine les bilans des deux pays, on constate que cette loi de l’« intérêt cumulé » fonctionne dans toute une série de domaines, et que c’est elle qui explique l’avantage sensible qu’ont aujourd’hui acquis les Tchèques. De tous ces avantages acquis, voici les plus importants :
1. Avant-guerre, la part de l’industrie dans l’économie tchèque était une fois et demie plus importante qu’en Hongrie.
Outre cette différence entre les 53% de l’industrie tchèque et les 36% hongrois, l’économie tchèque était aussi caractérisée par la part bien moins importante qu’y représentait l’agriculture : 23%, contre 37% en Hongrie. Cela a fourni une bonne base aux programmes d’industrialisation qui allaient suivre en Tchéquie : des fondations plus solides que celles qui, en Hongrie, étaient censées supporter l’édifice du « pays du fer et de l’acier » [mot d’ordre économique du communisme hongrois – n.d.t.].
2. Dans l’entre-deux-guerres, la Tchécoslovaquie a évité l’apparition de déséquilibres macroéconomiques graves.
Ce qui lui a permis de conserver son haut niveau de développement, en évitant les cycles « équilibre ou croissance » qui ont caractérisé la Hongrie, et qui ont impliqué des sacrifices considérables en termes de croissance.
3. La Tchécoslovaquie a évité l’hyperinflation.
Ce qui lui a permis de conserver un bas niveau de dette extérieure et une part importante d’exportations industrielles, si bien qu’à la veille de la Deuxième Guerre mondiale, l’économie tchèque avait atteint 91% du niveau de développement autrichien. Chez nous, l’hyperinflation a enclenché une dynamique inverse.
4. Le changement de régime s’est fait sous forme de thérapie du choc à en croire les slogans, mais, en pratique, il a plutôt pris la forme d’une transition graduelle.
Nous autres, nous avons adopté une stratégie diamétralement opposée : nous parlions de transition graduelle/étagée, mais, au cours de la première moitié des années 1990, en réalité, la politique économique hongroise a été basée sur la thérapie du choc. C’est ainsi que, tandis que le marché de l’emploi tchèque perdait 400 000 emplois dans le courant de la transition vers une économie de marché, le nôtre en perdait 1,2 millions. Ce qui fait de la thérapie du choc hongroise une erreur colossale, c’est qu’elle a été appliquée en plein milieu de la récession européenne des années 1989–1992, ce qui a provoqué une dévaluation accrue du patrimoine national hongrois.
5. Tout au long du siècle qui commence en 1920, la Tchéquie a été le pays le plus compétitif de l’Europe centre-orientale.
L’acquis d’avant le changement de régime, plus le fait qu’elle a évité de pratiquer la thérapie du choc en pleine récession européenne, lui préférant une transition graduelle vers l’économie de marché : voilà à quoi la Tchéquie doit d’être aujourd’hui celui des pays de la région dont les résultats s’approchent le plus de la moyenne de l’Europe des 27.
6. En termes de PIB per capita, la Tchéquie atteint aujourd’hui 94,1% de la moyenne de l’Europe des 27, tandis que la Hongrie n’est qu’à 74%.
Le niveau relatif de développement de la Tchéquie en 2000 était semblable à ce qu’il est aujourd’hui en Hongrie. Mais au cours des vingt dernières années, les Tchèques ont réussi à crever le plafond de la classe des pays à développement moyen, qui, dans leur cas, n’a pas fonctionné comme un piège – si bien que, l’année dernière, ils ont dépassé l’Italie dans ce domaine.
7. L’économie tchèque est caractérisée par un taux d’investissement durablement élevé et par une bonne efficacité dans l’accumulation de capital.
Pour peu qu’on analyse qualitativement ces investissements, on constate que c’est en Tchéquie que l’utilisation des biens immatériels représente la part la plus importante de tous les pays de la région – ce qui signifie que beaucoup de ces investissements ne se font pas dans « le fer et le béton », mais dans « les cerveaux et les institutions ».
8. La valeur ajoutée interne des industries de transformation est plus élevée qu’en Hongrie.
De nos jours, les exemples de réussite économique accordent une importance centrale à l’industrie de transformation tournée vers l’export. Dans ce domaine, chez les Tchèques, par rapport à la Hongrie, la part des capitaux tchèques est plus importante, tandis que la part des placements étrangers est moindre.
9. Sur l’ensemble des exportations, la part de la valeur ajoutée tchèque est plus élevée qu’en Hongrie.
Tandis que les exportations tchèques contiennent 62,3% de valeur ajoutée tchèque, en Hongrie, cette part n’est que de 55,9%. Cet écart obéit, lui aussi, à la logique de l’« intérêt cumulé », étant donné qu’une part plus élevée aujourd’hui fournit la base d’une part encore plus élevée à l’avenir.
10. Les dépenses d’innovation sont plus élevées qu’en Hongrie, et le degré de numérisation des entreprises, nettement plus élevé.
En matière de numérisation, les entreprises tchèques se situent à la 8ième place dans l’UE, tandis que la Hongrie n’est qu’à la 25e place. Cela implique une meilleure productivité du travail, de meilleurs revenus, et donc plus de ressources à investir dans le secteur commercial.
11. Au cours des trente dernières années, le marché du travail a évolué selon des cycles plus courts qu’en Hongrie.
En 2019, le niveau de l’emploi en Tchéquie était le quatrième dans l’Europe des 27, se situant à 75,1% dans la tranche des 15–64 ans, contre 70,1% en Hongrie.
12. La structure territoriale de la Tchéquie est plus équilibrée que la structure hongroise.
Les trois villes non-capitales les plus grandes de Tchéquie représentent dans le PIB tchèque un poids économique proche du double du poids des trois villes correspondantes en Hongrie – symptôme d’une structure territoriale plus saine, mieux répartie.
13. Après 1990, la Tchéquie a réussi à s’épanouir sans se créer de déséquilibres extérieurs, ni d’endettement.
La cause décisive en est que les Tchèques se sont massivement appuyés sur des ressources financières internes. C’est ainsi qu’ils ont réussi à atteindre un niveau d’endettement externe net qui est négatif depuis des décennies.
14. L’économie tchèque jouit d’un bas niveau de vulnérabilité.
Selon les agences de notation des dettes nationales, de tous les pays de la région, c’est l’économie tchèque qui a reçu les notes les plus favorables, ce qui se traduit par un accès bon marché aux ressources financières.
15. Les politiques budgétaires de la Tchéquie ont présenté un caractère nettement anticyclique.
De 2015 à 2019, en moyenne, les exercices budgétaires tchèques se sont clos sur un résultat excédentaire.
Ces avantages acquis sont la conséquence d’un modèle tchèque plus prévisible, plus graduel, orienté vers la conservation des valeurs acquises et l’évitement des chocs.
Mais c’est ici que cela devient intéressant !
Au cours des trente dernières années – et tout particulièrement à partir du tournant positif de 2010 – le modèle hongrois, basé sur des cycles longs et fonctionnant au prix de pertes colossales, a fait passer le pays des 51% de la moyenne de l’UE où il se situait en 1990, à 74% de cette même moyenne. Au cours de la même période, le modèle tchèque a fait passer la Tchéquie de 81% à 94,1% – ce qui signifie qu’en l’espace de trente ans, nous avons progressé de 23%, tandis que les Tchèques ne se rapprochaient que de 13% de la moyenne de l’Europe des 27 (dans le même temps, les Polonais s’en rapprochaient de 34%).
Nous aurons donc intérêt à exposer, dans une analyse ultérieure, les avantages du modèle hongrois, de façon à pouvoir, à l’avenir, jouer sur nos points forts, tout en atténuant nos handicaps.
P.S.: « Pour être fort, il faut agir » – Ralph Waldo Emerson
György Matolcsy
directeur de la Banque Nationale Hongroise
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Traduit du hongrois par le Visegrád Post